La nouvelle année aura certainement un goût amer pour le contingent français déployé au Sahel. Les célébrations de fin d’année ont en effet été assombries par le décès de trois jeunes soldats – le brigadier-chef Tanerii Mauri et les chasseurs de première classe Quentin Pauchet et Dorian Issakhanian – le 28 décembre dernier lors d’une mission d’escorte de convoi dans la zone des « trois frontières » au Mali. Moins d’une semaine plus tard, deux nouveaux militaires – le sergent Yvonne Huynh et du brigadier Loïc Risser – ont été également tués par un engin explosif, le 2 janvier, alors qu’ils effectuaient une mission de reconnaissance et de renseignement.

 

Ces deux attaques en moins d’une semaine portent à 50 le nombre militaires français tués dans la région depuis 2013, lorsque des troupes ont été déployées à l’appel du gouvernement malien afin de soutenir l’effort militaire contre les combattants rebelles et les terroristes s’étant regroupés afin de renverser le régime de Bamako. Et les civils n’ont pas non plus été épargnés par ces violences croissantes : plus de 4 000 personnes qui ont été victimes d’attaques terroristes au Mali, au Niger et au Burkina Faso en 2019, soit cinq fois plus qu’en 2016.

Ces attaques répétées ont ébranlé la confiance des habitants de la région en leur gouvernements, et contribuent à la défiance qui permet à ces groupes de recruter. Aussi, la situation inquiète les observateurs, qui craignent que les institutions des Etats de la région ne soient encore davantage fragilisées. Et le phénomène prend également de l’ampleur géographiquement : « La cible géographique des attaques terroristes s’est déplacée vers l’est, du Mali vers le Burkina Faso, et menace de plus en plus les États côtiers de l’Afrique de l’Ouest » note le chef du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS), Mohamed Ibn Chambas.

Crise politique et cécité militaire

En plus du regain d’ardeur des groupes insurgés, le coup d’État du colonel-major Ismaël Wagué n’a pas simplifié la tâche aux forces internationales censées assurer la sécurité et la continuité de l’état de droit au Mali. Né des tensions entre le président Ibrahim Boubacar Keïta et l’armée, des accusations de tricherie lors des législatives de 2020 et de plusieurs scandales autour d’un massacre de civils peuls par des miliciens dogons et du train de vie luxueux du fils du président, le soulèvement a mené à l’éviction de ce dernier et l’instauration d’un régime transitoire.

« Ce coup d’État est une nouvelle donne, bien sûr, mais il est politiquement inconcevable de négocier avec des putschistes », explique Hugo Sada, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. Les forces françaises de l’opération Barkhane se sont gardés d’intervenir pour sauver le président contesté, ce qui n’entrait en effet pas dans leur mission. En outre, une telle action aurait sans doute été considérée comme une ingérence, voire du néocolonialisme, explique le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l’ONU. « Même si les militaires français n’engagent aucune discussion avec les auteurs du coup d’État, rien ne les empêche de poursuivre leur coopération avec les soldats maliens qui sont sur le terrain et avec lesquels ils ont des contacts quotidiens », estime-t-il toutefois.

Pour autant, l’insurrection a provoqué une fermeture des frontières avec les Etats avoisinants, ce qui a sensiblement réduit la capacité des forces de sécurité, qui n’ont plus pu coopérer aussi efficacement qu’auparavant. « La lutte contre le terrorisme au Sahel nécessite une coopération entre les États puisque c’est dans la zone des trois frontières, entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qu’ont lieu la majorité des attaques », rappelle Gregor Mathias, chercheur associé à la chaire de géopolitique de Rennes School of Business. « [Le maintien de la sécurité] s’annonce donc extrêmement compliqué le temps de la période transitoire, d’autant plus que ces sanctions risquent d’affaiblir un Mali déjà très fragile. »

Un basculement du militaire vers le politique

Dans ce contexte difficile, l’avenir de l’opération Barkhane n’est pas certain. Si la France a multiplié les rappels de sa « détermination » à continuer à soutenir le Mali – et plus largement tous les Etats de la région aux prises avec le terrorisme – certains pensant voir les premiers signes d’un désengagement français du Sahel. Les faits parlent d’eux-mêmes : « Le territoire à contrôler est immense, 10 fois la France. Ramené à un contingent de 5000 hommes, ça veut dire que chaque soldat devrait surveiller à lui seul un territoire grand comme 10 fois Paris » ; notait Jean-Marc Four sur France Inter. En outre, l’opération a coûté un milliard d’euros pour la seule année 2020. Aussi, il semble évident qu’aujourd’hui la France n’a pas d’autre choix que d’adapter sa stratégie dans la région.

Une nouvelle évolution de l’opération Barkhane devrait être décidée en février prochain. Un recadrement après la rencontre entre la France et le G5 Sahel (Mali, Tchad, Niger, Burkina Faso, Mauritanie) de 2019 avait déjà mené à la décision de cibler plus particulièrement les cadres de haut niveau d’Al-Qaida au Maghreb islamique, ce qui avait permis l’élimination du chef historique du groupe, l’Algérien Abdelmalek Droukdal. Il faudra cette fois trancher sur la question centrale : faut-il partir, ou rester ? – Il faudra bien partir un jour ! Malheureusement, aucune solution n’est aujourd’hui satisfaisante dans une région où la gouvernance est chancelante – l’accompagnement des armées sahéliennes est aujourd’hui indispensable, faute de quoi un boulevard sera ouvert aux terroristes.

Aussi, sans solution militaire, la porte de sortie sera sans doute plutôt à chercher sur le terrain politique. Mais cela implique de négocier, notamment avec le JSIM lié à Al Qaïda. Si les gouvernements de la région semblent s’y être résignés, Paris rechigne encore. Les risques sont réels, par exemple venir mal préparé et faire des concessions sociétales trop importantes aux fondamentalistes (notamment en ce qui concerne l’éducation, le droit des femmes…). Pour un retour de l’ordre il sera également nécessaire de traiter les causes de la montée du fondamentalisme : pauvreté, absence de services publics, d’écoles, dégradation des terres arables sous l’effet de la pollution… La tâche est ardue, mais qu’il conviendrait d’engager le plus tôt possible, plutôt que de devoir compter encore davantage de victimes, tant chez les civils que dans les rangs de nos forces armées.

Source : La Revue Internationale