REVUE DE PRESSE. Au sein du G5 Sahel, le Mali, le Tchad, la Mauritanie, le Burkina Faso et le Niger ont décidé de créer une “force conjointe de défense”.

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Pour leur troisième sommet extraordinaire depuis la création du G5 Sahel en février 2014, les chefs d’État du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad étaient réunis à Bamako ce lundi 6 février. Focalisée sur la situation sécuritaire au Mali et ses répercussions dans la bande sahélo-saharienne, cette rencontre visait en premier lieu à lutter contre « la montée de l’extrémisme » et à « réaliser le Sahel de la défense », selon les termes du président malien Ibrahim Boubacar Keïta, devenu le nouveau président du G5 Sahel.

Pourquoi maintenant ?

L’actualité a rappelé de façon cynique combien cet enjeu était préoccupant. Le quotidien malienLe Républicain dresse ainsi l’inventaire macabre des violences qui ont encadré le sommet du G5 à Bamako. Du 1er au 5 février, 9 soldats maliens sont morts dans diverses attaques dans le nord et le centre du Mali ; le 7 février, au lendemain de la réunion des dirigeants du G5, une religieuse colombienne a été enlevée par des hommes en armes dans le sud-est du pays. Il rappelle par ailleurs qu’en janvier, un attentat-suicide a fait près de 80 morts à Gao dans le nord, et que deux élus ont été assassinés dans la région de Mopti. Des événements qui, mis bout à bout, font « froid dans le dos », selonLe Républicain. « Pratiquement chaque jour, un militaire malien perd la vie dans le centre et le nord du pays, et les djihadistes se sont aujourd’hui installés dans le centre du pays où l’État malien ne contrôle pratiquement plus rien », déplore le quotidien bamakois, tout en alertant sur le déplacement du conflit du nord vers le centre du Mali.

Un enjeu régional

En dépit de l’accord d’Alger signé le 20 juin 2015, la paix tarde donc à revenir au Mali, ce qui inquiète de plus en plus les pays voisins : le Mali, devenu un « sanctuaire de djihadistes », constitue un « danger qui menace le vaste Sahara », selon Le Républicain. « Tour à tour le Niger et le Burkina Faso ont fait savoir leur indignation face à la situation de recrudescence de l’insécurité au Mali, qui s’exportait chez eux », relate le titre malien. Les attaques survenues au Niger ces derniers mois sont en effet imputées à des groupes islamistes armés basés au nord du Mali, qu’il s’agisse du Mujao ou d’Ansar Dine. Quant au Burkina Faso, qui partage plus de 1 000 kilomètres de frontière avec le Mali, « il a déployé en 2012 un bataillon de 700 hommes pour sécuriser sa frontière avec le Mali et le Niger, mais cela n’a pas empêché jusque-là les groupes armés non identifiés et les djihadistes de faire des incursions meurtrières », souligne Le Républicain. Pis, depuis avril 2015, les attaques se sont multipliées à la frontière nord avec le Mali. Au point que « Ouagadougou, plus gros contributeur en hommes au sein de la force onusienne au Mali [Minusma], souhaite redéployer une partie de ses soldats le long de sa frontière avec le Mali ».

La trop lente concrétisation des projets du G5

Dans ce contexte, le projet de force conjointe régionale – à l’image de la force mixte multinationale créée pour lutter contre le groupe islamiste radical Boko Haram – a été au cœur des discussions. Mais le G5 Sahel doit aussi convaincre qu’il peut agir. D’autant que l’organisation est régulièrement pointée du doigt pour son inertie par certains titres de la presse africaine. À l’issue des attentats de 2016 au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire, le quotidien malien Les Échos lui reprochait déjà sa difficulté à se déployer face à des « terroristes qui se montrent plus actifs que bavards ». « On ne peut pas combattre des maux rien qu’avec des mots », raille dans la même veine Le Pays, à l’issue de ce nouveau sommet extraordinaire du G5. Pour le quotidien burkinabé, les chefs d’État du G5 Sahel « traînent les pieds face à un problème éminemment sérieux ». Le Djely se demande enfin si le projet de force conjointe aux pays sahéliens, qu’il juge certes pertinent, n’est pas au fond un « vœu pieux ». Le site d’info guinéen revient sur le précédent sommet extraordinaire, à N’Djaména, en novembre 2015. « À la fois optimistes et ambitieux, Idriss Déby Itno et ses homologues s’étaient également engagés en faveur de la création d’une école régionale de la guerre basée en Mauritanie, du lancement d’une compagnie aérienne régionale, de la construction d’une ligne de chemin de fer reliant les cinq pays et de la suppression des visas entre les pays membres. En somme, les idées et les projets pertinents, ce n’est pas ce qui manque. Mais d’un sommet à un autre, on prend les mêmes et on recommence », avance, dubitatif, Le Djely.

