Fatimata Sy dirige le Partenariat de Ouagadougou, un programme qui encourage la contraception dans neuf pays où le sujet reste très sensible.

Son combat lui a valu des accusations violentes. « Elle veut tuer nos enfants et anéantir la population africaine ! Elle est de mèche avec les Occidentaux ! » Fatimata Sy aura tout entendu. A 65 ans, cette Sénégalo-Mauritanienne dirige depuis 2012 le Partenariat de Ouagadougou, un programme de planification familiale lancé un an plus tôt dans neuf pays d’Afrique francophone pour permettre aux femmes d’accéder aux méthodes modernes de contraception. Dans une région où le sujet est particulièrement sensible, l’initiative ne plaît pas à tout le monde. Mais Fatimata Sy n’a pas l’habitude de se laisser abattre. Imperméable aux critiques, elle poursuit son objectif : donner aux femmes le droit de choisir« combien d’enfants elles souhaitent avoir et quand », afin de faciliter leur accès à l’éducation et au travail. L’enjeu est énorme. « On ne peut pas parlerd’émergence économique tant que les femmes n’ont pas leur place sur le marché du travail. Or l’Afrique francophone est très en retard sur l’accès à la contraception, un facteur essentiel à l’autonomisation des femmes », analyse Fatimata Sy. Lire aussi : En Afrique, l’accès à la contraception menacé par le désengagement américain décidé par Trump Les défenseurs du planning familial espèrent accélérer la croissance économique de la région en maîtrisant le taux de fécondité. « Il y a encore trop de jeunes sans emplois. Et il faut construire plus d’écoles pour ceux qui viennent au monde. Tout cela est un fardeau que l’on doit absolument alléger,explique Modibo Maïga, conseiller à l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (Usaid). La planification familiale permet de réduire la mortalité infantile et maternelle mais aussi de capturer le dividende démographique pour que les jeunes puissent se mettre au travail et créer des richesses. Or, à ce rythme de naissances, ça va être difficile. » « La stigmatisation reste très prégnante » Depuis 2011, le Partenariat de Ouagadougou a contribué à faire passer le nombre d’utilisatrices de contraception moderne de 3 à 4,35 millions dans les pays membres : Togo, Sénégal, Mauritanie, Guinée, Mali, Niger, Burkina Faso, Côte d’Ivoire et Bénin. « C’est plus que ce que nous espérions. Et, àl’horizon 2020, nous visons 2,2 millions de femmes supplémentaires. » Fatimata Sy ne cache pas sa fierté. De passage à Paris, en novembre, pour convaincre le gouvernement français de l’importance de l’accès à la contraception au moment où les Etats-Unis menacent de se désengager, elle dégage à la fois une forte détermination et un grand calme. Au quotidien pourtant, la tâche est rude. Surnommée « Mama Partenariat », Fatimata Sy mène la bataille sur tous les fronts. Financier d’abord, car si le Partenariat réunit neuf pays africains, ses principaux fonds proviennent des Etats-Unis – l’Usaid est le principal investisseur – et de la France. « En Afrique francophone, les besoins pour maîtriser la démographie sont énormes, mais le planning familial n’est pas une priorité nationale. Les ressources allouées par nos gouvernements ne sont pas à la hauteur et nous sommes toujours dépendants des pays occidentaux », regrette-t-elle. Lire aussi : « C’est aux femmes africaines de décider combien elles veulent d’enfants, quand et avec qui » Pour coordonner les bailleurs de fonds étrangers et les gouvernements locaux, elle a lancé les « caravanes » : des voyages organisés chaque année dans un pays membre pour montrer que les investisseurs mesurent les enjeux locaux et les progrès réalisés. « Fatimata a l’incroyable faculté de travailler avec tout le monde et de fédérer les acteurs. Elle connaît mieux que personne la culture et les besoins de la région. En tant que femme africaine, elle a une crédibilité incontestable », affirme Beth Schlachter, directrice du partenariat mondial Family Planning 2020. Sur une problématique aussi délicate, en français, en anglais, en wolof ou en puular, « elle a l’art de choisir les bons mots, avec diplomatie et subtilité », témoigne le docteur Didier Mbayi Kangudie, conseiller santé pour le bureau régional de l’Usaid au Ghana. L’autre grand défi est de changer les mentalités, de lutter contre les superstitions et les rumeurs qui circulent sur la contraception. « Nous sommes confrontés à des enjeux culturels et religieux de taille. La stigmatisation reste très prégnante. Alors nous avons fait appel aux chefs religieux, qui encouragent l’utilisation de la contraception en se basant sur des textes du Coran et de la Bible », raconte la directrice du Partenariat. « Seule l’élite pratique la contraception » Ce n’est pas un hasard si Fatimata Sy milite pour le planning familial. « Chaque Africain connaît au moins une femme dans son entourage qui est morte en couches à cause des grossesses rapprochées. Moi, c’étaient ma tante et ma cousine. » Ce souvenir a marqué son engagement. « Mais au-delà de l’émotion, il y a un combat réel. L’accès à la contraception est un droit. Autour de moi, je vois que seule l’élite la pratique. Or je veux que mes sœurs dans les campagnes y aient aussi accès. » Née d’un père sénégalais et d’une mère mauritanienne « d’une ethnie très conservatrice », celle qui voulait devenir médecin « pour materner tout le monde » a fait toute sa carrière dans la santé et l’aide au développement. Fonctionnaire de l’Usaid au Sénégal pendant treize ans, elle a travaillé sur l’accès au traitement contre le VIH pour les minorités, en particulier la communauté gay. Elle a rejoint le Partenariat de Ouagadougou après un passage à la Banque mondiale et à FHI 360, une ONG américaine. Lire aussi : La santé des femmes africaines au cœur de la politique française de développement A 65 ans, Fatimata Sy n’a pas d’enfants et « l’assume ». Mais ses détracteurs utilisent volontiers l’argument pour alimenter les critiques dans une région où féminité et maternité sont souvent liées. « Un jour, un député sénégalais m’a dit : “Ah ! c’est vous qui empêchez nos femmes d’avoir des enfants !” Ils pensent que je suis sous l’emprise des Occidentaux », s’exaspère-t-elle. « C’est vrai que le planning familial est souvent assimilé à l’Occident, reconnaît Modibo Maïga. On croit que l’objectif est de limiter la population, or nous voulons baisser la mortalité maternelle, infantile et néonatale, nous voulons que les femmes se portent mieux et que la population soit en adéquation avec les ressources dont nous disposons. » Aujourd’hui, le financement reste le nerf de la guerre. « Nous ne voulons plus être tributaires de l’aide internationale », souligne Fatimata Sy. La décision prise par Donald Trump de couper certains financements fait trembler les militants de la planification familiale. Car si le gouvernement américain se retire, même avec toute la bonne volonté de Fatimata Sy et de son équipe, les récents progrès accomplis sur l’accès à la contraception en Afrique francophone seront sérieusement menacés.

Source: lemonde