ANALYSE. C’est la première visite d’un haut responsable français depuis le coup d’État du 18 août. Au programme : paix, sécurité et développement.

Ce dimanche, c’est jour de visite pour le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Après quelques jours de décalage, en raison d’une panne d’avion, le chef de la diplomatie est attendu à Bamako par les nouvelles autorités de la transition. C’est la première visite sur le sol malien d’une autorité civile française depuis la chute de l’ex-présidnet Ibrahim Boubacar Keïta. Paris veut réaffirmer sa volonté d’accompagner la transition politique malienne. Comme les autres partenaires, la France veille de près au respect des engagements pris par la junte. Au-delà, il sera bien évidemment question de paix et de sécurité dans la région, toujours en proie aux attaques djihadistes. Il s’agira de relancer la dynamique engagée aux sommets de Pau et de Nouakchott, alors que de plus en plus de voix s’élèvent en faveur d’un dialogue avec certains groupes armés. Sans compter que vue de Paris, la remise en liberté de centaines de djihadistes en échange de la libération des deux otages Sophie Pétronin et Soumaïla Cissé n’est toujours pas passée.

Prévue jusqu’au lundi 26 octobre, la visite de Jean-Yves Le Drian devrait également donner un coup de boost au volet développement de la relation entre les deux pays avec la signature d’« importants accords de coopération », comme l’a souligné l’ambassadeur de France au Mali, Joël Meyer.

Le contexte malien

Sous pression de la communauté internationale, les auteurs du coup d’État qui ont fait partir l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta se sont engagés à rendre le pouvoir à des dirigeants civils élus au terme d’une période de transition d’une durée maximale de 18 mois.

Dans la foulée, la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a levé les sanctions imposées au Mali après le putsch, conférant une reconnaissance internationale de fait à l’équipe en place.

La France épaule militairement le Mali depuis 2013 face aux poussées djihadistes parties du nord du pays et qui ne cessent de s’étendre vers le centre et les États voisins. « Les nouvelles autorités ont 18 mois devant elles. Elles affichent une volonté de s’attaquer aux problèmes du pays », relève-t-on à Paris en pointant les violences djihadistes et intercommunautaires, la corruption et l’impunité qui minent le Mali et ont conduit au renversement du président Ibrahim Boubacar Keïta. « Il faut faire en sorte que ces 18 mois ne soient pas une parenthèse » et leur apporter un « soutien concret », ajoute-t-on de source diplomatique, citée par l’Agence France-Presse.

Clarification

Concrètement, Jean-Yves Le Drian entend de son côté obtenir des engagements concrets des nouveaux dirigeants maliens alors que la récente libération de plusieurs otages, dont la Française Sophie Pétronin, en échange de 200 détenus réclamés par les groupes djihadistes, a fait grincer des dents à Paris.

« J’observe – mais je préférerais qu’on me le dise – que les nouvelles autorités ont renouvelé leur engagement dans la force conjointe du G5 Sahel, leur soutien à la présence de (la force française) Barkhane et que l’armée malienne a continué les combats pendant cette période », a déclaré au Sénat le chef de la diplomatie française.

L’homme fort de la junte, le colonel Assimi Goïta, désormais vice-président, a promis de gagner « la guerre » contre les djihadistes alors que les deux tiers du pays échappent à l’autorité centrale.

Sur le terrain, la situation reste toutefois très précaire. Douze civils et onze militaires ont encore été tués mi-octobre dans le centre du Mali.

Le colonel Goïta, qui devait à l’origine recevoir Jean-Yves Le Drian, est lui-même parti au front à Farabougou, localité assiégée par des groupes armés, qui cristallise l’attention malienne.

Faut-il dialoguer avec les djihadistes ?

