ENTRETIEN. Dans le sillage du Consensus de Dakar, le président du Cercle des économistes promeut le « Pacte de Dakar », un plan massif d’investissements internationaux en Afrique.

Propos recueillis à Dakar par , envoyé spécial

Le Cercle des économistes a été co-initiateur, avec la présidence du Sénégal, le Fonds monétaire international (FMI) et les Nations unies, de la Conférence internationale de Dakar sur le thème « Afrique, développement durable, dette soutenable, trouver le juste équilibre ». Ce rendez-vous du 2 décembre a donné lieu à ce qu’il est convenu d’appeler désormais le consensus de Dakar, qui entend changer le paradigme dans les relations de l’Afrique avec les organisations bi et multilatérales ainsi que les agences de notation dans la perception qu’elles donnent de l’Afrique, du risque inhérent au Continent, dans l’appréciation des critères de convergence autour des déficits publics, du niveau d’endettement et de son ratio par rapport au PIB, dans la prise en compte des actifs des États, dans la prise en compte de la contrainte exceptionnelle qu’exercent à la fois les chocs climatiques et terroristes, dans une plus grande équité dans les termes de l’échange entourant les matières premières souvent payées en dessous d’un prix soutenable, dans l’urgence de créer un maximum de chaîne de valeur locale pour un meilleur impact industriel, scientifique, économique et social, dans l’amélioration de la qualité des investissements. Au bout du compte, il convient ainsi, comme l’a dit le président Macky Sall en clôturant ladite conférence au nom des chefs d’État et de gouvernement présents, de « poser les bases d’une gouvernance financière mondiale plus équitable afin que l’Afrique, grâce à des investissements massifs, soit en mesure d’être la locomotive de la croissance mondiale ». Dans cette dynamique, le Cercle des économistes et son président ont rendu public à Dakar le 3 décembre, en présence de Cheikh Kanté, ministre chargé du suivi du plan Sénégal émergent auprès du président de la République du Sénégal, un manifeste dont la vocation est de servir de feuille de route au Pacte de Dakar.

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Quelle est l’essence du « Pacte de Dakar » ?

À partir de l’idée qu’il faut créer les conditions permettant de faire de l’économie de l’Afrique la locomotive de la croissance mondiale, le Cercle des économistes a identifié six secteurs d’infrastructures prioritaires pour l’investissement en Afrique. Il s’agit de l’agriculture, l’eau, l’énergie, les transports, les télécommunications et la formation. Il propose de doubler les 50 milliards d’investissement de tous ces secteurs réunis tous les deux ans et ce durant les 15 ans à venir. Objectif : passer les 54 pays africains des 3,4 % de croissance actuelle à 6 %. L’impact attendu sur la croissance mondiale pourrait être de l’ordre de 0,1 à 0,2 point, estime le Cercle des économistes.

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Comment faudrait-il le mettre en œuvre ?

Pour Jean-Hervé Lorenzi et le Cercle des économistes cet effort d’investissement exige que certaines conditions soient remplies. Il doit concerner « des projets intégrés touchant à tous les segments interconnectés. À cela, il faut ajouter une implication dans la formation de capacités locales à même d’être capables de gérer les projets financés. Dans un tel environnement, il convient que la répartition des tâches soit la plus claire possible entre les acteurs publics locaux, les investisseurs privés nationaux et les investisseurs privés internationaux car il s’agit de s’assurer de la cohésion et de la durabilité des projets.

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À propos du volet du financement, le Cercle des économistes préconise une importante mobilisation de capitaux autant nationaux qu’internationaux. Mais, dit-il, « cette mobilisation ne doit pas être exclusivement financière ». L’une des priorités absolue est non seulement de tirer profit de toutes les capacités agricoles du continent en assurant leur transport « dans des conditions satisfaisantes, rapides et efficaces ». Abordant la question des risques liés à la dette sur plusieurs niveaux, le Cercle des économistes milite pour la mise en place d’un mécanisme d’assurance dans lequel les banques régionales comme la Banque africaine de développement, la Banque européenne d’investissement ou la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures protégeraient les investisseurs internationaux. Dernier point mis en exergue par le « Pacte de Dakar » : l’appel aux institutions internationales à reconsidérer leur approche des critères ayant trait aux déficits budgétaires et au niveau des endettements. Pour le Cercle, ces contraintes ne doivent pas empêcher d’atteindre l’objectif de 6 % qui ferait de l’Afrique la locomotive de l’économie internationale.

