ENTRETIEN. Une semaine après le Forum de Niono, où en est-on à Farabougou ? Le chef des chasseurs dozos décrypte pour le Point Afrique la situation.

 

Depuis le 6 octobre dernier, le village de Farabougou, dans la région de Ségou, est assiégé par des hommes armés, présumés djihadistes. La population ne peut plus sortir du village, se rendre dans les rizières pour récolter le riz, activité économique principale du cercle, ou aller au marché pour assurer sa subsistance. Sous l’extrême climat de tension que font régner ceux qui impriment ce blocus, des hameaux environnants se sont vidés de leur population et la majorité de la communauté peule a quitté la zone. Mais le village de chasseurs de Farabougou, encerclé, continue de résister. L’opération militaire Farabougoukalafia, lancée le 15 octobre dernier par les autorités maliennes pour libérer Farabougou, a permis aux forces de défense et de sécurité de se positionner à l’intérieur du village, mais n’a pas changé la donne pour ces quelques milliers d’habitants enfermés à ciel ouvert. Selon les autorités, la situation serait due à des tensions intercommunautaires. Les médiations entreprises par des notabilités locales et religieuses courant octobre ne sont pas parvenues à un consensus avec les hommes armés et le Forum gouvernemental de Niono qui s’est achevé par la signature d’un pacte de non-agression entre les chasseurs « donsos » et la communauté peule, le 7 novembre dernier, n’a pas été suivi d’effets. Abdoulaye Coulibaly, chef des chasseurs dozos du village de Farabougou et fervent républicain, dépeint une situation de lente asphyxie. Il lance un cri d’alarme à l’endroit du gouvernement pour qu’il agisse et que la population sorte enfin de cette situation de crise. Il s’est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : Quelle est la situation actuellement à Farabougou ?

Abdoulaye Coulibaly : Cela fait presque un mois et demi que le village de Farabougou est entouré par les djihadistes. Rien n’a bougé depuis et nous sommes dans le même problème. La semaine dernière, les djihadistes ont tiré deux roquettes sur le village, sans faire de blessés ni de morts. Vendredi dernier, des villageois qui voulaient aller dans leurs rizières se sont fait tirer dessus. Les djihadistes ne veulent pas voir d’autres personnes qu’eux entre Farabougou et Farabougou Koura. Si quelqu’un vient, ils tirent. On ne peut pas aller plus loin qu’à un ou deux kilomètres du village, au nord, parce qu’il y a les militaires qui sont à côté du village. On ne peut aller que dans les champs de haricots qui sont là-bas, mais à part ça, on ne peut aller nulle part. Ils ont pris les troupeaux du village, ils ont tout pris, il ne nous reste qu’une dizaine ou une quinzaine de vaches. La journée, on n’est pas tranquilles, la nuit, on n’est pas tranquilles. Il y a beaucoup de gens des alentours qui ont laissé leur village pour partir vers Niono.

Quelle est la situation alimentaire et sanitaire ?

Au niveau alimentation, ça va un peu mieux. Lundi, la Minusma a largué par avion 64 sacs de maïs, de riz et de mil. Donc, ça va un peu mieux, mais ce que nous avons reçu ne nous permettra de manger que pendant une semaine. Il n’y a pas de médicaments et beaucoup de gens sont malades du palud et d’autres maladies, mais on n’a rien pour les soigner. Le riz dans les champs de rizières a déjà mûri, mais les gens ne peuvent pas y aller et les mange-mil, les oiseaux, sont en train de manger le riz.

Comment Farabougou s’est-il retrouvé dans cette situation, que s’est-il passé exactement ?

