Après avoir aidé l’élection du président Ibrahim Boubacar Keïta en 2013, le charismatique religieux salafiste, mobilisateur hors pair, a largement contribué à la chute à son régime, tombé le 18 août.

Un homme travaillant au bonheur de ses concitoyens, n’aspirant qu’à retourner conduire la prière dans sa mosquée située, comme par une facétie de l’histoire, rue Gamal Abdel Nasser, le dirigeant égyptien qui tenta d’empêcher l’entrée de l’islam dans le jeu politique. C’est ainsi que Mahmoud Dicko se présente au monde.

Dans les faits, l’imam du quartier de Badalabougou, à Bamako, est aujourd’hui au centre de la vie politique malienne. Un faiseur et tombeur de rois comme l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), son « ami », son « frère », en a fait la douce puis amère expérience.

En 2013, le militant de l’Internationale socialiste, amateur de champagne et de littérature française, avait notamment bénéficié, pour se faire élire, de l’appui ouvert de ce salafiste quiétiste alors à la tête du Haut Conseil islamique. Sept ans plus tard, le 18 août, l’armée est venue, sans verser une goutte de sang, donner le coup de grâce à son régime. Mais rien n’aurait été possible sans l’agitation préalable de la rue. Et pour cela, Mahmoud Dicko est un mobilisateur hors pair.

Depuis 2009, il a fait lever des foules contre une réforme du code de la famille qui donnait davantage de droits aux femmes, contre les massacres qui ensanglantent le centre du pays, contre les forces françaises et de l’ONU ou bien encore contre des manuels scolaires faisant « la promotion de l’homosexualité ».

Personnalité essentielle

Ces derniers mois, après la proclamation des résultats des législatives, que le pouvoir a partiellement inversés à son profit, l’imam s’était vu attribuer le titre d’autorité morale du Mouvement du 5 juin, une coalition on ne peut plus hétérogène faite de vieux routiers de la politique sans lien idéologique et de militants d’une société civile éclatée.

Il en était surtout la seule voix à même de faire sortir des milliers de manifestants dans un Mali où, moins de trente ans après l’avènement de la démocratie en 1991, le terme « politiki » est associé au mensonge et à la corruption.

Un mois après la chute d’un pouvoir civil à bout de souffle et l’entrée en scène de « jeunes soldats qui ont la volonté de bien faire mais ont besoin d’être encadrés », le religieux à la barbe blanche se désolerait presque de son plus haut fait d’arme. « Je ne voulais pas en arriver là. Je voulais juste un changement de gouvernance car la corruption était devenue le système. C’est l’entêtement d’IBK qui a provoqué cette situation », affirme-t-il, installé dans son petit salon où tout Bamako se presse pour le rencontrer.

Le chef de l’Etat démissionnaire est parti se faire soigner à Abou Dhabi ; son premier ministre, Boubou Cissé, et plusieurs généraux, sont toujours détenus au camp militaire Soundiata-Keïta de Kati ; le bruit de la rue s’est tu, mais Mahmoud Dicko demeure une personnalité essentielle du scénario qui se joue en coulisses.

Selon l’un de ses proches, il a intégré le collège chargé de désigner les futurs président et premier ministre de transition et maintient un contact régulier avec l’aussi discret qu’insondable colonel Assimi Goïta, le chef de cette junte qui refuse de s’assumer comme telle. « Il a clairement dit qu’il fallait installer des civils », sous peine de voir la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédeao) durcir ses sanctions contre le Mali, relate la même source.

« Candidat à rien »

Pour les officiers du Conseil national pour le salut du peuple, l’ancien professeur d’arabe, né il y a 66 ans dans un village du cercle de Goundam, près de Tombouctou, est une personnalité hautement sensible, toujours à même de relancer la contestation.

