Le Mali se trouve véritablement à la croisée des chemins depuis le 18 août 2020, suite à la démission du président de la république et du gouvernement, et après la dissolution concomitante de l’Assemblée nationale. Une analyse sans complaisance du contexte est nécessaire, car l’honneur et la dignité ne sont plus des valeurs cardinales au sein de la société. Il y a l’infiniment grand entre ce que nous souhaitions être en 1992 et ce que nous sommes devenus aujourd’hui. Le modèle politique et le choix des dirigeants y sont-ils étrangers ?

 

COMMENT JUGER NOTRE EXPÉRIENCE DÉMOCRATIQUE SANS LA CONDAMNER ?
Des observateurs avisés de la société affirment que sous la 1re république dirigée par Modibo Kéita, le Malien avait un sens élevé de l’honneur et de la dignité, qu’il se mettait au-dessus des contingences bassement matérielles. Les mêmes disent que sous la 2e république dirigée par Moussa Traoré, le Malien était guidé par la crainte qui l’obligeait à respecter la puissance publique. Sous la 3e république dont les nombreuses dérives ont conduit le pays au purgatoire et dont nous vivons certainement les derniers soubresauts, que ne n’a-t-on pas vu et fait au Mali ? Toutes les limites de la morale ont été franchies et tous les interdits violés avec une amplitude qui frise l’arrogance chez les délinquants à col blanc assurés de l’impunité la plus totale. On a vu les hommes d’honneur et les pratiques vertueuses jetés aux orties. L’éducation nationale a été dévoyée et mise au rabais, l’armée nationale cassée à souhait pour fragiliser toutes les autres institutions. Et que dire du système judiciaire tant décrié ? Les moins méritants ont été propulsés à des postes de responsabilité par des leaders plus portés sur le populisme et leur réélection que sur la protection des intérêts du pays. Les présidents successifs du Mali depuis l’indépendance et leur système de gestion sont présentés dans l’un de ces trois tableaux. Les faits sont malheureusement têtus et ils prouvent que de Modibo Kéita à Ibrahim Boubacar Kéita, on est allé de Caribe en Scylla pour ne pas dire du sommet vers les bas-fonds. La déliquescence de la classe politique, mais aussi de la société civile soutenue par la corruption des élites a fini par nous conduire au bord du précipice. Heureusement, quelques poches de moralité ont survécu et elles tentent de reprendre le dessus. De dignes fils sont intervenus à différents niveaux pour entamer une révolution tranquille qui a freiné l’hécatombe.
« De la racine à la feuille, la sève monte et ne s’arrête pas », a dit Seydou Badian. Le pari n’est pas gagné pour autant, car les grands prédateurs et leurs affidés locaux sont à l’affût et ils ne manquent pas de ressources.

MENER UNE TRANSITION RESPONSABLE POUR UN NOUVEAU MALI
Certains débats sur la transition relèvent du superfétatoire et même de la sorcellerie. En effet, face à un malade dont l’État est critique, la sagesse ne recommande-t-elle pas la stabilisation et un bon diagnostic au lieu de se perdre dans des débats sur le délai de guérison qui ne peut être fixé de façon mécanique ? Il ne faut pas perdre de vue que le Mali est un enjeu géo -stratégique majeur au Sahel et que le dynamisme et la résilience de son peuple créent des insomnies chez certains leaders politiques africains. C’est pourquoi les analyses et propositions sur le Mali et la transition doivent être traitées avec beaucoup de clairvoyance et de précaution. Le M5-RFP, qui a commencé la lutte, n’a pas proposé un agenda sur l’après-IBK, tel un programme commun de gouvernement. Jusqu’à la fin de sa lutte, la démission d’IBK et de son régime ont donc semblé être l’objectif recherché. C’est le péché originel de ce mouvement, car le vrai pouvoir ne s’accommode ni d’ambigüités ni de sous-entendus. On se donne les moyens de le prendre pour l’exercer. L’autre tare est sa composition hétéroclite et la présence en son sein de plusieurs têtes fortes de la classe politique. Seul l’Imam Dicko, autorité morale reconnue par tous apparaît comme le dénominateur commun et il ne semble pas décider à entrer dans l’arène politique. Dans ces conditions, le Comité National pour le Salut du Peuple (CNSP) tout en reconnaissant le poids du M5-RFP et son influence ne peut que chercher à ratisser le plus large possible, afin de donner du crédit à sa mission qui est d’envergure nationale. Comment le lui reprocher ? L’urgence pour les partis et regroupements politiques, c’est de s’organiser pour aller à la conquête du pouvoir d’État par les élections. Les jeunes du M5-RFP tirant les conséquences des contradictions au sein du mouvement se sont constitués en bloc pour mener des actions sur le terrain. Ils sont certes actifs et visibles, mais peu habitués aux arcanes politiques. Le rôle qui sied le mieux au M5-RFP est celui d’un partenaire loyal, mais vigilant vis-à-vis du CNSP qui détient aujourd’hui la réalité du pouvoir.
Dans la conduite de la transition, il faut éviter la confusion des rôles. Le CNSP ne vit que pour la période de la transition et pour cela, il se doit de rassembler tous les Maliens y compris les partisans d’IBK dès lors que ceux-ci sont de bonne foi et ne s’inscrivent pas dans une logique de sabotage du processus qui doit être inclusif. Le M5-RFP, qui a déjà montré sa force de mobilisation, doit l’accompagner et soutenir la transition sans état d’âme.

Mahamadou Camara
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Source : INFO-MATIN