Les Algériens défilent à nouveau massivement vendredi à Alger contre le pouvoir, à moins de 15 jours d’une élection présidentielle dont ils continuent de refuser la tenue.

“Il n’y aura pas de vote”, scandent les manifestants, hostiles à une élection destinée selon eux à régénérer un “système” politique au pouvoir depuis l’indépendance en 1962.

Plusieurs protestataires brandissent une carte où est écrit “Non, j’ai voté”, pour montrer leur refus du scrutin sans un changement du régime dont ils veulent se débarrasser, après avoir obtenu la démission en avril du président Abdelaziz Bouteflika, qui fut 20 ans à la tête de l’Etat.

“On jure qu’on ne s’arrêtera pas”, chantent-ils également pour le 41e vendredi consécutif de manifestation du mouvement (“Hirak”) de contestation inédit qui agite l’Algérie depuis le 22 février.

Car autour d’eux, le dispositif sécuritaire lourd –canon à eau, véhicule antiémeutes, nombreux policiers en tenue et en civil– rappelle la répression croissante du mouvement, avec l’arrestation de manifestants, militants ou journalistes.

“C’est de l’intimidation! Pourquoi autant de véhicules de police? Nous manifestons pacifiquement et sommes contre la violence”, s’énerve Tassadit Ourabeh, retraitée de 64 ans, rappelant le mot d’ordre “Silmyia” (“pacifique”) du “Hirak”.

Au moins 25 personnes ont été arrêtées avant le départ du cortège à Alger, selon des journalistes de l’AFP.

Selon le Comité national de libération des détenus (CNLD), qui recense et soutient les personnes incarcérées en lien avec le “Hirak”, quelque 140 personnes ont été placées en détention préventive ou condamnées ces derniers mois, dans le cadre de la contestation.

Dans une résolution adoptée jeudi, le Parlement européen a condamné “fermement les arrestations arbitraires et illégales ainsi que l’emprisonnement, les attaques et les intimidations de journalistes, syndicalistes, avocats, étudiants, défenseurs des droits de l’Homme et de manifestants pacifiques”.

Le gouvernement algérien a réagi dans un communiqué aux termes particulièrement virulents, en dénonçant une “immixtion flagrante dans ses affaires internes” et un “mépris” des institutions algériennes.

– “Pas question!” –

Malgré la répression accrue à l’approche du scrutin présidentiel, la contestation ne faiblit pas.

“Il y a toujours une forte mobilisation, mais surtout une forte détermination concernant le refus de l’élection” présidentielle, a déclaré à l’AFP le vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (LADDH), Said Salhi, présent dans le cortège.

Aucun sondage public n’est disponible en Algérie pour évaluer la possible participation au scrutin, mais l’abstention, déjà forte lors des récentes élections, est souvent vue comme l’unique voie de contestation d’un régime figé.

Sur une photo largement relayée sur les réseaux sociaux, un manifestant tient un piège à gibier sur lequel un bulletin de vote sert d’appât.

Pourtant, dans le rangs de la manifestation, certains envisagent d’aller voter.

“J’ai marché plusieurs vendredi. Mais je vais aller voter car il faut avancer. Si le nouveau président ne tient pas ses engagements, alors on ressortira dans la rue”, affirme Djawida, une infirmière de 50 ans.

Pour Tassadit, une femme à la retraite, c’est inconcevable: “Personnellement, j’aurais peut-être voté s’il y avait un candidat qui ne faisait pas partie du système. Mais là, pas question!”.

Qualifiés d'”enfants du système”, les cinq candidats, anciens ministres ou apparatchiks, ont tous participé ou soutenu plus ou moins longtemps la présidence Bouteflika.

“Je suis contre ce scrutin, car ce sont les hommes de Bouteflika qu’on nous propose et ce sont d’autres hommes de Bouteflika qui vont organiser et surveiller le scrutin”, estime pour sa part Said Bensalem, retraité de 66 ans.

Le président par intérim Abdelkader Bensalah et le Premier ministre Nourredine Bedoui, mais aussi le chef d’état-major de l’armée, qui exerce de facto le pouvoir depuis la démission de M. Bouteflika, sont tous d’anciens hauts placés de l’appareil mis en place par le président déchu.

“Mais je ne vais pas empêcher ceux qui veulent voter. Il faut respecter les autres, sinon on ne vaut pas mieux que ceux que l’on dénonce”, nuance M. Bensalem.