Au-delà de l’action militaire, les forces présentes au Mali appellent à changer de paradigme sur le plan politique pour ramener la paix dans les régions du Nord.

La mort des treize soldats français au Mali va-t-elle changer la réponse donnée à la crise malienne ? C’est en tout cas le souhait d’une majorité d’acteurs, dont Jean-Yves Le Drian. Pour le ministre français des Affaires étrangères, « le plus important », désormais, c’est « l’action politique », a-t-il déclaré devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale ce mercredi. Au Mali d’abord, mais aussi au Burkina Faso, perçu comme le nouvel épicentre du terrorisme par certains observateurs. La semaine dernière, le Quai d’Orsay a d’ailleurs actualisé sa carte de conseils aux voyageurs sur le pays.

Sur le territoire malien, le ministre a appelé à « plus de pression politique […] pour que les engagements pris soient respectés […], pour que les accords d’Alger, y compris dans la partie décentralisation, soient réellement mis en œuvre ». Les aménagements prévus par le document, notamment ceux portant sur le désarmement des groupes rebelles et leur intégration dans les forces de défense maliennes, peinent à s’appliquer. Signé en 2015, l’Accord d’Alger met fin au conflit survenu en 2012 avec la rébellion touarègue. Les trois signataires – le gouvernement malien, la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) – s’engagent alors à ramener la paix au Mali, et spécifiquement dans sa région Nord. Mais très vite, l’accord de paix s’embourbe.

« La période intérimaire de 18 à 24 mois, prévue par l’accord et qui devait ramener le calme dans le pays, est tout sauf apaisée. Elle est davantage la continuité du conflit qu’une réelle période de transition et multiplie les retards sur les échéanciers », affirme Adib Bencherif, chercheur à l’université d’Ottawa, dans un article de la revue Politique africaine. Et maintenant ? « Le dialogue entre les parties maliennes de l’Accord semble s’essouffler », estime un rapport du centre Carter publié en mai 2019, observateur indépendant de la mise en œuvre de l’accord. En cause : « Les actes unilatéraux, pris à la fois par le gouvernement malien mais aussi par les divers mouvements signataires. » Exemple, le lancement en février d’une opération militaire de sécurisation sur la ville de Kidal par la CMA, dénommée « Acharouchou ».

L’intervention, d’une durée de 15 jours, prévoyait par exemple la sécurisation des voies de circulation et le contrôle des véhicules, mais aussi l’interdiction de la vente et de la consommation d’alcool. Soit « du point de vue du Comité de suivi de l’accord (CSA), une violation flagrante de l’Accord et une atteinte aux prérogatives régaliennes du gouvernement », explique le site d’informations Voix de Bamako. Une situation qu’a dénoncée aussi Jean-Yves Le Drian à l’Assemblée nationale, en appelant à ce que « l’État malien revienne à Kidal ». « Tous les acteurs du conflit ne sont pas sur la même longueur d’onde, affirme Adib Benchérif, chercheur au Sahel Research Group de l’université de Floride. Beaucoup de groupes jouent des alliances opportunes et circonstancielles, qui se font et se défont en fonction des intérêts de chacun. On est entré dans un jeu de négociations qui semble interminable. »

Et la multiplication des violences au centre du pays n’arrange pas la mise en œuvre du processus, déjà brinquebalant. « Dans un climat de tensions croissantes entre certaines communautés au Mali, les questions de réconciliation et de justice, qui sont au cœur de l’Accord, ont été dans une large mesure négligées », estime le centre Carter. Pour Adib Benchérif, « le conflit qui a cours au centre du Mali à partir de 2015 et qui implique certaines franges des communautés peules n’a pas été pensé et intégré à l’Accord, signé entre l’autorité centrale et les groupes armés du nord du Mali ». « Depuis, d’autres tensions se sont rajoutées, avec des milices communautaires qui privilégient les armes pour se défendre dans des zones rurales que l’État ne contrôle plus. Cela fragilise forcément l’application de l’Accord de paix », assure-t-il. En décembre 2018, l’Observateur indépendant soulignait que « 44 % de l’Accord avait été mis en œuvre, mais que les engagements réalisés consistaient essentiellement en des actions préliminaires ». En avril 2019, « malgré l’amorce d’une prise en compte des recommandations formulées », les analystes « n’ont pas constaté d’évolutions significatives ».

Quid du G5 Sahel ?

Si l’Accord d’Alger peine donc, pour le moment, à s’appliquer, qu’en est-il du G5 Sahel, l’autre outil dont dispose la région pour résoudre le conflit ? Pour l’International Peace Institute, la force a en effet pour dessein « d’appuyer le processus politique, plutôt qu’à lui servir de substitut ». Mecredi, Jean-Yves Le Drian a donc appelé, là aussi, à « plus de politique pour faire en sorte que la mise en œuvre de la Force conjointe du G5 (Mali, Mauritanie, Niger, Burkina et Tchad) soit concrétisée ». Mais le ministre des Affaires étrangères l’a reconnu : « Cela avance, mais met parfois un peu de temps. » Créé en février 2014, le « G5S » n’est toujours pas opérationnel. Car malgré les 414 millions d’euros d’aide promis par la communauté internationale, seuls 176 millions ont été « mis en œuvre et sont en cours d’exécution », a rappelé le ministre.

Il y a un peu plus d’un an, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta appelait déjà à la tribune de l’ONU à New York ses partenaires qui ont fait des annonces de contributions financières en février 2018 lors de la conférence de Bruxelles à honorer leurs engagements en faveur de la force conjointe ». Entre le manque significatif de moyens, et les attaques que subit le contingent sur place – à Boulkessy, Mondoro ou Sévaré – difficile de dire si le G5 Sahel pourra prêter main forte aux forces engagées dans la résolution du conflit. Pour Adib Benchérif, c’est le fonctionnement même de la force qui pose problème. « Le G5 peut apparaître comme une force étrangère conduisant les populations à être suspicieuses. Une relation de confiance doit s’établir entre ses soldats et les communautés locales. Par ailleurs, il faudrait vraiment désarmer, intégrer, et professionnaliser tous ces groupes armés, notamment au sein du programme Désarmement, démobilisation et réinsertion (DDR), propose-t-il. Cela permettrait de prévenir des violences intercommunautaires et des exactions qui sapent toute adhésion locale. Et qui coupent à la racine toute tentative de paix ».

 

Lepoint.fr