Des perspectives historiques pour mieux comprendre la volonté du Président Macron à s’adapter aux nouvelles réalités du monde qui l’entoure notamment africaines

La longue pratique républicaine et la grande culture d’Etat s’y rattachant a toujours permis à l’élite politique hexagonale de rester dans l’air du temps et pérenniser à juste titre (puisque c’est la raison d’être de tous les gouvernements du monde que de défendre les intérêts de leurs pays), les Hauts intérêts de la République française. Cette grande culture d’Etat  a servi au plus illustre des descendants des gaulois, le général De Gaulle, dans le processus de décolonisation.

En effet, De Gaulle ayant réalisé avec finesse que l’avenir de la colonisation s’assombrissait inexorablement d’une part, avec l’éveil des consciences africaines favorisé par l’expérience de la 2ème guerre mondiale et, d’autre part, les positions américaines en faveur de l’autodétermination des peuples sous régence impériale a anticipé sur les événements, sur l’histoire (cela est le propre des visionnaires). Cette stratégie de l’anticipation en politique présente un certain nombre d’avantages : l’agent anticipateur garde une longueur d’avance sur ses adversaires, décide des contours des prochains rapports de force, réussi son adaptation au changement qui est une règle immuable de la nature, contrôle finalement le jeu. Du 30 janvier au 08 février 1944, s’est tenue en terre africaine de Brazzaville ce qu’il est convenu d’appeler la Conférence de Brazza. Il s’agissait de déterminer le rôle et l’avenir de l’Empire colonial français, en donnant l’impression qu’on le fait avec les colonies donc les africains. A cette conférence, De Gaulle a eu l’intelligence de faire des concessions, des ouvertures à même de calmer les ardeurs et en espérant ainsi couper court aux velléités indépendantistes. L’abolition du code de l’indigénat est décidée, une politique d’assimilation en faveur des colonies est proposée par Felix Eboué etc.

Au bout du compte, il est consigné dans le rapport final sur demande du général, que les liens entre la France métropolitaine et ses colonies sont « définitifs ». Aussi, « toute possibilité d’évolution hors du bloc français et toute constitution, même lointaine, de self-government sont prohibées ». Cette démarche anticipatrice du général et son équipe a permis à la France d’en Haut d’accompagner le processus de décolonisation quand elle le savait irréversible, infaillible sauf dans certains cas où ce processus  fut en grande partie sanglant (l’Algérie, l’Indochine…). La France est donc restée en Afrique après la colonisation sous une couverture plus soft, celle du partenaire.

Cependant, faut-il dire que près d’un siècle avant de Gaulle, un autre homme d’Etat français répondant au nom de Jule Ferry, l’idéologue de l’expansionnisme français, défendait avec hargne à la chambre des députés ce qu’il appela alors, le devoir de civiliser.

En effet, le 28 juillet 1885 Jule Ferry prit la parole à l’assemblée nationale française, à la chambre des députés pour plaider en faveur de l’octroi de crédit extraordinaire en vue de financer une expédition à Madagascar. Nous étions dans un contexte où la plupart des nations notamment européennes s’étaient lancées dans des conquêtes coloniales. L’homme trouvait donc inacceptable de voir sa  France à lui en dehors de « la danse ». Doté d’un talent d’orateur hors-paires, l’homme ne fera économie d’aucun argumentaire, il ira jusqu’à affirmer que « rester sans se mêler des affaires du monde pour une nation comme la France, c’est abdiquer ! ». Face à la contestation de députés comme Georges Clemenceau, qui lui rappela le caractère honteux de ses ambitions coloniales dans la patrie de la déclaration universelle des Droits de l’Homme, il renchérit en avançant que « la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et son droit dérivé à l’autodétermination, ne concernait pas les africains ».

Ainsi, la volonté d’exister dans la conduite des affaires du monde (premier critère de la notion de puissance) a toujours existé au sommet de l’Etat français mais les formats changent pour des besoins d’adaptation.

Plus tard, le président François Mitterrand à la fin des années 1980, ayant senti l’avènement d’un nouvel ordre mondial qui résulterait certainement de la victoire du bloc de l’Ouest sur le bloc de l’Est et qui engendrerait à coup sûr, l’hégémonie américaine a, anticipé sur le cours de l’histoire pour ne pas subir les bouleversements qui s’annonçaient déjà. Il avait donc compris que la promotion du libéralisme politique en plus du libéralisme économique allait monter en flèche dans l’ordre des priorités de l’agenda diplomatique des Etats unis d’Amérique. Pour rester en phase avec la politique extérieure de l’allié américain tout en sécurisant la présence française en Afrique, il initia la « démocratisation de l’Afrique » pour obtenir le libéralisme politique. Ainsi, le 20 juin 1990 à la Baule-Escoublac, commune française située dans le Loire-Atlantique, le Président François Mitterrand devant plus d’une trentaine de Chefs d’Etat et de Gouvernement africains, invita le continent à amorcer son processus démocratique à travers le multipartisme.