Vers une synergie entre les forces de défense

Ce nouveau sommet extraordinaire peut-il changer la donne ? Si le principe de création d’une force régionale est acquis et s’érige en priorité, aucune annonce, toutefois, n’a été faite quant à ses effectifs, son fonctionnement ou son budget. À cet égard, le président tchadien Idriss Déby Itno a sollicité l’aide financière et logistique des Nations unies et de la communauté internationale. C’est donc là que commence la délicate mission de son successeur à la tête du G5, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) : rendre cette force sahélienne opérationnelle. Il s’agirait concrètement, explique Bénin Monde Infos, de sécuriser les frontières et de lutter contre le trafic de drogue, une étape qui « vise à limiter les déplacements des terroristes dans la zone sahélienne et à les couper de leurs sources de revenus », puis de constituer cette force militaire avec des soldats des cinq pays, et de lui donner les moyens de s’attaquer aux djihadistes. Point notable depuis le dernier sommet extraordinaire du G5 de novembre 2015, selon le journal malien l’Indicateur du Renouveau : la volonté de certains pays du Sahel, à l’instar de la Mauritanie, de s’engager dans une lutte commune, qui implique notamment l’échange de renseignement. Cette mutualisation des moyens et des informations est d’ailleurs en marche et constitue un progrès dans la guerre contre les groupes extrémistes au nord du Mali, explique le lieutenant-colonel Philippe de la force Barkhane dans le Journal du Mali:

« Il y a 3 ans, les armées de la sous-région s’ignoraient totalement et n’avaient pas vocation à travailler ensemble. Aujourd’hui, on planifie des opérations ensemble. L’opération Garikou a été préparée en commun avec le Mali, le Niger et Barkhane. On a échangé du renseignement et on a opéré ensemble. […] Aujourd’hui, des pays de la sous-région ont accepté ce qu’on appelle le droit de poursuite, c’est-à-dire qu’une force armée a le droit de traverser une frontière pour poursuivre l’ennemi sur le territoire d’un État souverain, c’est conceptuellement quelque chose qui serait difficile à admettre en Europe. Ici, ils le font et au plus au niveau. » Le responsable militaire français revient par ailleurs sur la création le 24 janvier d’une force tripartite (Niger, Burkina Faso, Mali) pour lutter contre l’insécurité dans la région du Liptako-Gourma, qui s’étend sur les trois pays. « C’est exactement le but à atteindre de ce que l’on poursuit. Barkhane n’a pas vocation à durer éternellement. À terme, dans l’idéal, il faudrait que Barkhane se retire et que cette force conjointe prenne le relais et que les Africains puissent s’approprier leur propre sécurité », déclare-t-il. La force française Barkhane a été lancée en août 2014.

Des projets en quête de financements

Quel serait le budget d’une telle force ? En décembre dernier, le secrétaire permanent du G5 Najim Elhadj Mohamed évoquait un besoin de 10 milliards d’euros pour mettre en œuvre la stratégie globale de défense et de développement de l’organisation. Ce financement concerne toutefois une centaine de projets dans des secteurs qui ne se limitent pas à la défense. À l’origine, le G5 Sahel a aussi été créé pour lutter contre la pauvreté. Il s’agit donc aussi, souligne le président malien au micro des journalistes deStudio Tamani, de « mettre en chantier des projets structurants sur le plan infrastructurel, sur le plan du développement agricole, de la recherche scientifique, de la formation de nos ressources humaines […], c’est cela aussi le G5 Sahel ». Et de préciser l’avancée du projet de compagnie aérienne Air Sahel, censé désenclaver les pays de l’organisation : « L’embryon est déjà formé, on a déjà des appareils. Nous sommes en train de voir avec YATTA, les moyens de mise en œuvre pratique de cette compagnie conformément aux normes requises », a déclaré Ibrahim Boubacar Keïta.

Le Djely revient toutefois sur le fait de solliciter des partenaires extérieurs pour financer notamment cette force conjointe. Si certains États du G5 apparaissent affaiblis par les crises sécuritaires ou économiques, la démarche reste discutable selon le site d’infos guinéen : « Au-delà du caractère plutôt incongru qui consiste à compter sur l’aide d’autrui pour sa propre sécurité, il y a que les partenaires ainsi sollicités sont déjà suffisamment impliqués dans la lutte contre le terrorisme au Sahel [Minusma, Barkhane et l’appui à la force internationale mixte contre Boko Haram]. »

Pourquoi pas un G7 avec la Libye et l’Algérie ?

Enfin, Le Pays s’interroge sur la non-intégration par le G5 Sahel de certains pays du nord de l’Afrique. « Il faut déplorer l’absence de l’Algérie et de la Libye au sein de ce regroupement qui, très récemment, s’est doté d’une stratégie pour le développement et la sécurité et d’un programme d’investissements prioritaires. […] La Libye, c’est connu, est devenue le pays fournisseur de terroristes de tout poil. Mieux, c’est la ruche d’où partent des essaims de djihadistes qui envahissent le Sahel. Quant à l’Algérie, au-delà du fait qu’elle a de l’expérience en matière de lutte contre le terrorisme, elle constitue une puissance militaire dont les hauts faits d’armes ne sont plus à démontrer. Mais pour des raisons de leadership, la France, pour ne pas la nommer, semble l’avoir écartée du dossier malien, si bien que l’Algérie qui partage pourtant une longue frontière avec le Mali ne compte aucun soldat dans les rangs de la Minusma. Même la signature, en juin 2015, de l’accord d’Alger sur le Mali n’était, pour certains, qu’une forme de rattrapage destiné à calmer les autorités algériennes », conclut le journal burkinabè.

Publié le 11/02/2017 à 12:51 –  Le Point Afrique