Le changement du chef de gouvernement devrait permettre au président mauritanien Mohamed ould Cheikh el-Ghazouani de solder le passé des années de l’ancien président Mohamed ould Abdel Aziz.

 

Un an après sa prise de fonction en qualité de premier ministre, Ismail ould Bedde ould Cheikh Sidiya a remis, le 6 août 2020, la démission de son gouvernement au chef de l’État, Mohamed ould Cheikh el-Ghazouani. Dans la foulée, le Chef de l’Etat a nommé son successeur, Mohamed ould Bilal. Ce qui lui permet notamment de consolider sa majorité présidentielle au sein de la communauté Haratine, ces descendants d’esclaves noirs arabisés qui représentent la principale composante de la population mauritanienne.

Un divorce à l’amiable 

Les relations de confiance réciproque, de respect mutuel et d’une volonté commune de rétablir l’État de droit dans un souci d’assurer la primauté de l’intérêt national ne semblent guère être remise en cause dans ce  » divorce à l’amiable ». Certes, il y a peut être eu quelques incompréhensions et une lassitude chez le premier ministre démissionnaire. En tous cas, la nomination quasi immédiate de son successeur montre à l’évidence que le changement de gouvernement était bien à l’ordre du jour du chef de l’État.

Un rapport d’enquête déclencheur 

Le temps du solde des années de la décennie (2009-2019), de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz, est arrivé. Il n’y aura pas eu une classique  » chasse aux sorcières », dès la prise de fonctions de Mohamed ould Cheikh el-Ghazouani. Ce fut d’abord l’Assemblée nationale, avec la création d’une Commission d’enquête parlementaire (CEN), en janvier 2020, qui engagea le processus, puis ce sera à la Justice, notamment avec le réactivation, le 27 juillet 2020, d’une Haute Cour de Justice, d’être chargée d’instruire et de juger les faits révélés par le rapport de la CEN, remis au Parquet général le 5 août 2020, la veille de la démission de Ismail Ould Bedde ould Cheikh Sidiya.

Certes, le rapport d’enquête parlementaire comporte des lacunes, n’est pas exhaustif, apparaît parfois peu nuancé voire peu convainquant, ce qui a fait dire à certains qu’il s’apparentait à un  » règlement de compte ». En six mois, il était difficile de faire le tour de toutes les gabegies, de tous les  marchés truqués, des systèmes de prédations montés dans certaines entreprises publiques, des privatisations de biens publics. Néanmoins, l’examen des principaux marchés publics mis en cause, la mise à jour de circuits financiers illégaux, les auditions de nombreux anciens ministres, de hauts fonctionnaires, l’exhumation des richesses accumulées indûment, les détournements les plus significatifs semblent bien avoir été mis en lumière dans le rapport d’enquête parlementaire. Des responsabilités, allant bien au-delà de l’ancien président et de ses proches, semblent avoir été mises en évidence. Des ministres du gouvernement d’Ismail ould Bedde ould Cheikh Sidiya n’ont pas échappé à l’enquête parlementaire. Ils devraient donc prochainement répondre de ses accusations devant la justice. Un tel déballage public était inconcevable sans une « opération chirurgicale » de grande ampleur. Afin d’éviter également  d’éventuelles  » éclaboussures » du premier ministre, le chef de l’Etat a probablement estimé qu’il fallait complètement tourner la page de son premier gouvernement. En nommant Mohamed ould Bilal, il ne prend aucun risque sur la question de la probité. Le nouveau premier ministre avait toujours refusé d’entrer dans les combines de l’ancien clan présidentiel. De surcroît, Mohamed ould Bilal offre une carte politique non négligeable.

Un Haratine, Premier ministre

C’est la seconde fois qu’un Haratine accède aux fonctions de premier ministre. Sghaïr ould M’Bareck, après une longue carrière ministérielle, avait été nommé premier ministre (2003-2005), par l’ancien président Maaouya ould Sid’Ahmed Taya. Le nouveau premier ministre n’a pas un parcours aussi brillant que son lointain prédécesseur. Mohamed ould Bilal (57 ans) est originaire de la région de Keur Macène, proche de Saint-Louis du Sénégal et à proximité des importants gisements gaziers et pétroliers off shore que se partagent la Mauritanie et le Sénégal. Mohamed ould Bilal a certes été ministre des Transports puis de l’Équipement, de l’Urbanisme et de l’Habitat (2007-2008) sous la présidence de Sidi ould Cheikh Abdellahi, mais il n’a pas le charisme des leaders historiques de la communauté Haratine que sont Messaoud ould Boulkheir et Biram Dah Abeid.

La division de la communauté Haratine

Jadis proche de l’Alliance Populaire  Progressiste de Messaoud ould Boulkheir, Mohamed ould Bilal a rejoint l’Union Pour la République de l’ancien président Mohamed ould Abdel Aziz et désormais du nouveau chef de l’État. La nomination de Mohamed ould Bilal permet à la fois de réduire encore davantage l’influence déclinante de Messaoud ould Boulkheir ( 77 ans), en semi-retraite au Conseil économique et social, et de contester le leadership des Haratines que revendique  Biram Dah Abeid (55 ans), arrivé second à  l’élection présidentielle de 2019 et ayant une certaine notoriété auprès des organisations internationales des droits de l’Homme.
En fin stratège, le chef de l’État, en nommant Mohamed ould Bilal, espère bien se voir rallier une plus grande partie de la communauté Haratine.

Accessoirement, le leader emblématique Haratine de la Région de Keur Macène, le député-maire de Ndiago, Boydiel ould Houmeid, désormais en disgrâce pour sa proximité avec l’ancien président Aziz, va beaucoup perdre de son aura avec la nomination du nouveau premier ministre. Au parcours atypique, l’ancien secrétaire général de la présidence de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya et plusieurs fois ministre, Boydiel ould Houmeid espérait encore faire partie du gouvernement du nouveau chef de l’État, en dépit de ses problèmes judiciaires. Ne regrettait-il pas, en octobre 2019, que sa région n’était pas représentée au gouvernement ? Il aura été écouté bien au-delà de ses souhaits,  mais peut être pas comme il le souhaitait…

Il faut désormais attendre la nomination du nouveau gouvernement et les résultats des actions en justice qui viennent d’être lancées pour apprécier la rupture avec les pratiques prédatrices de la décennie Aziz et espérer de nouvelles avancées vers la consolidation de la bonne gouvernance.

Mondafrique