La Côte d’Ivoire a amorcé un virage critique de son histoire politique avec en ligne de mire 2020 et son lot d’inquiétudes. L’horizon présage une avalanche d’incertitudes sur cette terre d’espérance où l’histoire politique s’est écrite souvent à l’encre de la douleur.

GUILLAUME SORO PRESIDENT ASSEMBLEE COTE IVOIRE ALASSANE DRAMANE OUATTARA PRESIDENT

On savait que le feu couvait déjà mais la frénésie suscitée par la course à la succession a conduit précipitamment les acteurs politiques sur le ring. Une bataille avant l’heure! Le gentlemen agreement entre les nouveaux maitres sortis péniblement des cuisses de dame horreur un jour d’avril 2011 est désormais un lointain souvenir. Fin de la lune de miel du couple des houphétistes qui vit une séparation de corps en attendant le divorce définitif. Pis, Alassane Ouattara et Guillaume Soro ont ouvert les hostilités dont l’issue sera  un élément déterminant dans l’avenir de la Côte d’Ivoire. Alassane Ouattara a décidé d’organiser sa succession en écartant Guillaume Soro dont le courage et le sacerdoce lui ont permis de sortir des ténèbres de l’Hôtel du golf aux lambris dorés du Palais présidentiel des Deux Plateaux.  Ainsi donc pour le Président Ouattara, son successeur en 2020 c’est Amadou Gon Coulibaly, le très discret et efficace Chef du gouvernement que ni les épreuves ni le temps n’ont entamé  la loyauté et l’humilité.  Le cap est fixé et tous les moyens seront mis en œuvre pour la matérialisation de la volonté du Chef y compris « neutraliser » Guillaume Soro dont les velléités agacent le clan Ouattara. Depuis une année,  l’ancien Chef des Forces Nouvelles est accusé de tous les péchés d’Irael au point où l’on voit sa main derrière toutes les crises qui secouent la Côte d’Ivoire : révoltes contre la CIE, mutineries, attaques etc. Inquiet, le président Ouattara est allé jusqu’à demander à certains de ses pairs d’intervenir pour calmer les ardeurs de Guillaume Soro.

UNE GUERRE OUVERTE

Cette guerre qui se faisait jusque-là par lieutenants interposés va entrer dans les jours à venir dans une phase ouverte voire de mano à mano. Alassane Ouattara a décidé personnellement de régler le cas  Soro dont les ambitions sonnent comme une défiance. Premier acte de cette bataille qui s’annonce sans merci: tous les fidèles de Guillaume Soro sont  débarqués des postes stratégiques en guise de représailles.

Deuxièmement, Ahmed Bakayogo, fidèle parmi les plus fidèles du Président Ouattara et ennemi juré de Soro est nomméministre de la Défense pour reprendre le contrôle de cette armée mexicaine. Réussira-t-il cette mission titanesque ? Dans une armée  traversée par des mutineries à répétions et où la discipline est la vertu la moins partagée rien n’est  moins sûr. Cependant,  le très influent Hamed Bakayogo travaillait bien avant sa nomination, à s’assurer la fidélité de la hiérarchie militaire dont la majorité partage un passé commun avec Guillaume Soro.  Dans cette armée où le dieu argent détermine la discipline, seuls deux chefs militaires vouent une loyauté absolue au Président Ouattara : les Colonels Cherif Ousmane et Zakaria Koné.

Trois jours après sa nomination, Ham Bak tente d’imprimer ses marques. Il convoque  avec  l’aval du Chef de l’Etat, le général Sékou Touré, Chef d’état-major général des armées dans ses nouveaux bureaux. Avec un ton menaçant, il lance : « si jamais j’entends un coup de feu à Abidjan pendant la présence des Chefs d’Etat à l’ouverture des jeux de la francophonie, je te débarque. Est-ce que je me fais comprendre ? ».   « Bien reçu, monsieur le ministre » acquiesce le Général Touré.