Que feront dans ce cas les soldats ? Ne rien faire déstabiliserait leur autorité naissante. Réprimer les discréditerait à jamais. Avec sa suavité habituelle, l’imam Dicko assure n’avoir « pour seul mérite que de dénoncer publiquement. Même si l’on me donnait tout le Mali, je ne me tairais pas », poursuit-il même.

Mais que cherche-t-il alors ? « Ouvrir la voie à un Etat islamique… Un crime impardonnable », comme l’avait dénoncé IBK lors d’un sommet de la Cédeao, trois semaines avant d’être renversé ? A cela, celui qui, depuis plusieurs années, défend sans succès l’ouverture de négociations directes avec « les djihadistes maliens car à la fin il faudra bien se parler », rétorque que « les gens ont le droit de ne pas me croire mais je ne suis candidat à rien. Je veux rester dans ma mosquée qui est le baromètre de notre société, le lieu où s’expriment ses maux ».

« Aujourd’hui, c’est dans l’espace religieux que se joue réellement la politique et Dicko incarne désormais la société civile », Gilles Holder, anthropologue

« A force de le répéter, il en a convaincu les gens et a peut-être raté son rendez-vous avec l’histoire », ironise un chercheur qui, comme toutes les voix critiques, préfère garder l’anonymat. Au sein de la Coordination des mouvements, associations et sympathisants de l’imam Dicko, formée après son départ du Haut Conseil islamique, tous n’ont pas la même distance avec les rendez-vous électoraux et plaident pour une transformation rapide en parti politique.

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S’il n’est ni le leader religieux ayant le plus de fidèles, ni celui qui a la plus haute autorité spirituelle, l’imam, qui a fait ses classes en Mauritanie puis à Médine en Arabie saoudite, est « un salafiste républicain. Son objectif est de moraliser la société, de rectifier les pratiques de gouvernance selon une éthique islamique. Aujourd’hui, c’est dans l’espace religieux que se joue réellement la politique et Dicko incarne désormais la société civile », décrit l’anthropologue Gilles Holder du laboratoire Mali cohésion territoire à Bamako.

Cauchemar des dirigeants français

Depuis une décennie, Mahmoud Dicko plaide pour une transformation du pays sur la base « des valeurs sociétales du Mali qui est à 98 % musulman ». « Notre problème est que nos élites veulent ressembler aux Occidentaux et nos religieux aux Arabes. Je suis d’abord Malien et j’en suis fier », assène-t-il. « Les gens veulent entendre que je veux imposer la charia mais si les lois s’appliquent bien, c’est une forme de charia. Les amputations, les lapidations sont des règles dissuasives qui ne s’appliquent pas et que l’islam n’a fait que récupérer », ajoute-t-il, soucieux de gommer l’image d’islamiste radical qui lui colle à la peau.

« Dicko n’est pas un religieux. Peut-être qu’il n’est pas même un musulman. C’est un politique. Il peut dire une chose à une personne et l’exact contraire à une autre cinq minutes après », grince pourtant un diplomate africain.

Cauchemar des dirigeants français qui l’ont un temps dépeint comme la cinquième colonne des groupes djihadistes, l’imam espère lever « les incompréhensions » :

« Je communique avec l’extérieur en français. Il y a une partie de la France qui est en moi mais son erreur est d’avoir une politique destinée à l’élite et que le peuple ne le sent pas. En 2018, le président français a félicité IBK pour sa réélection avant que la Cour constitutionnelle donne le résultat. Ça, ça me révolte. »

Il y a en revanche des hommes que l’imam Dicko « adore ». « Il y a très longtemps j’ai passé toute une nuit à pleurer après avoir vu un documentaire sur ce qu’avait fait Raoul Follereau pour soulager les lépreux. J’aime cette bonté, comme celle de Martin Luther King », se souvient-il en prenant soin d’insister que ces modèles ne sont pas musulmans. Une larme semble se dessiner au coin de l’œil. Un acteur politique au sens plein du terme.

Source: Le Monde