Le 28 Novembre dernier, le chef de l’Etat français se rendait à Ouagadougou pour y prononcer un discours, que ce dernier voulait comme une rupture d’avec les pratiques anciennes des dirigeants français. Au-delà des incidents qui ont pu avoir lieu au cours de cette visite et de la rencontre avec les étudiants (que nous considérons moins grave) nous avons décidé de porter notre analyse sur le fond du texte du Chef de l’Etat Français.

D’abord, remarquons que la relation France-Afrique est malaisée et le malaise était perceptible dans cette attitude incessante du Président français qui affirmera par ailleurs plusieurs fois dans le texte «je ne vous donnerai pas de leçons» [P.2, 3, 8, 11…]. Mais le contenu du texte montrera qu’il ne faisait que donner des leçons. «Je vous dis quelle est ma part, quelle sera la vôtre, les habitudes qu’il faudra rompre…»P [11,18..].

Cette belle rhétorique ne peut en aucun cas cacher la réalité du discours de Macron qui ne diffère pas de celui de Sarkozy en 2007.  Nous avons eu en face de nous un Chef d’Etat français qui s’est exprimé comme le président africain, montrant une méconnaissance de l’histoire africaine, voire la niant même, justifiant de manière insidieuse l’intervention française par la faiblesse des institutions africaines et surtout voulant mettre à dos la population africaine et leurs dirigeants. Dans la suite du texte, nous allons décrypter les différents aspects sus-cités.

 A- MACRON, L’HISTOIRE AFRICAINE ET LA CULTURE

Le jeune président français est très malin. Pour s’autoriser de dire des choses à l’Afrique et aux Africains, de manière violente sans que cela ne soit vu comme le discours du colon aux colonisés, du dominant aux dominés, Monsieur Macron se confond à l’Afrique et plusieurs fois fera croire que lui et les Africains ont le même destin et vivent les mêmes réalités. «Je suis comme vous d’une génération qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé» [P.2]. Plusieurs fois il utilisera le «nous» pour confondre la jeunesse africaine, les combats de la jeunesse africaine à la sienne. Il citera Thomas Sankara, Ahmadou Kourouma etc. Cette forme d’appropriation de la «nationalité africaine» lui confère alors le droit de dire des choses qui choquent, mais qu’on se dit «franchement» entre nous «Africains».

Et c’est la meilleure manière de tuer le combat de l’adversaire, c’est de se l’approprier et en affaiblir la substance. Et au nom de cette «naturalisation», Macron se permettra de dire que nous sommes pareils, dans le sens où nous n’avons pas connu une Afrique colonisée, et que nous devons dépasser nos blessures communes et penser à l’avenir. Nous devons sortir des «faux discours» [P.18]. Il dira par ailleurs que l’Afrique est «pluriel» [P2]. Et qu’il est important d’encourager l’écriture de l’histoire de l’Afrique par les Africains. [P.25]. Ici, de manière sereine, Macron en s’improvisant historien, vient montrer sa méconnaissance de l’histoire de l’Afrique et des Africains. Et cela n’étonne guère, puisqu’il dira plus loin «Et donc on ne connaît pas l’Afrique, la jeunesse française connaît très mal l’Afrique» [P.25] d’où la mise en place de la Saison des cultures.

Sinon, comment peut-on ignorer les travaux de Joseph Ki-Zerbo sur l’Afrique et surtout le travail fabuleux du Pionnier Cheikh Anta Diop et tous les historiens africains qui abattent un travail gigantesque ? Macron, en se naturalisant Africain, s’est donné le droit de nier à l’Afrique son identité, «Son fond d’âme» pour voler l’expression à un Poète-écrivain. Comment peut-on reconnaître soi-même que les barrières linguistiques, de représentations entre pays africains etc., que «toutes ces barrières-là sont artificielles» [P.2] et parler d’une Afrique plurielle ? Si nous devons faire ressortir les contradictions dans le discours de Macron, nous ne nous en sortirons pas.

