Chanteur, compositeur, danseur, Johnny Clegg a su marier les rythmes sud-africains avec les mélodies pop. Et cela parce qu’il était zulu dans le cœur et dans l’âme. Celui qui est connu dans le monde entier par son surnom de «Zoulou blanc», a offert plusieurs tubes mondiaux dont «Asimbonanga», avant de s’éteindre le mardi 16 juillet 2019 (à 66 ans) entouré de sa famille. Johnny Clegg avait fait de sa musique une redoutable arme contre le racisme et le régime de l’apartheid. C’est pourquoi il est considéré comme un héros national dont l’Afrique du Sud fera longtemps le deuil.

 

«Johnny est décédé paisiblement aujourd’hui (mardi 16 juillet 2019), entouré de sa famille à Johannesburg, après une bataille de quatre ans et demi contre le cancer», a annoncé son manager Roddy Quin sur la chaîne de télévision publique sud africaine, SABC. Et oui, la partition est terminée, mais la symphonie restera éternellement belle car c’est une œuvre achevée.

Chanteur et danseur, Johnny souffrait d’un cancer du pancréas qui ne l’avait pas récemment empêché d’entreprendre une tournée mondiale d’adieu. «Il s’est battu jusqu’au bout», a expliqué son manager.

Né en 1953 au Royaume-Uni, d’un père britannique et d’une mère zimbabwéenne chanteuse de jazz de cabaret, Jonathan Clegg alias Johnny Clegg a débarqué à l’âge de 7 ans dans une Afrique du Sud où la minorité blanche régnait en maître absolu sur la majorité noire. Les yeux ouverts dans un pays borgne, il se glisse dès 15 ans dans les foyers de travailleurs noirs, au mépris des interdits.

Là, il découvre les danses et les mélodies zouloues et s’invite secrètement pour danser avec les troupes traditionnelles. L’homme étant les fruits de son éducation, il a préféré la raison humaine aux préjugés racistes. Initié aux cultures locales par son beau-père journaliste, Johnny Clegg assure que son refus de l’apartheid n’a rien de politique. «Je n’étais pas motivé politiquement, mais culturellement. J’aime la musique et la danse», expliquait-il simplement.

«A 17 ans, il a formé son groupe, Juluka. C’était comme défier directement le gouvernement de l’apartheid. Les Blancs vivaient d’un côté et les Noirs de l’autre. Alors eux qui jouaient ensemble, c’était comme s’ils faisaient un bras d’honneur ! A cette époque, il faut se souvenir que tout pouvait arriver, il aurait pu être tué», rappelle, Richard Nwamba, présentateur radio basé à Johannesburg qui a régulièrement croisé le chemin de Johnny Clegg. Il a tenu à témoigner sur son courage, alors qu’il bravait les lois de l’apartheid.

Selon lui, le «Zulu Blanc» ne s’inspirait pas seulement de la musique zouloue, mais aussi de sa culture dans son ensemble, dont il est tombé amoureux. «C’était un des premiers Blancs à vouloir jouer ce qui était considéré comme une musique Inférieure, de la musique noire. Mais, il a rendu les langues noires respectables. Tout comme les danses, et la culture», précise-t-il.

Ce que le monde, ce que l’humanité, ce que la vie retiendra de chacun retiendra de chacun de nous, ce n’est pas forcément la couleur de notre peau, notre religion, mais surtout nos actes, notre engagement, les convictions à la défense desquelles nous avons consacré notre vie. L’amour comme la haine n’ont pas de couleurs…

De Johnny Clegg, on retiendra qu’il a combattu l’apartheid avec l’arme qu’il maîtrisait le mieux : la musique. Il a ainsi su conquérir et engager des citoyens du monde entier dans son combat pour la libération de l’Afrique du Sud du joug de la colonisation raciste.

C’est en 1987 que Johnny a composé «Asimbonanga». Une chanson dédiée à Nelson Mandela, le héros de la lutte contre l’apartheid, qui a été un temps interdite en Afrique du Sud par le gouvernement raciste blanc, avant de devenir un symbole de la «Nation Arc-en-ciel» une fois le régime de l’apartheid tombé en 1994.

«Asimbonanga» signifie «nous ne l’avons pas vu» en zoulou. «Non seulement on a mis ce vieil homme en prison, mais, en plus, on a interdit la publication de ses photos ! Cela montrait combien le gouvernement était répressif», dénonçait-il à propos de Nelson Mandela.

La Nation «Arc-en-ciel» en deuil

«C’est comme si nous étions tous nés une seconde fois.  La lutte était plus simple autrefois… On vivait ici dans un tunnel, coupés du reste du monde, on se définissait contre, menant une bataille qui masquait toutes les autres», avait déclaré à la fin de l’apartheid en 1994. «Aujourd’hui, on est aux prises avec toute une série d’enjeux et de conflits liés à la pauvreté, la construction d’une nation, le sida, la mondialisation», avait aussi récemment dénoncé le musicien dont l’Afrique du Sud portera longtemps le deuil.

Le «Zoulou Blanc» a donc su puiser dans la culture zouloue son inspiration pour écrire une musique révolutionnaire dans laquelle «les rythmes africains endiablés cohabitaient avec guitare, clavier électrique et accordéon». Sur scène, ses concerts relevaient de la prouesse physique, avec chansons et danses zoulou effrénées.

«Johnny Clegg a joué un rôle majeur en Afrique du Sud en faisant découvrir différentes cultures et en rapprochant ainsi les gens», a expliqué son manager dans le communiqué annonçant sa mort. Et d’ajouter, «il nous a montré ce que cela signifiait d’embrasser d’autres cultures sans perdre son identité… Avec son style unique de musique, il a surmonté les barrières culturelles comme peu l’ont fait».

Après une nouvelle rémission d’un cancer du pancréas diagnostiqué en 2015, il s’était lancé deux ans plus tard dans une tournée mondiale d’adieu dont il réussira à honorer toutes les dates, les dernières en 2018. «J’ai eu une carrière gratifiante à bien des égards… En réussissant à rassembler des gens grâce à des chansons, surtout à un moment où cela semblait complètement impossible», s’était-il félicité tout au long de cette tournée.

Né dans une famille d’immigrés, ce musicien réputé était en fait anthropologue de formation. Au cours de sa carrière, le chanteur a vendu plus de 5 millions d’albums. Avec sa musique, il a défendu l’Afrique du Sud et le continent par son engagement, et showbiz mondial par son talent. Au point de contraindre une méga star mondiale à faire profil bas. Ainsi, des témoins rappellent qu’en 1988, Johnny Clegg se produisait sur scène en France. Et le même soir, Michaël Jackson était programmé dans une autre salle.

Mais, l’Américain a dû annuler son show car les places ne se vendaient pas assez, tandis que le concert de Clegg affichait complet avec 40 000 spectateurs conquis par les rythmes de la danse africaine. Les médias résument alors cette rivalité musicale par «ce blanc qui chante comme un Noir a plus de succès que ce Noir qui aimerait être blanc» ! Ironie du destin !

Jonathan Johnny Clegg restera sans doute le symbole de la force invincible de la fraternité face au racisme, à la violence et à l’ignorance.

Adieu le Zulu !

Moussa Bolly

Source : Le Matin