Le centre du pays dans la tourmente (3/6). Engagé par le gouvernement fin 2018, le processus se heurte au refus de certains groupes de rendre les armes.

 

« Garde à vous ! Repos ! », ordonne un supérieur. Face à lui, une quarantaine de jeunes hommes s’exécute, sans discuter. La discipline est militaire. Le vocabulaire aussi. Pourtant, ces jeunes Maliens ne sont pas des soldats. Ce 1er avril, dans ce camp de fortune situé en périphérie de Sévaré, au centre du Mali, tous attendent l’arrivée de leur chef : Sékou Allaye Bolly. Depuis onze mois, cet influent commerçant peul dit s’être donné pour mission de sortir les jeunes de sa communauté des rangs djihadistes. « Quand j’ai vu que l’Etat commençait à revenir au centre du pays, j’ai décidé d’en profiter pour récupérer ces jeunes afin de montrer aux autorités que c’est possible », explique M. Bolly, en s’installant derrière son bureau.

Le lieu est sommaire. Quelques bâtons plantés dans le sol sablonneux délimitent l’espace de cette base où sont censés être désarmés ces supposés djihadistes repentis. Le camp informel de M. Bolly fait partie d’un processus de désarmement des multiples groupes armés du centre du Mali, lancé par les autorités fin 2018. Mais ce 1er avril, certains des combattants récupérés par M. Bolly détiennent encore leurs armes. « Treize de mes hommes sont morts à Ogossagou », souligne le chef, qui reconnaît que le massacre de près de 160 personnes le 23 mars dans ce village peul a sérieusement compliqué le processus de désarmement.

Près de 600 morts depuis mars 2018

Car, à Ogossagou, se trouvait une des quatre bases créées par M. Bolly dans la zone. « Le but, c’est de désarmer », continue-t-il de répéter. Mais à quelques centaines de mètres de là, à l’hôpital de Mopti, certains de ses hommes, rescapés de l’attaque, voient les choses autrement. « On nous a dit que les Peuls devaient s’inscrire pour pouvoir se regrouper et protéger leurs villages contre les attaques. Voilà pourquoi moi et nous tous avons accepté de nous inscrire », explique Hamadoun Bocoum (le prénom et le nom ont été changés).

Cet homme, blessé lors de l’attaque d’Ogossagou, ainsi que d’autres combattants rencontrés affirment s’être armés surtout dans le but de protéger leur communauté, cible des djihadistes pour leur recrutement, et devenue la victime de représailles des autres populations. Depuis mars 2018, les conflits intercommunautaires qui se multiplient dans la région de Mopti ont fait près de 600 morts, selon l’ONU.

« Tous ceux qui ont pu ont cherché des armes. [….] Ceux qui n’avaient pas les moyens de s’en procurer ont aussi pu intégrer le groupe, assure M. Bocoum, avant de se justifier. Même si l’armée arrivait en patrouille dans le village, nous avions le droit de garder nos armes. Il fallait montrer une carte qui prouve que vous appartenez à ce groupe et donc que vous pouviez porter une arme. […] Ce n’était pas pour attaquer qui que ce soit, mais pour protéger le village. Chacun peut entreprendre de se sécuriser soi-même et, une fois la paix revenue, toutes les armes pourront être retirées. »

Quelque 8 000 miliciens

Mais le massacre d’Ogossagou a souligné à quel point la paix était loin des réalités des villageois du centre du Mali. « Le désarmement ? Mais il n’y a plus de désarmement ! Les combattants du camp d’Ogossagou se sont fait tuer. Ça sera pareil quand le cantonnement aura lieu. Moi, je sors de tout ça, c’est terminé ! », s’emportait, au lendemain de la tuerie, un autre membre du groupe de M. Bolly.

Initialement, le cantonnement des combattants des groupes armés du centre devait commencer quelques jours après l’attaque d’Ogossagou. Selon la commission nationale du désarmement, près de 8 000 miliciens ont été inscrits par leurs chefs. 1 600, réellement armés, ont ensuite été retenus pour participer au processus. « Le gouvernement voudrait en recruter 300 dans les forces armées et de sécurité. Les 1 300 autres seront réinsérés dans la vie civile », explique Zahabi Ould Sidi Mohamed, le président de la commission, avant de détailler le plan du gouvernement pour désarmer le centre : « Nous avons entamé début avril une phase volontaire de désarmement qui durera soixante jours. Après, nous passerons à la phase de désarmement forcé. Toute arme prise entre les mains des individus sera confisquée et son propriétaire ne pourra plus participer au processus. »

Mais, sur le terrain, certains groupes armés jugent ce désarmement prématuré. Les miliciens majoritairement peuls et dogon qui s’affrontent depuis des mois se rejoignent dans leurs exigences : l’Etat doit sécuriser leurs zones avant de leur demander de rendre les armes. « Ce désarmement est voué à l’échec parce que les conditions ne sont pas réunies. L’Etat veut désarmer les gens alors que l’insécurité empire et que les terroristes sont toujours en brousse. Nous désarmer, c’est exposer les populations au carnage », dit Marcelin Guengéré, du groupe armé majoritairement dogon Dan Na Ambassagou. Pour le porte-parole de cette milice accusée de nombreuses exactions sur les civils peuls au centre du Mali, la décision du gouvernement de dissoudre son groupe, au lendemain de l’attaque d’Ogossagou, est nulle et non avenue.

Prolifération des groupes armés dès 2012

« Tout le monde cible Dan Na Ambassagou parce que nous, on est bien organisé. Mais il y a une quarantaine de milices dans le centre du Mali ! », rappelle-t-il, avant d’évoquer, pour certifier de l’innocence des siens dans ce massacre, l’existence d’un « contrat moral de non-agression » passé « il y a un ou deux mois »entre le groupe peul de M. Bolly et Dan Na Ambassagou. « L’objectif était de se retrouver ensemble pour voir comment nous pourrions faire des patrouilles mixtes et sauver le peu qu’il reste de notre région », assure M. Guenguéré.