Pour parachever sa volonté de nous assimiler et de nous nier, le Président Macron nous dira que la culture est importante et que pour cela nous devons entre autre défendre avec «détermination» la langue française. Car la langue française qui lui a permis de convaincre et de devenir président, pourra nous libérer et permettre à des Africains d’être comme lui. Autrement dit, l’Afrique n’existe pas linguistiquement. Sa langue est et doit être celle de la France, qu’elle doit défendre au sein de la Francophonie. Macron est certes brillant et éloquent, mais sur la question africaine, il a montré sa faiblesse et aussi qu’il est dans le continuum de la pensée dominante occidentale : L’AFRIQUE DOIT ETRE CIVILISEE.

 B- MACRON, PRESIDENT DE L’AFRIQUE.

En outre, le président Macron s’adressera à la jeunesse africaine, à l’université de Ouagadoudou, comme le Chef de l’Etat de l’Afrique. «J’irai écouter la jeunesse africaine où qu’elle se trouve pour lui montrer que je suis à ses côtés» [P.6]. Le Président Macron étalera sa politique africaine pour le développement de l’Afrique dans tous les domaines, comme le ferait un président africain. Et pour lui ce sera la «contribution française à la réussite de tout un continent». [P.6] Les soldats français de la Minusma, de Barkane présents dans la bande sahélo-saharienne «risquent chaque jour leur vie pour lutter contre le terrorisme, protéger vos enfants, pour vous aider» [P.10].

L’aide publique au développement atteindra 0.55% du revenu national, «Je proposerai à Abidjan, une initiative euro-africaine pour mettre un terme….»[P.7], «la France s’engage massivement pour contribuer à la formation des professeurs» P.12, «je demanderai à l’agence française de soutenir en priorité les programmes visant à la scolarisation des jeunes filles»[P.14] « ce dont l’Afrique a besoin ce sont des financements pour ouvrir des structures de soins» [P.16] «J’ai la fierté de penser que la France…..contribuer…à changer un peu la vie et le quotidien des coupures d’électricité» [P.17] etc.

On peut citer à profusion dans tout le corps du texte, la politique de la France pour l’Afrique. Et lorsqu’un étudiant écoute pendant près deux heures, le président français, s’exprimer comme le président africain, parler de programmes de développement sans nous dire si cela fait partie des programmes de développement des pays concernés, ou si la politique française en Afrique est autonome, car Macron n’a cité aucun programme de développement en Afrique ; il est de bonne guerre qu’on lui demande à quand la fin des coupures d’électricité au campus et surtout de l’Etat du PNDES !!!

En reformulant la question des étudiants on dirait : Vu que vous êtes notre président, au vu de tous ce que vous venez d’étaler comme programme, dites-nous Monsieur le président, à quand la fin du délestage au campus ? (cf. citation ci-haut, puisqu’il l’a lui-même dit) et que devient le PNDES ? Les questions «supposées» idiotes des étudiants sont pour nous les plus intelligentes et celles-là même qui ont mis à nu la nature du discours de Macron à l’Amphi libyen : Monsieur Macron, en s’appropriant la «nationalité africaine» s’est posé en chef de l’Etat de l’Afrique et à étaler son projet de développement de l’Afrique.

C- LA FAIBLESSE DES INSTITUTIONS AFRICAINES VUE PAR MACRON

Pour nous, il s’agit de réfléchir froidement sur la suite à mener devant un tel discours qui ne tranche pas avec les anciens discours : méconnaissance de l’Afrique, négation de l’Afrique et posture de président de l’Afrique, et donc donneur de leçon. Macron dans son discours posera froidement un discours vrai sur le diagnostic de l’Afrique. L’idée de Macron est que tant que l’Afrique et ses institutions régionales seront faibles, la France interviendra toujours en Afrique. Car pour lui,  «pour que l’UA soit en effet plus présente et plus crédible encore, il faut des forces régionales militaires crédibles et construites…» [11] ….

Et «c’est un fardeau que nous partageons et demain ce sont en effet des organisations régionales et plus réactives qui ont vocation à prendre le relai» [P.11]. et vu que vous n’avez pas la possibilité de faire respecter vos codes des investissements «les entreprises françaises qui viendront investir en Afrique et se développer et qui auront le soutien de l’Etat français seront exemplaires car je leur demanderai aussi d’investir dans la formation professionnelle, ce sera une condition que je fixerai…elles devront s’engager dans la durée, financer des bourses, s’engager à développer des offres répondant aux besoins de formation et enfin privilégier l’emploi local» [P.23].