Une question reste cependant en suspens. La France, qui compte plus de 5 000 soldats au Sahel, a réitéré après le coup d’État sa détermination à poursuivre le combat antidjihadiste au Mali, et ce malgré des appels de plus en plus nombreux à engager des négociations avec les groupes armés radicaux. Tout a commencé par une tribune parue dans le quotidien suisse Le Temps. Dans ce texte, le commissaire de l’Union africaine à la paix, Smaïl Chergui, considère qu’il convient désormais « d’explorer la voie du dialogue avec les extrémistes » en tirant le bilan de huit années d’intervention étrangère et en faisant le parallèle avec l’Afghanistan. Dans ce sillage, quelques jours plus tard, c’était au tour du secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, appelant la communauté internationale à prendre la mesure de la menace terroriste en Afrique, qui évoquait clairement cette approche dans une interview au journal Le Monde. « Il y aura des groupes avec lesquels on pourra parler, et qui auront intérêt à s’engager dans ce dialogue pour devenir des acteurs politiques dans le futur. Mais il reste ceux dont le radicalisme terroriste est tel qu’il n’y a rien à faire avec eux » a déclaré Antonio Guterres, citant l’exemple afghan.

L’idée n’est pas nouvelle, l’ancien président malien IBK avait publiquement reconnu l’existence d’une telle démarche auprès des groupes djihadistes. Justification avancée : « La nécessité d’explorer les voies d’une sortie de crise après huit années de guerre sans issue rapide en vue. » Le président Keïta, citant lui les modèles algérien et afghan, avait rompu avec le rejet jusqu’ici affirmé de tout dialogue avec les djihadistes, également qualifiés de terroristes. Un virage important dans la stratégie des autorités à contresens du point de vue des élites maliennes et de puissances étrangères présentes sur le terrain.

Dans ce contexte, quel sort réserver aux accords de paix d’Alger de 2015 ? Il faut souligner que leur mise en œuvre est en grande partie restée lettre morte. Maintenent qu’un président de transition, Bah Ndaw, un colonel à la retraite, a été nommé, ainsi qu’un Premier ministre, Moctar Ouane, ex-ministre des Affaires étrangères, tous deux des civils, la question de nouvelles négociations refait surface. « Cette visite permettra de rappeler notre attachement à la mise en œuvre de l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, un sujet qui sera aussi abordé avec les groupes signataires » a clarifié Paris. « Il importe qu’on aille au bout du processus dit d’Alger » entre pouvoir central et rebelles séparatistes touaregs du Nord, ajoute le ministre, qui rencontrera les mouvements signataires. Concrètement, cela passe par des actions de « DDR » (désarmement, démilitarisation, réintégration) des groupes armés et des mesures de décentralisation et de développement dans le Nord, souligne-t-il.

La France et l’Algérie, à qui l’on prête une influence sur les groupes armés du Nord et qui entend jouer un rôle majeur dans le règlement de la crise, s’efforcent dans ce cadre de coordonner leurs actions, comme on a pu l’observer lors de la récente visite du chef de la diplomatie française à Alger. Il s’agit de « travailler avec les autorités sur les paramètres de cette charte, qui intègre à la fois la mise en oeuvre des accords d’Alger, la lutte contre la corruption, contre l’impunité et la poursuite des combats entre les jihadistes, en particulier dans le cadre de la force conjointe du G5 Sahel », a souligné Jean-Yves Le Drian à l’AFP dans l’avion qui le conduisait à Bamako.

Outre un soutien politique et militaire, la visite de Jean-Yves Le Drian donnera aussi lieu à la signature de conventions d’aide au développement à hauteur de 140 millions d’euros, dans le domaine des infrastructures et de l’eau, de la politique sociale et de l’autonomisation des femmes, précise son ministère. Peu évoqué, le volet développement a toujours été en revanche au cœur de la stratégie française à travers son agence de développement (AFD) qui pilote pas moins de 22 projets dans le pays en plus d’avoir engagé un programme inédit pour toute la sous-région, l’Alliance Sahel.

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Source: lepoint