(Ecofin Hebdo) – Longtemps pointés du doigt pour leur faible soutien au secteur, les gouvernements africains ont pour la plupart entamé de vraies actions pour améliorer l’environnement d’affaires dans le secteur agricole. Si les obstacles restent nombreux, le continent a connu une belle progression entre 2016 et 2019, selon l’édition 2019 du rapport « Enabling Business of Agriculture (EBA) » de la Banque Mondiale.

Lancé pour la première fois en 2015, le rapport EBA de la Banque mondiale met l’accent sur l’évaluation des réglementations, des politiques et les infrastructures qui impactent les acteurs du secteur agricole ou de l’agrobusiness.

S’il reste moins connu que le Doing Business, l’une des publications phares de la Banque mondiale qui effectue une analyse comparative de l’efficacité du droit des affaires, l’EBA n’en reste pas moins important pour les décideurs. En effet, son principal objectif est de fournir aux dirigeants, un outil pouvant faciliter l’installation d’un environnement propice aux entreprises agricoles ou agro-industrielles, aussi bien au niveau local que régional.

 

Le rapport EBA est le « Doing Business » du secteur agricole.

 

Afin d’établir son classement, l’EBA se base sur 8 indicateurs que sont la fourniture de semences, le commerce, la durabilité de l’élevage, l’accès au financement, la protection des végétaux, l’approvisionnement en eau, la fourniture d’engrais et la mécanisation.

Ces critères mettent en évidence les pays les plus performants, permettent de mesurer la progression, d’identifier les obstacles réglementaires à la participation des producteurs au marché et autres freins à l’entrepreneuriat agricole.

Pour cette édition 2019, le rapport a scruté l’environnement des affaires pour 101 pays répartis en Afrique, en Asie, en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique. Selon ses conclusions, à l’échelle globale, 47 pays sur les 101 ciblés ont mis en œuvre 47 réformes réglementaires entre 2016 et 2018. Plus de la moitié des réformes observées ont concerné la fourniture de semences, l’accès au financement et la protection des végétaux.

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Scores EBA 2019 des pays étudiés

Le trio de tête de ce classement est composé de la France (93,70/100), de la Croatie (92,68) et de la République tchèque (92,32). Pour tous les domaines évalués, ces pays allient une bonne réglementation à des processus efficaces, même si aucun d’eux n’a obtenu un score parfait.

Si globalement 17 des 20 premiers pays sont en Europe, la Banque mondiale souligne que le continent africain est la zone dont le paysage réglementaire a le plus évolué depuis 2016.

En ce concerne l’Afrique, le numéro un est l’Afrique du Sud (68,73), suivi par le Kenya (64,80) et le Maroc (64,02). Si globalement 17 des 20 premiers pays sont en Europe, la Banque mondiale souligne que le continent africain est la zone dont le paysage réglementaire a le plus évolué depuis 2016.

 

Le continent africain, leader dans les réformes

L’Afrique est la partie du monde qui a connu le rythme le plus rapide de réformes en faveur du secteur agricole. Le continent africain affiche 4 pays dans le top 10 des nations qui ont amélioré leurs réglementations entre 2016 et 2019.

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Top des 10 pays ayant amélioré le plus leurs indicateurs entre 2016 et 2018

 

La Sierra Leone est le pays ayant le plus réformé son environnement pour les activités agricoles, sur la période étudiée. Alors que 75% de la population du pays travaille dans le secteur agricole, le Parlement du pays a adopté en 2017 une loi sur les semences, une première dans l’histoire du pays qui ne disposait pas jusque-là d’un régulateur des semences.

Cette disposition réglementaire établit désormais un processus d’enregistrement formel des semences écoulées sur le marché et intègre un système d’assurance qualité. Ce point reste important dans la mesure où le secteur semencier informel est celui qui domine le marché avec la plupart des agriculteurs qui conservent leurs propres semences, variétés locales et améliorées. Sur le front de la gestion de l’eau, le pays ouest-africain a aussi promulgué une loi qui requiert la disponibilité de l’information sur les ressources en eau et une implication active de ses bénéficiaires, notamment les femmes, dans sa gestion.

Hormis la Sierra Leone, le Burundi, le Malawi et le Mozambique se sont également distingués sur la scène des réformes.

Hormis la Sierra Leone, le Burundi, le Malawi et le Mozambique se sont également distingués sur la scène des réformes. Au Burundi, les autorités ont rendu public un catalogue officiel des variétés de semences afin de faciliter l’accès aux informations. Le pays d’Afrique de l’Est a également amélioré sa législation phytosanitaire grâce à une loi qui oblige les habitants à signaler les incidents liés aux nuisibles et qui privilégie une approche basée sur le risque pour les inspections à l’importation.

