La Minusma a documenté 632 cas de violations des droits humains au deuxième trimestre, dont 126 sont imputés aux forces de défense et de sécurité.

 

La spirale de la violence ne cesse de s’aggraver au Mali. Depuis début juin, les populations, déjà victimes d’une guerre contre le terrorisme qui s’éternise et de massacres intercommunautaires réguliers, doivent désormais compter avec un conflit sociopolitique majeur qui déstabilise le pouvoir de Bamako.

Selon la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma), l’accumulation de ces crises a conduit à une augmentation de 5,65 % des violations et abus des droits humains par rapport au premier trimestre. Dans sa note publiée jeudi 6 août, la division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) a ainsi documenté 632 cas de meurtres, exécutions sommaires, enlèvements, viols, atteintes à l’intégrité physique, intimidations et menaces. Entre le 1er avril et le 30 juin, 323 personnes, dont 23 enfants et 11 femmes, ont été tuées.

La plupart de ces drames ont eu lieu dans le centre du pays, notamment dans les cercles de Ségou et Mopti, une zone minée par le djihadisme. Pourtant, les terroristes ne sont pas les plus accablés par ce rapport de l’ONU, qui pointe les Forces de défense et de sécurité maliennes (FDSM), en particulier des unités de l’armée de terre et de la garde nationale. Sur les 632 abus relevés ce trimestre, 126 leur sont imputés, dont 94 exécutions sommaires et arbitraires. Un bilan accablant, alors que l’ONU avait demandé au gouvernement malien, en mars, un engagement plus fort contre l’impunité au sein de l’armée après la dénonciation de 101 exécutions extrajudiciaires par ses soldats.

Les armées burkinabée et nigérienne aussi responsables

Dans certains cas, les Forces armées maliennes (FAMA) se sont associées avec des groupes d’autodéfense dogon pour commettre des atrocités dans des villages peuls. Le cas le plus emblématique est celui du 5 juin, lorsqu’un convoi militaire d’une trentaine de véhicules accompagné de chasseurs traditionnels a pris d’assaut le village de Binedama. Ils ont ouvert le feu sur les villageois, tuant 37 personnes, dont trois femmes et trois enfants. Certains sont morts calcinés dans l’incendie de leur maison.

« Ces attaques sont des exemples assez courants de représailles entre les acteurs armés, explique Héni Nsaibia, chercheur pour l’ONG Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled). Les “dozo” sont des milices ethniques principalement issues des communautés bambara et dogon, qui sont relativement bien représentées au sein du gouvernement et des structures militaires maliennes. Leur utilisation dans le cadre des opérations militaires s’inscrit dans l’acquisition d’avantages au combat, compte tenu de la faiblesse relative des forces gouvernementales, et pour compléter leur faible présence dans les zones rurales contestées. »

Les FAMA ne sont pas les seuls acteurs militaires accusés dans ce rapport. L’armée burkinabée est aussi visée pour 50 exactions commises sur le sol malien, notamment dans le village de Boulkessi. Début juillet, elle était déjà accusée dans un rapport de l’ONG Human Rights Watch d’avoir commis des « exécutions extrajudiciaires de masse » après la découverte de charniers contenant 180 corps près du village de Djibo. Dans une note précédente, c’étaient 34 exécutions extrajudiciaires perpétrées par l’armée nigérienne sur le sol malien qui étaient dénoncées.

Ces découvertes macabres ont été, selon la Minusma, « formellement partagées avec les autorités civiles, militaires et judiciaires » des Etats concernés, tous participant à la lutte contre le terrorisme dans la région au sein de la coalition du G5 Sahel épaulée par la France. En dépit des promesses d’enquêtes faites par le gouvernement malien dans le cadre de la lutte contre l’impunité des violations des droits humains, la Minusma maintient que malgré « quelques progrès », la réponse des autorités « reste largement insuffisante ».

« Les violences contre les civils peuls vont crescendo »

Comment expliquer telle impunité ? Les Etats sahéliens auraient-ils du mal à contrôler leurs armées ? « L’appel à une intensification des opérations antiterroristes lors du sommet de Pau [en janvier] a été compris par les états-majors nationaux comme une obligation de résultats à atteindre, explique Mathieu Pellerin, analyste spécialiste du Sahel à l’International Crisis Group. Or le contexte dans lequel évoluent les armées ne s’y prête absolument pas, marqué d’une part par leur sous-équipement chronique et un épuisement psychologique et physique des soldats, avec des relèves qui traînent, et d’autre part par une stigmatisation de la communauté peule qui se normalise dans un contexte d’impunité totale. Le résultat est que les violences perpétrées par les FDSM contre les civils peuls vont crescendo. »

Ces exactions ont lieu sur fond d’intensification des tensions qui opposent les communautés dogon et peule. Entre avril et juin, 63 attaques de villages ont été recensées, provoquant la mort de 172 personnes. Les milices d’autodéfense peules ont répondu aux précédentes attaques des chasseurs traditionnels dogon et bambara, les « dozo », alimentant ainsi un cycle de vendettas qui a déjà tué quelque 1 400 civils depuis janvier 2019 dans le centre du pays et jeté plus de 100 000 personnes sur les routes.

« L’intensification des attaques contre les villages dogon coïncide avec le début de la saison agricole, pendant laquelle les Dogon, principalement agriculteurs, sont dans les champs et sont particulièrement vulnérables », explique Joanne Adamson, représentante spéciale adjointe du secrétaire général des Nations unies au Mali, chargée des affaires politiques au sein de la Minusma : « Etant donné que l’agriculture est le principal moyen de subsistance des membres de la communauté dogon, on craint que ces attaques ne conduisent à une importante crise économique et alimentaire dans la région. »

Une campagne systématique d’intimidation des femmes

Dans le centre et dans le nord, les groupes armés terroristes, tels Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ou le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), sont tenus responsables de 123 violations des droits humains, soit près de 20 % des abus commis au Mali ce trimestre. Il leur est reproché trois attaques contre des écoles, six contre des centres de santé, quatorze contre des humanitaires et 173 contre la Minusma. Le rapport relève aussi une campagne systématique d’intimidation des femmes, certaines étant voilées de force, ainsi que des cas de violences sexuelles.

Depuis le 5 juin, une large coalition de l’opposition politique malienne reproche au président Ibrahim Boubacar Keïta sa mauvaise gouvernance et son manque de résultats dans la lutte contre les violences qui ont provoqué la mort de milliers de civils et de militaires dans le pays. Ces nouvelles révélations d’exactions sur des populations civiles pourraient nourrir un peu plus la contestation.

Par Matteo Maillard Publié le 07.08.2020