Alors que les premiers cas de Covid-19 viennent d’être déclarés au Niger, au Tchad et au Burkina Faso – le Mali retenant son souffle – le directeur du Timbuktu Institute (à Dakar et à Niamey), dr Bakary Sambe, spécialiste de paix et de stabilité en Afrique, s’inquiète des conséquences de la pandémie de COVID-19 sur la stabilité du Sahel.

Un entretien avec Nathalie Prevost

Le Sahel fait partie des régions les plus pauvres et les plus jeunes du monde. Elle est déjà en proie à des conflits entre les armées nationales et les groupes armés terroristes, des déplacements massifs de population et une faiblesse chronique des services sociaux de base.

Mondafrique : Quel impact négatif sur l’instabilité de la région craignez-vous à cause du COVID-19 ?

Bakary Sambé : Lorsqu’à une crise profonde, structurelle, qui dure depuis des décennies, une crise économique, une crise politique et sécuritaire, lorsqu’à tout cet ensemble s’ajoute une crise sanitaire qui n’épargne aucun pays, il y a de quoi s’inquiéter. Ma crainte principale, c’est que cette nouvelle épidémie mette à nu les défaillances des systèmes politiques en place en matière de gestion de crise.

A cela s’joutent les risques de pénurie, qui pourraient faire encore monter la température du front social déjà bouillant.

Je crains aussi des résistances culturelles au confinement, notamment à la fermeture des lieux de culte (comme dans la région de Zinder, vendredi, où les forces de sécurité ont dû intervenir pour ramener l’ordre après la brève interpellation d’un oulema ayant bravé l’interdiction de rassemblement pour la prière du vendredi.) Certains acteurs pourraient profiter de l’impuissance de régimes déjà largement affaiblis pour se livrer à des surenchères idéologiques et religieuses.

Mon autre questionnement concerne le basculement des efforts des pays du Sahel sur des questions sanitaires alors que les questions sécuritaires demeurent. Je pense notamment à la mort d’une trentaine de soldats dans une attaque djihadiste dans le nord du Mali, aux nouvelles dynamiques au sein de Boko Haram et à la concurrence entre le JNIM et l’EIGS, qui coûteront bientôt un lourd tribut au Burkina Faso notamment.

Alors qu’on n’est qu’au tout début de l’épidémie en Afrique de l’Ouest, le coronavirus pourrait être un facteur aggravant de tout cela, dans un contexte de panique et de manque de moyens. En outre, il faut craindre que les inégalités structurelles et horizontales en termes de niveau de vie, d’accès aux services et de niveau de conscience se creusent encore davantage. Le Coronavirus risque de toucher rudement les faibles capacités de résilience des populations.

Quand on voit le système sanitaire de la France, quand on voit le système sanitaire de l’Italie effondré, on se pose beaucoup de questions, on s’inquiète énormément. En Europe, on se préoccupe de gestion des stocks et des provisions, mais ici, nous sommes habitués depuis des décennies à la gestion des pénuries !

Mondafrique. : Vous dites que la communauté internationale ne doit pas rééditer les erreurs du passé. Que voulez-vous dire ? Craignez-vous que l’Union européenne, concentrée sur sa propre crise, abandonne le Sahel à son sort ?

B.S. : Tous ceux qui nous avaient théorisé la libéralisation à grande échelle, c’est eux qui ont fermé les frontières de l’Europe en premier ! L’Union Européenne est préoccupée par la survie de son système économique, pour parer à sa propre instabilité économique. Mais le jour où les digues, les barricades sanitaires seront levées, on sera confrontés à l’ampleur du désastre, se rendant compte, encore une fois, que les vulnérabilités du Sahel concernent aussi l’Europe, ne serait-ce que sur la question de la sécurité collective, la migration et la lutte contre le terrorisme.

J’ai peur que cette aide européenne, si elle vient, n’arrive trop tard au regard des contraintes et de la pression que l’Europe subit elle-même.

Mondafrique : D’autres acteurs pourraient-ils, dès lors, se substituer à l’Europe ?

B. S. : Je pense que la Chine va jouer un rôle déterminant parce que débarrassée de sa propre épidémie et n’ayant pas l’étiquette d’ancienne puissance coloniale. La Chine pourrait prendre la place laissée vacante par l’Europe, sous la pression, après l’épidémie.

Mondafrique. : Quelles sont vos recommandations aux Etats du Sahel ?

B.S. : Il faut miser sur la prévention et la sensibilisation, ce qu’ils sont en train de faire, justement. Et il faut que la population prenne conscience, aille au-delà de cette idée que c’est une maladie qui ne touche que l’Europe, ou qu’il y aurait une immunité naturelle des Noirs. La question est aussi celle de l’autorité de l’Etat, d’Etats faibles et autoritaires en même temps. Il faut que la crédibilité de l’Etat reste intacte et que les Etats n’instrumentalisent pas cette crise, au risque de perdre de la crédibilité.

Mondafrique. : Est-il sage de maintenir les élections législatives maliennes ?

B.S. : Voilà les incohérences politiques ! Ce n’est pas le moment. Pourquoi maintenir, dans ce contexte, des élections qui même en temps normal ne réunissaient pas toutes les conditions ?

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