Ce discours froid traduit malheureusement, une réalité, qui est celle de la faiblesse de nos organisations sous-régionales. Et la France s’engage à intervenir, d’ailleurs elle est contrainte d’intervenir ; la misère en Afrique va entraîner un envahissement de l’Europe «parce que nous avons cette Histoire commune mais parce que nos parents, nos frères, parfois nos enfants ont fait ce choix d’enjamber les continents et les mers» [P.3]. La France interviendra donc tant que l’Afrique ne pourra se prendre en charge ! En ironisant sur le président de la République, il confirmera cette assertion que nous paraphrasons «Quand le Burkina pourra se prendre en charge en réparant la climatisation, elle pourra nous convaincre dès lors qu’elle est capable de gérer une monnaie, son FCFA». Aussi, douloureux que cela puisse paraître, Macron nous jette à la figure cette triste vérité : «Vous êtes faibles, et nous allons être présents que vous le vouliez où nous, car nos destins sont liés».

D- VERS UN NOUVEAU PARADIGME POUR L’INTELLIGENTSIA ET LA POPULATION AFRICAINE

La question est de savoir quelle attitude nous devons adopter face à ce discours et à tous les discours des dirigeants français sur l’Afrique. Nous ne devons pas prendre comme finalité la critique du discours, l’indignation face à ce discours, mais nous devons prendre cela comme un point de départ de notre réflexion stratégique. Il n’est guère utile de chercher des coupables où des innocents. La nouvelle dynamique africaine doit partir de ce constat que nous-mêmes faisons tous les jours, de la faiblesse de notre système. Nos bases sociales, politiques, philosophiques et intellectuelles sont faibles et fragiles. Si le discours de Macron nous indigne et nous fruste, tant mieux ; nous devons saisir cette opportunité de la frustration dite «frustration initiale» et la transformer en une bombe, une force et un défi.

Pleurer n’est que l’arme des faibles devant une injustice qu’elle est incapable de combattre. Les pays asiatiques ont montré un bel exemple de la transformation de cette frustration initiale, transformée en une bombe, un défi pour l’avenir. Pour cela, il faut faire revivre le «fond d’âme» des Africains. Cette lumière interne, limpide qui brille en chacun des Africains, qui les éclaire sur les combats et les guerres de leurs anciens. La posture de guerrier est morte en nous. Nous n’aimons plus les guerres et les guerriers. Nous aimons la paix, les hommes doux, les hommes de consensus, les hommes compatissants. Le sens de la patrie, du sacrifice pour sa patrie, le respect du guerrier et de la guerre ont disparu.

Nous regardons Macron et nous avons de l’admiration pour ce guerrier, descendant des Bonaparte ! Il ne fait que mener le combat des anciens, il continue la conquête des territoires tel leurs ancêtres. Ils savent que la paix n’existe pas ! Ils sont en guerre et préparent toujours la guerre.  Nous devons sortir de notre sommeil et permettre à la jeunesse africaine de rêver, de se sentir vivre et de se donner les moyens. Le combat révolutionnaire est fait par des hommes enthousiastes, des hommes qui comprennent la nature et la nécessité de la guerre. Nous ne parlons pas de cette guerre sale que nous voyons de nos jours ! La guerre dont nous parlons est celle qui élève les âmes et purifie les esprits et purgent les sociétés de la médiocrité et des médiocres !

Allons-y en guerre contre nos peurs de la guerre et notre peur de nous-mêmes. Allons en guerre contre nos organisations sous-régionales fragiles et incapables de résoudre les problèmes des africains ; allons en guerre contre notre incapacité à nous élever, à briller, à unir nos forces pour en faire une force homogène capable de dominer l’adversaire. J’admire et je respecte la force de nos adversaires, et cela me ramène à moi-même et à mes combats internes.

On ne combat pas un système qui s’est donné pour mission de durer par des actions conjoncturelles ! On combat un système puissant par la constitution d’une stratégie appropriée. Sachant sur quoi repose le système d’en face, sachant ses objectifs, la victoire réside dans la finesse et l’intelligence de notre stratégie. Nous y travaillons !

Vive l’Afrique !

Vive les futurs guerriers africains !

PIIGA Souleymane YAMEOGO, économiste, KDI School of Public Management, South Korea  [email protected]

Le Reporter