Ensuite,  le Président Ouattara a sollicité et obtenu le soutien des Français. Un dispositif discret a été donc mis en place par les militaires français pour protéger le Chef de l’Etat et les institutions de la République contre tout plan de déstabilisation.  Cette décision a été prise après une mission des services secrets français en Côte d’Ivoire et dans d’autres pays de la région. « Nous n’allons laisser quiconque déstabiliser la Côte d’Ivoire » lance un officier des services secrets.

Enfin,  Alassane Ouattara n’écarte plus l’idée de livrer Guillaume SORO à la Cour  Pénale Internationale où croupissent depuis  six ans Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé.

L’erreur fatale ?

Guillaume Soro paye aujourd’hui, sans conteste, son aspiration à diriger la Côte d’Ivoire. Le clan Ouattara lui fait le procès d’être un homme pressé et trop ambitieux. Cette ambition est-elle légitime ?

Militant de la première heure pour la justice et la démocratie, Bogotha comme l’appellent ses intimes est jeté en prison  à l’âge de 21 ans par le pouvoir de Henri Konan Bédié.  Secrétaire général de la Fesci pendant les années de braises entre 1995 et 1999, Il tiendra la dragée haute au pouvoir de Bédié qui n’avait comme seule arme que la répression pour taire la contestation. Après la prison, il connaîtra la clandestinité et l’exil de cette Côte d’Ivoire où « l’ivoirité » faisait des ravages. Guillaume Soro réapparait le 19 septembre 2002 à la tête de la rébellion qui endeuillera la Côte d’Ivoire. En stratège, Soro réussira à isoler le Sergent Chef Ibrahim Coulibaly, le vrai cerveau de la rébellion pour s’imposer en maître incontestable pendant dix ans.  Suite à différents accords politiques, il occupe successivement les postes de ministre de la communication et de premier ministre jusqu’à la présidentielle contestée de 2010.

La Commission électorale indépendante proclame Alassane Ouattara vainqueur. Gbagbo rejette les résultats  et la Côte d’Ivoire entre de nouveau dans une zone de turbulence.   Bogotha reprend sa tenue de commandant en chef et organise la bataille militaire d’Abidjan laissant à monsieur Ouattara le volet diplomatique. Ce dernier  obtient de son ami Nicolas Sarkozy, l’entrée en jeu des forces françaises qui marquera un tournant décisif dans la crise post-électorale.

Au bout de quelques semaines, Laurent Gbagbo est arrêté, le 11 avril 20011, et Alassane Ouattara qui n’était Président qu’à la République du Golf Hôtel recouvre la plénitude de ses pouvoirs.  Premier ministre et ministre de la défense dans le premier gouvernement du nouveau Président, Guillaume Soro sera ensuite élu Président  de l’Assemblée nationale. Peut-on dénier à un homme d’un tel parcours la légitimité de nourrir l’ambition de diriger la Côte d’Ivoire ?   A chacun d’en juger.   On peut gager que la volonté de Ouatttara de neutraliser Guillaume Soro va précipiter la Côte d’Ivoire dans le chaos et les pays voisins dans une instabilité.

En tout état de cause, c’est manquer de réalisme que de minimiser le poids militaire de l’ancien chef de la rébellion. Guillaume Soro compte encore de nombreux fidèles au sein de la troupe et la majorité des chefs militaires dont la loyauté  ne souffre d’aucun doute n’hésitera pas  à se ranger derrière lui au regard de leur histoire commune. Engager aujourd’hui  la responsabilité pénale  de Guillaume Soro, c’est engager aussi celle des ex-com zones qui ont écrit avec lui cette page de l’Histoire de la Côte d’Ivoire.

Dans ce bras de fer qui l’oppose à Alassane Ouattara, Guillaume SORO joue non seulement son avenir politique mais aussi son destin. En un mot comme en mille, l’issue de ce combat sera le baromètre de son invincibilité  comme l’indique bien  son nom Kigbafori en Sénoufou.

Abdoulaye BARRY

Journaliste politique