« En 1947, en route pour Ouagadougou, où il doit mettre en place les nouvelles structures, le gouverneur nouvellement nommé de l’ex-Haute-Volta aujourd’hui Burkina Faso, Gaston Mourgues, fait escale à Bamako. Chez Bougouraoua Ouédraogo, les Voltaïques de la capitale du Soudan organisent en son honneur une grande réception. Au cours de cette fête, Mourgues demande à Bougouraoua de lui trouver un jeune homme bien élevé, parlant correctement français, pour être le chef des boys de sa résidence à Ouagadougou et aider sa femme à s’installer.

 

Bougouraoua a justement un petit protégé nommé Gérard Kango Ouédraogo. Le père de Gérard est le frère jumeau de la mère de l’instituteur Michel Mahmoudou Ouédraogo, fils du baloum naba de Ouahigouya et grand ami de Bougouraoua. Gérard, qui n’a pas achevé ses études primaires, traîne chez lui à Bamako. Mourgues l’engage.» Frédéric Guirma in Comment perdre le pouvoir ? Le cas de Maurice Yaméogo, parue initialement en 1991, réédité en 1997 aux éditions Chaka.

A l’orée des indépendances africaines dans les années 1960, nos élites se sont données corps et âme pour arracher la liberté au colon. Chefs traditionnels de l’époque, hommes politiques, syndicalistes et simples citoyens, tout le monde a d’une façon ou d’une autre contribué à ce succès pour une Afrique plus libre, débarrassée de ses nombreux cancers.

Au regard des mobilisations pour défendre les causes de nos peuples déjà dans les années 40-50, on se demande aujourd’hui où sont passés nos hommes jadis prompts à défendre les intérêts de leur peuple? Où sont passés ces vaillants combattants, prêts à se sacrifier pour leur peuple? Où sont-ils passés, les descendants de ces valeureux guerriers qui ont écrit par le sang les pages de gloire de notre empire Manding ? Où se trouve-t-elle, cette flamme maintenue allumée par Mamadou Konaté, Modibo Keita, Fily Dabo Sissoko et nos illustres pères qui ont tracé la voie royale de la dignité africaine ?

Nous constatons aujourd’hui que certains de nos hommes politiques font partie désormais de la “nouvelle génération”, c’est-à-dire la “pire race des égoïstes myopes” prêts à sacrifier les idéaux de leur peuple contre la “mangeoire. Cette nouvelle génération d’hommes politiques compromis jusqu’aux couilles, n’appartient pas forcément à une catégorie d’âge. Si certains sont d’un âge avancé, d’autres dont les actes n’ont pas été démasqués, sont relativement jeunes. C’est une nouvelle race d’hommes et de femmes pour qui des questions relatives à la dignité ou à l’honneur n’ont aucune valeur face à l’argument de la mangeoire. Le “M’as-tu vu” est devenu leur unique ligne de conduite, et tant pis si au passage on foule au pied les sacrifices d’un peuple qui n’aspire qu’à un peu d’eau et de mil, afin de vivre dignement sur la terre de ses ancêtres. Ils sont les nouveaux concepteurs de la politique sans idéologie, ou de la “démocratie consensuelle”, les béni oui oui d’un pouvoir en chute libre.

C’est maintenant qu’il faut dire : “y’en a marre”, aux fausses promesses de politiciens véreux. C’est maintenant ou jamais, qu’il convient de lutter véritablement contre la corruption. Car le régime en place n’a ni les moyens, ni les compétences nécessaires pour bouter ce fléau de notre pays. Quand un chef d’Etat veut s’éterniser au pouvoir, il n’a pas le temps de s’occuper de ceux qui volent et détournent.

Le pire chez nous, c’est le silence, voire l’indifférence de la majorité face à l’injustice et à l’erreur de nos hommes au pouvoir. Beaucoup de gens sont convaincus que le chemin que nous avons emprunté mène droit à l’échec !  Ils sont nombreux, les conseillers du président qui se disent qu’IBK est dans l’erreur. Mais on laisse faire. Parce que chacun pense que seul, il ne peut rien changer. “Mais dites-vous qu’on n’est jamais seul dans ces circonstances. Vous avez le destin de la Nation avec vous”. Quand le destin du peuple brûle comme un drapeau, il y a un immense plaisir à braver le feu avec l’arme de la vertu et de la morale pour sauver ce qui peut encore l’être de l’avenir des fils des sans avenir. Car personne n’aura de l’avenir dans un pays qui n’en a pas. Nous devons nous rendre à l’évidence que personne ne viendra construire notre Mali à notre place. Personne ne viendra faire nos hommes à notre place, on ne s’inventera pas de nouveaux hommes politiques. C’est pourquoi, nous devons vite nous engager sur le véritable chemin de la démocratie, de la justice et de la liberté, de la lutte libératrices des opprimés. A l’instar de Patrice Lumumba, Nelson Mandela et bien d’autres, n’est-il pas temps pour notre élite d’éclairer le chemin de son peuple en rallumant la flamme de l’espoir que Modibo Keita et ses compagnons nous ont léguée ? Où sont passés nos héros ? N’entendent-ils pas les cris de douleurs et de détresse des Maliens ? N’avons-nous plus des Modibo Keita, des Gérard Kango Ouédraogo, qui de chef des boys, a façonné son destin par la lutte pour devenir président de l’Assemblée nationale de la Haute-Volta, actuel Burkina Faso.

Nous voulons faire appel à ces générateurs de lutteurs, qui, à l’instar des Soudanais d’antan, se sont mobilisés pour engranger des acquis dont jouissent encore aujourd’hui les Maliens. C’est à eux, qu’il appartiendra d’ “oser inventer l’avenir”. La vie de feu Gérard Kango Ouédraogo du Burkina prouve que chacun peut mener le combat, quelle que soit sa situation sociale. Et que de “chef de boys”, on peut devenir député, ambassadeur, premier ministre ou même président quand on se met au service de son peuple. Nombreux sont ceux-là, partis de rien pour “devenir quelqu’un” aujourd’hui. Mais beaucoup aussi ont abandonné la lutte grâce à laquelle ils ont été promus. Beaucoup ont  trahi la cause du peuple. Ces gens-là ont peur quand on parle de leur passé ; ils en tremblent…

Hommes, femmes, jeunes, nous devons tous être fiers de constituer une parcelle de l’histoire de notre peuple. Et quand le procès de l’histoire se chargera de juger les bourreaux, l’avocat des damnés leur demandera : “Pensez-vous qu’un homme à qui il est confié la lourde tâche de la gestion d’une institution, ou d’une parcelle du destin de son peuple, peut-il jouer avec ce destin en volant, en mentant ? Quand le  ‘’messie’’ se fera connaître, nul ne pourra empêcher le processus de révolution de se mettre, enfin, en marche. Et tant pis pour ceux qui resteront à la remorque de l’histoire. Ils paieront leurs erreurs ici-bas, avant de les comptabiliser dans l’autre monde s’ils le souhaitent. Une révolution imminente est en cours. Le compte à rebours a commencé. Peu importe la forme qu’elle prendra. Ce jour-là, chacun paiera ses erreurs. Au prix de cris, de larmes, de douleurs et de sang…

Henri Levent

Source : Le Pays