« Sahel : L’armée française doit éviter la substitution et renforcer fortement l’appui matériel à l’armée malienne et le renseignement. Il faut absolument aider les Etats sahéliens à assurer le contrôle du territoire et les services aux populations, sans aide contournant les Etats… ». Ces propos de l’ancien ambassadeur français Nicolas Normand datent déjà de quelques mois. Des propos qui, on s’en souvient, avaient beaucoup dérangé à l’époque les autorités françaises et qui tendaient à confirmer que la France avait un autre agenda au Mali. Avec le recul, tout porte à croire que le temps a fini par donner à l’ex-diplomate, les chefs d’Etat du G5-Sahel et leur homologue français ayant finalement décidé, a l’issue du sommet de Pau, de la mise en place d’un commandement commun Barkhane-Forces conjointes G5-Sahel.

 

En effet, dans la déclaration finale du sommet de Pau, on peut lire ce qui suit : Les chefs d’Etat ont salué les actions déjà menées et ont souligné le besoin d’une plus grande coordination dans la mise en œuvre des initiatives en cours au Sahel et d’un engagement international renforcé. A cette fin, les chefs d’Etats sont convenus de mener une discussion avec les partenaires déjà engagés afin de mettre en place un nouveau cadre politique, stratégique et opérationnel qui marquera une nouvelle étape dans la lutte contre les groupes terroristes au Sahel et dans la prise de responsabilité collective.

A la lumière de ces discussions, ce nouveau cadre prendra la forme et le nom d’une « Coalition pour le Sahel », rassemblant les pays du G5 Sahel, la France, à travers l’opération Barkhane et ses autres formes d’engagements, les partenaires déjà engagés, ainsi que tous les pays et organisations qui voudront y contribuer. Ce cadre sera organisé autour de quatre piliers rassemblant les efforts engagés dans les domaines suivants : 1-En matière de combat contre le terrorisme : les chefs d’Etat ont marqué leur ferme volonté de combattre ensemble tous les groupes armés terroristes actifs dans la zone, en concentrant immédiatement leurs efforts militaires dans la région des trois frontières sous le commandement conjoint de la Force Barkhane et de la Force conjointe du G5 Sahel, en ciblant en priorité l’EIGS ».

En d’autres termes, Barkhane ne sera plus une force isolée (au sens figuré du terme) dans la stratégie et l’élaboration de la doctrine du combat contre le terrorisme dans le sahel. Plus de substitution donc aux armées nationales du G5-Sahel, si tant est qu’« on ne peut raser la tête de quelqu’un à son absence », mais plutôt une force véritablement partenaire des pays du champ ! C’est peut-être cette perspective qui donne tant d’espoir au Président IBK qui a tenu un discours de potentiel vainqueur et à court-terme, affirmant que « la peur peut changer de camp, et va changer de camp », et que nos soldats sortiront vainqueurs de cette guerre à nous imposer !

Les autorités françaises ont-elles fini par prendre en compte les propositions de Nicolas Normand ? En tout cas, ses propos « Sahel : L’armée française doit éviter la substitution et renforcer fortement l’appui matériel à l’armée malienne et le renseignement. Il faut absolument aider les Etats sahéliens à assurer le contrôle du territoire et les services aux populations, sans aide contournant les Etats… », au-delà de l’agacement créé chez les autorités françaises, prouvaient également la constance de ce diplomate chevronné dans sa conviction que son pays a commis des erreurs au Mali.

Ce qui n’est pas un discours nouveau ! En effet, déjà en février 2019, invité pour parler de son livre « Le grand livre de l’Afrique », une contribution majeure, selon lui, aux différentes réflexions sur l’avenir et le devenir de l’Afrique, Nicolas Normand avait indiqué : « On ne peut plus négliger le conflit malien, car c’est là que se jouent une crise grave et des affrontements multiples ou, sinon, un drame avec des conséquences graves dans la sous-région ouest africaine ».

Et de trancher net en déclarant : « Un tournant de la crise malienne a été marqué par deux évènements majeurs. Le premier facteur est le nœud gordien non tranché depuis 2012 où les autorités maliennes ont été empêchées par l’armée française de rétablir leur autorité à Kidal. Cette ingérence a créé une instabilité en opposant Ifoghas de la CMA (ex-rebelles) aux Imghads de la plateforme (loyalistes) et les effets pervers sur la cohésion communautaire. Le second facteur est la visite contestée du Premier Ministre malien en mai 2014 à Kidal provoquant une défaite de l’armée malienne avec des conséquences incalculables et un bouleversement des rapports de force sur le terrain ».

 

En mars 2019, Nicolas Normand n’a pas non plus porté de gants pour dénoncer le double jeu de la France dans la crise au nord du Mali. En effet, sur RFI, toujours concernant son livre, Nicolas Normand avait affirmé que le chaos au Mali résulte d’une succession de faux-pas de la diplomatie française. Critiquant ainsi la politique malienne de Paris, aggravée par leur soutien, en 2012, aux séparatistes touaregs du MNLA dont la ramification est aujourd’hui la CMA. Et sans remettre en cause la pertinence de la décision de lancer en 2013 l’opération Serval, Nicolas Normand avait fait savoir que ce fut une erreur stratégique de soutenir certains groupes au détriment d’autres, alors que la normalisation de la situation devait passer par la neutralisation de tout le monde.

Et sur ce point, voici certains de ses propos fétiches qui ont fait grincer beaucoup de dents : « D’abord, dans le cadre de Serval, on avait cru bon de faire un distinguo entre les différents groupes armés. En réalité, il n’y a pas de bons groupes armés dans un Etat démocratique. Et chacun aurait dû être neutralisé ou au moins contraint à un désarmement immédiat ». C’était particulièrement une erreur d’avoir favorisé « considérablement » la faction touareg sécessionniste quasi réduite à néant sur le terrain au détriment de Bamako, des autres factions touareg non sécessionnistes et des autres communautés non touareg, pourtant majoritaires dans le nord malien… Et d’ajouter que les Ifoghas, la haute classe, mais ultra minoritaire traineraient les pieds dans la mise en œuvre de l’accord dont l’aboutissement est la tenue des élections qu’ils ne pourront jamais gagner.

Une affirmation qui, à l’époque, avait provoqué l’ire des membres de la CMA qui avaient dit ne pas comprendre comment peuvait-on mettre en doute leur volonté d’aller à l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation pour laquelle ils se battent depuis plus de quatre ans.

Seydou DIALLO

Source : LE PAYS