Les pouvoirs amis d’alors pour la plupart « dictatorial », venaient de perdre le soutien du gouvernement français et l’ont senti dans la manière dont ils ont chuté. Et la France continua encore une fois, a existé en Afrique en gardant l’ascendance dans les rapports puisque les nouveaux arrivants ont largement bénéficié de son immense aide. Elle a encore anticipé sur les événements. Après ce rappel historique illustratif, venons à présent à ce sommet de Montpellier.

*Le nouveau format du sommet Francafrique, une vue de l’intelligence pour réadapter et pérenniser la présence française en Afrique

Comme Ferry, De Gaulle, Mitterrand et autres, le président Macron a une pleine conscience de la place de la République française dans le monde notamment en Afrique. Ainsi, il ne peut que s’assurer que cette place reste bien à la France. Le choix d’un sommet Francafrique sans l’Afrique officielle pourrait s’expliquer par un certain nombre de choses :

  • la plupart des pays d’Afrique francophone s’acheminent vers ce que l’on pourrait appeler une « transition politique générationnelle ». En effet, qu’il s’agisse du Mali, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal, de la Guinée ou du Burkina Faso…, les figures principales des différentes classes politiques sur scène ces trente dernières années, n’ont pas significativement changé. Elles sont pour la plupart dans les sérails du pouvoir depuis les années 80-90. Cette relative longue existence dans les affaires publiques semble provoquer une sorte d’effet d’usure. Aussi, faut-il dire qu’il n’est possible d’enregistrer de changements profonds dans la gouvernance dans presqu’aucun de ces pays depuis les années 80-90 quand bien même les défis de la gouvernance auraient drastiquement évolué. Cette incapacité de cette élite politique africaine majoritairement reseautée à Paris à s’adapter aux nouvelles exigences de la gouvernance, a fait d’eux des gens dépassés. Ne maîtrisant quasiment plus la psychologie de leurs peuples à dominance jeunes, ils ont laissé grandir le fossé qui les sépare désormais de leurs gouvernés leur mettant ainsi dans un défaut de légitimité populaire. Cette réalité s’est illustrée quand le président IBK a échoué à contenir en 2019 avant sa chute, les contestations de la politique française au Mali bien que le président Macron lui ait dit qu’il ne faisait pas assez pour arrêter ces contestations.
  • Aussi, de l’avènement des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) à leur essor, le monde a connu une évolution vertigineuse vers l’intégration des peuples. Une culture populaire mondialisée est née ce qui fait que le citoyen qui vit au Buthan reste connecté au même réseau que l’habitant de miankala. Par voie de conséquence, nous obtenons une sorte de spirale d’influences tous azimuts faisant que les individus ne raisonnent plus forcément sous l’influence de leur seul milieu social comme c’était le cas dans le monde « fermé » d’avant mais plutôt sous celle de ladite culture populaire mondialisée. Ce dernier phénomène a provoqué le syndrome de la pyramide inversée, le vrai pouvoir n’est donc plus à l’establishment mais plutôt à Internet qui est devenu le creuset des facteurs d’influence et de construction de l’opinion.
  • Egalement, la nécessité de renforcer la   diplomatie   publique    pourrait  être le troisième élément à même d’expliquer le choix innovateur de cet outil (la Francafrique) de la politique extérieure de la France. En effet, Dans le domaine des relations internationales, la diplomatie publique est une expression qui a émergé au milieu des années 1960 pour décrire la conduite d’une politique extérieure qui s’adresse aux peuples étrangers, soit à travers des médias émettant dans leur langue et sur leur territoire, soit à travers diverses relations culturelles et des réseaux humains au sein des élites (anciens étudiants des universités du pays concerné ayant bénéficié de bourses par exemple). Le terme « diplomatie publique » a été associé tout particulièrement à la United States Information Agency, qui a utilisé le terme pour définir sa mission. Hans M. Tuch définit le terme ainsi : « La diplomatie publique est le processus de communication d’un gouvernement avec des publics étrangers afin de créer la compréhension des idées et des idéaux de son pays, ses institutions et cultures ainsi que ses visées et orientations politiques présentes ». Le président Macron pourrait donc réaliser que l’élite politique qu’il maîtrise n’a en réalité plus de pouvoir ce qui vaudrait ce changement de procédé, au lieu de prendre les choses par le sommet qui ne maitrise plus grand chose, on inverse la pyramide à travers la diplomatie publique.
  • Le contexte  de crise    au sahel   combiné   aux trois réalités    évoquées   supra, pourraient expliquer le choix du président Macron a communiquer directement avec les peuples africains en lieu et place des Chefs d’Etat comme ce fut le cas jusqu’ici. Ainsi, l’échec des stratégies du Gouvernement français pour éradiquer le terrorisme dans certains Etats de l’Afrique de l’Ouest a engendré de grandes incompréhensions sinon de sérieux doutes sur la sincérité de ces stratégies ce qui fait que la France n’a plus meilleure presse dans les classes populaires de ces pays. Elle aurait donc envisagé un cadre d’échanges direct avec des leaders d’opinion dans l’espoir de les voir servir de relais.

En tous les cas, l’État français a une doctrine d’État et ses dirigeants s’y conforment !

Mamadou Lamine SIBY

Analyste et homme politique

Source: LE PAYS