Ce sont des assassinats de Peuls qui ont déclenché les problèmes. Il y a eu un Peul qui a été tué et les djihadistes nous ont dit d’aller le chercher. On y est allés, mais on ne l’a pas trouvé. On ne sait pas qui l’a tué. Puis, un deuxième Peul a été tué pas loin de nos bêtes qui sont en brousse. C’est un Peul qui depuis janvier dernier était avec nos frères à Farabougou Koura, avec son petit troupeau, il venait de l’est, tous ses parents sont morts ainsi que ses enfants et il est venu se cacher ici. Tous les deux jours, il venait à Farabougou. Avant qu’il soit tué, on m’a dit que les djihadistes l’ont menacé, car apparemment il ne payait pas la taxe que lui demandaient les djihadistes par bête. Ils sont venus lui réclamer l’argent plusieurs fois mais il n’a pas payé. Trois jours après, on est venu me dire qu’il avait été tué. Ils ont tiré sur lui avec un fusil de chasse pour dire que ce sont les chasseurs qui ont fait ça. Les djihadistes sont venus et nous ont dit que nous devions demander pardon pour la mort du premier Peul. Mais comment demander pardon pour quelque chose que nous n’avons pas fait ? Nous n’étions pas d’accord. Pour le premier Peul qui a été tué au bord du Fala [nom de la rivière, NDLR], les Peuls ont dit qu’il fallait aller chez ses parents demander le pardon et il a été accordé par la famille du défunt. Mais, entre-temps, ils ont trouvé le corps, tué par un fusil de chasse, du deuxième Peul et le mardi 6 octobre, ils sont venus enlever 18 personnes de la commune qui allaient au marché de Dogofry et la guerre a commencé comme ça. Ils cherchaient une occasion, une raison pour nous attaquer. Je mets ma main au feu que les gens de Farabougou et de Kourouma Koubé n’ont tiré sur personne.

Qui sont ces djihadistes qui encerclent la ville ? Que veulent-ils et d’où viennent-ils ?

On ne sait pas vraiment. Ils veulent que nous suivions leur charia, c’est obligatoire. Nous avons refusé, nous ne sommes pas habitués à ça. Tous les habitants de Farabougou sont des musulmans. Ils viennent de la forêt de Wagadou, entre Dogofry et la Mauritanie, ils viennent tous du côté de la route qui mène à la Mauritanie.

Comment se passe la cohabitation avec les Peuls du village de Farabougou ?

Il y a 2 ou 3 familles peules ici qui apprennent à leurs enfants le Coran, on ne peut pas rentrer chez eux et ils ne rentrent pas chez nous. Leurs enfants font les mendiants dans le village et ils leur apprennent le Coran. Il y a une autre famille peule qui conduisait nos chèvres et une autre qui conduisait nos vaches pour les traire et faire du lait, à part ça, tous les autres Peuls sont partis. Les djihadistes sont venus leur dire de partir du village et que s’ils ne partent pas, quand ils reviendront, ils nous tueront tous. On leur a dit de rester, que tant que nous sommes là, il ne leur arrivera rien, mais ils ont préféré partir. Ils sont partis dans la nuit. Ils ont fait partir les Peuls de notre village et des villages environnants. On ne sait pas où ces Peuls sont allés. Ils les ont fait partir et maintenant ils sont prêts à nous attaquer. Sur notre territoire, il n’y a quasiment plus de Peul.

Faites-vous face à un conflit intercommunautaire ?

Mais quel conflit intercommunautaire ? Les Peuls qui étaient avec nous, les djihadistes sont allés leur dire de partir et que s’ils ne partaient pas ils allaient tous nous tuer. Il n’y avait pas de problèmes entre nous, mais les djihadistes sont venus les faire dégager de leur petit village qui était à côté de nous. Il n’y avait pas de conflit intercommunautaire. Ce sont les djihadistes qui sont venus et qui ont créé cette situation. Ils veulent qu’on quitte le village, qu’on laisse derrière nous le Fala, comme ça, tout sera pour eux. Ils ont fait des tirs à Kourouma Koubé, un petit village à quelques kilomètres de Farabougou, et les gens de Kourouma Koubé sont tous partis. Nous, notre village est grand, on ne peut pas déménager à cause d’eux, nous sommes des Maliens, nous sommes chez nous !

