Le moment est venu de revisiter et d’adapter les stratégies de stabilisation de la région du Sahel pour les unifier, écrit Smail Chergui, commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine.

 

Alors que le monde est aux prises avec le covid, les menaces au Sahel mettent à rude épreuve la sécurité en accumulant terrorisme, violences intercommunautaires, changement climatique et déficits de gouvernance. Il s’ensuit des pertes en vies humaines, des déplacements massifs de populations et une pression sur les ressources naturelles. Plus encore, un recul rampant des avancées démocratiques et socio-économiques. La guerre civile en Libye et la dissémination de djihadistes et d’armes au Sahel ont servi de multiplicateur aux effets du coup d’Etat de 2012 au Mali, dans une région déjà confrontée à des défis structurels immenses.

La faiblesse des institutions maliennes a permis à tous ces groupuscules de se répandre dans le pays et au-delà, exploitant les conflits intercommunautaires et développant des discours de recrutement axés sur la marginalisation et la stigmatisation. La population vulnérable n’a pas résisté aux groupes terroristes et réseaux criminels. Ce coup d’Etat et la crise dans le nord du pays ont engendré en 2013 une intervention militaire de la Mission africaine (Afisma), qui a transféré, prématurément, son autorité en 2014 à la Minusma. Depuis, d’autres partenaires du Mali se sont déployés, initialement pour une courte durée, mais ils s’y trouvent toujours.

Plus de 17 stratégies

La création de la Force conjointe du G5 Sahel en 2017, avec les 15 200 personnels de la Minusma et le soutien de partenaires extérieurs, a produit des avancées non décisives. Le terrorisme et les violences entre communautés persistent et la menace s’étend en Afrique de l’Ouest. La violence quasi quotidienne, associée à des allégations récurrentes de manquements aux droits de l’homme, a dressé les communautés les unes contre les autres, d’une part, et contre les forces de sécurité et de défense, d’autre part.

La solution ne peut se limiter au sécuritaire. Le Sahel étouffe cependant de programmes à répétition et de plus de 17 stratégies, alors que le G5 Sahel a formulé son propre Plan d’investissement prioritaire en 2014. Les annonces de soutien sont à un taux de concrétisation de 20%. Le Caret évoque près de 800 incidents terroristes en 2019 et 35% d’accroissement d’actions violentes dans la région du lac Tchad.

Le moment est venu de revisiter et d’adapter les stratégies de stabilisation de la région du Sahel pour les unifier. De s’attaquer au miel qui attire les abeilles. Une approche multidimensionnelle est requise. Elle combine réponses militaire et sécuritaire, actions de développement, primat de la justice et inclusion des communautés locales, des femmes et des jeunes dans la définition et la mise en œuvre des politiques. Bref, une appropriation nationale et régionale loin de toute imposition de modèle ou projets de développement, basée sur la reconstruction du tissu social et la consolidation de l’unité nationale. L’Union africaine (UA) a décidé le déploiement d’une force de 3000 soldats pour soutenir les pays du G5 Sahel en complément des efforts en cours. Le concept d’opération est en phase de finalisation, en tenant compte du covid.

Dialogue avec les extrémistes

A cette fin, la bonne gouvernance ne doit pas rester un slogan creux, la reddition de comptes devra être sacralisée et le développement socio-économique induire industrialisation et création d’opportunités d’emploi afin de surmonter les problèmes structurels actuels et les menaces aux acquis démocratiques.

Face au statu quo, les citoyens sont las et aspirent à la dignité. Les peuples africains exigent des gouvernements qu’ils les servent plutôt qu’ils ne se servent. Ils ne cachent pas leur colère du fait que toute une génération a été privée de l’opportunité d’améliorer les conditions de leurs familles et communautés. La légitimité n’est pas une affaire d’un jour, c’est une conquête.

Les peuples africains exigent des gouvernements qu’ils les servent plutôt qu’ils ne se servent

La pandémie de Covid-19 doit être une opportunité pour mettre fin aux conflits et s’attaquer à leurs causes. Toute idée innovante est la bienvenue pour taire les armes en Afrique, en premier lieu celles portées par les terroristes et les extrémistes violents. L’accord signé avec les talibans, le 29 février 2020, peut inspirer nos Etats membres pour explorer le dialogue avec les extrémistes et les encourager à déposer les armes, en particulier ceux qui ont été enrôlés de force. Nous devons également réaffirmer notre détermination à stopper la propagation du terrorisme et l’extrémisme violent, à assécher leurs sources de financement et à mettre un terme a leurs agissements criminels.

Sécurité internationale

En ces moments de concurrence implacable entre puissances sur le continent, les Africains, sous conduite de l’UA, doivent saisir toute offre authentique de partenariat et retenir celles capables de plus-value, surtout pour notre jeunesse. Vaincre le terrorisme et l’extrémisme violent est possible si nous mutualisons nos moyens. Sans quoi la pandémie et la crise au Sahel agiront comme vecteurs du renforcement des frustrations et des griefs ayant permis à ces groupes criminels d’y prendre pied. Notre action collective est indispensable pour un continent exempt de conflits. Il y va aussi de la sécurité internationale.

Notre continent a changé et les Africains doivent s’approprier le processus et le cheminement vers un changement transformateur, induisant stabilité et prospérité avec le concours de nos partenaires et non plus sous leur dictée.

Le Temps avec Nordsudjournal