Ce modèle de patrouilles mixtes rappelle ce qui peine encore à se réaliser au nord du Mali entre les groupes armés signataires de l’accord de paix d’Alger de 2015. Celui-ci ne prévoyait pas de mesures pour le centre du Mali alors que, dès 2012, commençaient à proliférer des groupes armés présents également au nord du pays. Ces derniers se sont organisés en formant une coalition appelée Coordination des mouvements signataires et groupes d’autodéfense du centre. Le groupe de M. Bolly comme Dan Na Ambassagou en font partie. « Nous avons créé cette coalition en février 2018 pour que tous les mouvements armés du centre du Mali se retrouvent dans l’objectif de participer au processus de désarmement », explique l’un des dirigeants de la nouvelle alliance.

Un terrain miné

Seulement, faute d’avoir été inclus dans l’accord d’Alger, ces groupes n’ont pas pu bénéficier des subsides du désarmement, largement financé au nord par les Nations unies. L’annonce d’un processus similaire pour le centre, fin 2018, aurait, selon une source étrangère, attiré les convoitises des miliciens : « Les groupes, comme les autorités d’ailleurs, pensaient que les Nations unies allaient étendre leur processus au centre et financer le désarmement là-bas. Mais elles n’ont pas vraiment suivi. »

Pour les Nations unies, le centre du Mali est un terrain miné, où les intentions des acteurs restent floues. Comme d’autres groupes armés, Dan Na Ambassagou voit le groupe de M. Bolly comme« une création gouvernementale », mise sur pied notamment pour montrer à l’opinion que la lutte antiterroriste et le processus de désarmement du centre fonctionnent.

Cette accusation, formulée sans preuve formelle, Dan Na Ambassagou en fait aussi les frais. Ces derniers mois, de nombreux acteurs ont dénoncé un supposé soutien des autorités à ce groupe. Le 3 avril, le député Bakary Woyo Doumbia interpellait ainsi le gouvernement au sein de l’hémicycle : « La réalité est que notre sécurité a été sous-traitée à des groupes armés au nord comme au centre du Mali. […] Qu’attend-on pour les démanteler ? »

Echapper au contrôle des autorités

Face à lui, Salif Traoré, le ministre de la sécurité, s’était défendu : « Il n’y a que les forces armées et de sécurité qui ont le droit aux armes. Et le gouvernement n’entend pas sous-traiter la sécurité de quiconque à qui que ce soit ». Puis, face à l’élu qui dénonçait une responsabilité « entièrement politique » dans les massacres de civils qui ont eu lieu depuis le début d’année, le ministre avait finalement répondu : « C’est vrai, face à l’absence de l’Etat, à certains endroits, certains ont cru devoir se substituer à l’Etat. Mais nous sommes montés en puissance. Nous sommes en réorganisation. […] Pour nous, c’est très clair. Il n’y a pas de milices armées autorisées par le gouvernement du Mali. Ça n’existe pas. »

Pourtant, à en croire M. Guengéré, de Dan Na Ambassagou, par le passé, son groupe et le pouvoir ont collaboré : « Le gouvernement ne peut pas couvrir tout le territoire. […] C’est vrai, à un moment donné, nous avons été très présents aux côtés des forces armées pour les guider dans leurs déplacements, comme c’est nous qui connaissons le terrain. » Avant de revenir sur le rôle qu’aurait joué son groupe pendant le scrutin d’août 2018 : « Nous avons participé à la sécurisation de l’élection présidentielle, dans les cercles de Bandiagara, de Bankass, de Douentza et de Koro. Si ce n’était pas les chasseurs qui avaient sécurisé cela, il n’y aurait pas eu de votes dans ces zones. Nous avons joué le rôle de l’Etat et avons protégé nos populations qui devaient se déplacer pour aller voter. […] Les bureaux de vote étaient assez regroupés. C’était facile de s’en occuper, en mettant deux ou trois hommes devant. »

Aujourd’hui, ce groupe, comme de nombreux autres au centre du Mali, semble échapper à tout contrôle des autorités. Devant les députés, le ministre de la sécurité a promis, martial, que « tous ceux qui détiennent des armes […], nous allons les chercher, les traquer et les désarmer. Mais cela ne se fait pas dans la précipitation. »Sommaire de notre série « Le centre du Mali dans la tourmente »

Ce 23 mars aura été un choc. Près de 160 personnes ont été sauvagement tuées à Ogossagou, un petit village peul du centre du Mali. Jamais, dans la zone, un conflit intercommunautaire opposant principalement des miliciens dogon et peuls n’aura causé autant de victimes. Ces hommes armés s’affrontent pourtant depuis des années. Déjà, en 2016, les humanitaires et les défenseurs des droits de l’homme alertaient sur le danger de l’instrumentalisation de ces vieux conflits fonciers par les groupes terroristes.

Quatre ans plus tard, leurs craintes se sont transformées en une macabre réalité. La liste des victimes n’a fait que s’allonger, de mois en mois. Depuis mars 2018, plus de 600 civils ont été tués dans ces conflits, au centre du Mali, selon l’ONU. Le Monde Afrique vous raconte, en six épisodes, la tourmente sécuritaire d’une région, trop longtemps passée sous silence. Ses causes, ses conséquences, mais aussi les solutions qui émergent pour tenter de mettre fin à ces conflits multidimensionnels qui font aujourd’hui du centre du Mali la principale menace pour la stabilité de ce pays clé du Sahel.

M.A