Du côté du Malawi, les autorités ont notamment adopté en 2017, une loi spécifiant les droits et les obligations des différentes parties prenantes dans le mécanisme du système de récépissé d’entrepôt. Cette démarche permet aux producteurs de stocker leurs récoltes au lieu de les brader pour leurs besoins immédiats de fonds et leur permet d’obtenir des récépissés d’entrepôt (RE) pouvant servir de garantie, en échange d’un prêt bancaire pour financer leur activité. La mesure législative devrait permettre de prévenir les litiges et renforcer la confiance entre les parties engagées dans le processus.

Cette démarche permet aux producteurs de stocker leurs récoltes au lieu de les brader pour leurs besoins immédiats de fonds et leur permet d’obtenir des récépissés d’entrepôt (RE) pouvant servir de garantie, en échange d’un prêt bancaire.

Pour sa part, le Mozambique a augmenté l’accès à des engrais de meilleure qualité, en mettant en œuvre un processus d’enregistrement des engrais, selon la Banque mondiale.

En dehors de ce quatuor, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne s’efforcent également d’améliorer le climat des affaires en faveur des acteurs agricoles, notamment sur le plan phytosanitaire, véritable point d’achoppement des exportations agricoles vers des destinations européennes et asiatiques.

Le Ghana figure ainsi parmi les 7 pays ayant amélioré la disponibilité en ligne des informations phytosanitaires, comme la liste des produits nuisibles prohibés et les données détaillées sur les maladies et nuisibles.

Dans la même catégorie, le Rwanda et la Côte d’Ivoire se font remarquer grâce à l’introduction d’un système de soumission électronique des certificats phytosanitaires.

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Siméon Djankov : « Il faut faire davantage pour aider les agriculteurs à travers les réformes réglementaires.»

 

Sur le plan des engrais et des semences, des progrès sont aussi réalisés dans certains pays comme le Kenya. Le pays d’Afrique de l’Est facilite notamment l’accès des agriculteurs aux variétés de semences étrangères déjà enregistrées à l’étranger. En procédant ainsi, les autorités évitent la duplication des démarches d’enregistrement, limitent les retards dans le processus et renforcent également le rôle du secteur privé dans la tierce certification des semences. Grâce à cette réforme sur l’efficacité de l’enregistrement des semences, le Kenya compte parmi les 20 premiers pays, en ce qui concerne le critère de fourniture de semences.

En RDC, des dispositions rendent obligatoire l’inclusion des producteurs agricoles dans les programmes de planification de la gestion de l’eau.

Dans d’autres secteurs comme l’eau, on peut aussi souligner les initiatives de réformes au Maroc, avec des mesures permettant la publication des données sur les ressources en eau, ou encore en RDC où des dispositions rendent obligatoire l’inclusion des producteurs agricoles dans les programmes de planification de la gestion de l’eau.

 

Des défis encore nombreux à relever

Même si les réformes se sont accélérées sur le continent, ces deux dernières années, la Banque mondiale indique que les efforts à fournir restent considérables afin de permettre à l’agriculture de jouer pleinement son rôle économique et social. « Nous savons que la croissance de l’agriculture est deux à trois fois plus efficace pour réduire la pauvreté que celle des autres secteurs. Il faut faire davantage pour aider les agriculteurs à travers les réformes réglementaires afin qu’ils puissent développer leurs activités et prospérer », a affirmé Siméon Djankov, directeur de l’économie du développement à la Banque mondiale.

« Nous savons que la croissance de l’agriculture est deux à trois fois plus efficace pour réduire la pauvreté que celle des autres secteurs.»

Cela reste particulièrement important dans la mesure où l’agriculture africaine qui fournit déjà en moyenne 25 % du PIB, devrait être davantage sollicitée dans les prochaines années, avec le double défi de l’alimentation et des changements climatiques.

D’après la Banque mondiale, 14 pays d’Afrique subsaharienne figurent parmi les 20 pays les moins bien placés pour les indicateurs. Le Liberia, voisin de la Sierra Leone, reste notamment en-dessous de la plupart des indicateurs de l’étude. « Dans le pays où l’agriculture compte pour 37 % du PIB, il manque notamment des mesures de régulation sur la fourniture de semences, l’enregistrement des engrais, des normes standards pour assurer une meilleure qualité de l’alimentation animale et l’absence d’opportunités viables pour accéder aux crédits par le biais des récépissés d’entrepôt », souligne le rapport.

Plus globalement, la Banque mondiale indique que les écarts des pays subsahariens sont encore élevés dans des domaines comme l’enregistrement des engrais (73%), la protection des végétaux (64%) et la durabilité des systèmes d’élevage (59%).

Espoir Olodo