De combien de chasseurs dozos armés disposez-vous pour défendre le village ?

Les chasseurs sont nombreux, ce sont quasiment tous les villageois. Chez nous tout le monde connaît le fusil, chacun sait tirer avec un fusil traditionnel, les jeunes aussi.

Que fait l’armée concrètement et combien de militaires assurent la protection du village ?

Il y a des militaires qui sont venus récemment avec une quarantaine de véhicules, 46 en tout, je crois. Lundi, il y a 32 militaires qui sont partis, des véhicules les ont emmenés et après ces véhicules sont revenus. Ce sont les forces spéciales, les premiers militaires qui étaient venus à Farabougou. Ils sont partis et ils n’ont pas été attaqués. Ils sont passés par-derrière le Fala pour prendre la route de Nampala. Il y a une centaine de militaires environ à Farabougou actuellement. Ils sont là pour notre sécurité. Nous souhaitons que les militaires restent, jusqu’à ce que cette crise soit résolue et même quand ce sera fini. On veut qu’ils restent. Ils ne nous ont rien dit sur le temps qu’ils passeront ici, mais on demande au gouvernement que les militaires restent chez nous que ce soit un mois, une année, ou plus.

Quels résultats concrets ont donné les médiations engagées courant octobre, puis le Forum de Niono sur la réconciliation intercommunautaire ?

La médiation qu’il y avait dans notre commune entre Sokolo et Farabougou, les gens qui faisaient cette médiation entre les djihadistes et nous, ce sont eux qui sont partis vendre notre village et celui de Kourouma Koubé aux djihadistes. Ils n’ont pas fait de médiation. On a entendu leurs paroles, ils sont partis vendre notre village ! Ils nous ont dit de laisser nos fusils, moi j’ai dit que les grosses armes, les armes que l’on a achetées, on peut nous les prendre, mais les fusils de chasse, non, car ce sont nos armes traditionnelles. J’ai plus de 50 ans et depuis que je suis en âge de chasser, j’ai toujours eu un fusil. Je n’ai jamais fait 1 kilomètre derrière Farabougou sans mon fusil en main, depuis que j’ai 18 ans. Ils n’ont qu’à dire aux bergers de ne pas marcher avec des fusils armés, parce que maintenant on voit des Peuls, des djihadistes, qui ont des fusils. Un berger avec un fusil, ce n’est pas un berger. Nous, ce que l’on veut, c’est qu’ils poursuivent leur chemin et nous le nôtre, il n’y a pas de bagarre entre nous, comme avant. On n’a qu’à faire comme d’habitude. Les personnes de la médiation ont dit aux djihadistes qu’ils ne sont pas leurs ennemis et que les djihadistes les laissent faire leur récolte du riz. Ils ont fait leur médiation, pas la nôtre. Ils ont voulu régler leur problème, mais nous ont mis en conflit avec les djihadistes. Depuis le Forum de Niono, il n’y a pas deux jours où il n’y a pas des coups de fusil dans le cercle de Niono. Hier matin, les djihadistes ont attaqué un petit village à côté de Niono de 6 heures à 5 heures du matin. Il n’y a pas eu de résultats positifs. Le Forum de Niono n’a rien changé, ça a même aggravé la situation. On entend plus de tirs plus qu’avant. Ce forum n’a vraiment pas été une réussite.

Comment envisagez-vous l’avenir dans cette situation ?

Nous, on est avec le gouvernement, on ne veut pas le laisser pour l’idéologie des djihadistes. Eux, ils veulent que nous laissions le gouvernement pour aller avec eux. Nous avons refusé. On demande aux ministres et aux militaires qu’ils nous aident pour que nous puissions sortir du village et aller dans nos champs. Il faut qu’ils nous fassent sortir de cette crise, qu’ils fassent quelque chose pour nous, parce que nous sommes des citoyens de ce pays, nous sommes des Maliens.

Propos recueillis par Olivier Dubois, à Bamako

 Source : Le Point.fr