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Sur des questions ayant trait à ce pacte comme sur celles de l’endettement, Jean-Hervé Lorenzi s’est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : Quel profil la dette africaine doit-elle avoir pour être vertueuse ?

Jean-Hervé Lorenzi : La dette africaine doit être d’au moins 50 % de dette privée pour être vertueuse.

Qu’est-ce qui fait que la dette de certains pays africains est insoutenable ?

C’est une dette qui est essentiellement dédiée à rembourser la dette passée ou des dépenses de fonctionnement et non des dépenses d’investissement.

Derrière la dette africaine, sa soutenabilité et sa justification, la question qui est posée n’est-elle pas qu’il faut changer les ressorts structurels actuels des économies des pays du Continent ?

Si oui, lesquels ?

La question n’est pas de changer les ressorts structurels, mais de mettre en valeur toutes les ressources disponibles du continent. Selon nous, il faut doubler en trois ans les investissements en infrastructure en mettant en priorité tout ce qui permet au Continent de devenir une des toutes premières puissances agricoles mondiales. Ceci conduit donc à privilégier l’eau, l’énergie et le transport des produits agricoles.

Quelles carences avez-vous identifiées dans les économies des pays africains et quelles réformes vous paraissent devoir être faites au niveau local pour y remédier ?

Les principales carences sont encore dans le domaine de la formation et ce sont évidemment les conditions nécessaires pour mettre en bon fonctionnement les investissements d’infrastructures.

Pris dans la nasse des règles qui régissent les échanges internationaux, les pays africains sont dans l’incapacité de faire naître et développer des écosystèmes générateurs de valeur ajoutée locale à même de fournir des emplois et de créer des marchés de plus en plus importants. Que faudrait-il changer pour enclencher une dynamique inverse ?

Il faut que les contraintes posées aux pays africains qui sont soumis aux chocs sécuritaire et climatique soient assouplies en fonction de la situation de chacun des pays. C’est ce qu’il faut que les institutions internationales comprennent et mettent en œuvre.

Au fil des années, les économies africaines se sont progressivement privatisées avec des marchés de plus en plus ouverts. Si des acteurs internationaux ont pris leurs parts dans les investissements, on constate que les locaux ne s’engagent pas au niveau qu’ils devraient. Que proposez-vous pour les encourager à augmenter leur quote-part ?

Le maître mot autour de l’investissement, que ce soit pour des investisseurs nationaux ou internationaux, est celui de la sécurité. Tout doit être mis en œuvre pour assurer la sécurité géostratégique d’un certain nombre de pays et des codes d’investissement qui garantissent pérennité et sécurité.

On parle beaucoup de développement durable pour l’Afrique. Que serait pour vous un investissement durable pour l’Afrique ?

Le premier critère d’un investissement durable est de ne pas augmenter l’empreinte carbone. L’Afrique a tout pour développer des énergies renouvelables, donc non carbonées.

Quand on observe les liens de l’Afrique avec le FMI et la Banque mondiale, on a l’impression, justifiée ou pas, de relations déséquilibrées qui ont conduit à des écosystèmes plus de gestion de la pauvreté que de création de richesses. Certains accusent même les organismes de Bretton Woods d’être des fabriques de pauvreté. Quelle réflexion vous suggère cela ?

Le FMI vivait dans la vision de ce qui était le consensus de Washington qui privilégiait avant tout l’équilibre et donc mettait en avant des contraintes peu favorables à la croissance et au développement. Il semble que l’opinion du FMI évolue. Le « consensus de Dakar » s’est fixé pour objectif de transformer la vision que le FMI, et les autres organisations internationales, pouvaient avoir de l’économie en développement notamment en diminuant drastiquement la vision négative qu’elle donnait de l’économie africaine gérée de manière très saine et qui ont besoin d’avoir des taux d’intérêt et des taux de rentabilité exigés, analogues à ce qui est demandé dans les autres parties du monde.

Après l’ère de la coopération, celle du codéveloppement. Quels aménagements doivent être faits dans les économies des pays du Nord comme dans celles des pays du Sud pour que la réalité ne soit pas un leurre ?

Le codéveloppement ne se mettra en œuvre qu’à la condition indépassable que l’Afrique ait la vocation d’être une des locomotives de la croissance dans le monde. Tant que cette opinion ne sera pas admise, on ne pourra pas mettre en œuvre des politiques vertueuses.

Source: Le Point