13 soldats français sont décédés lors d’un crash de deux hélicoptères au Mali. L’hommage national rendu à la mémoire des disparus, le soutien apporté aux familles et aux proches, ne doivent pas masquer le mécontentement sur les opérations militaires françaises lancées au Mali depuis 6 ans.

Depuis 2013, date de l’expédition militaire Serval au Mali, 38 militaires français ont trouvé la mort dans la région. Des centaines de militaires maliens et de la Mission de stabilisation des Nations unies au Mali (Minusma) ainsi que des milliers de civils ont subi le même sort. Au Burkina Faso, la violence armée a fait des centaines de morts, des milliers de blessés et poussé près d’un demi-million de personnes à prendre la fuite pour trouver refuge ailleurs dans le pays. Aujourd’hui, au Burkina, au Mali et au Niger, plus de cinq millions de personnes dépendent entièrement de l’assistance humanitaire.
Il est plus que temps de faire le point sur l’expédition militaire française dans ce pays depuis 2013, qui a été déclenchée par le pouvoir de François Hollande en dehors du cadre de l’ONU. Le PCF n’a pas cessé depuis le début d’alerter sur le risque d’enlisement de cette opération. Nos craintes se vérifient dangereusement aujourd’hui. La gravité de la situation est telle que des diplomates français comme Nicolas Normand, ancien ambassadeur français au Mali, donnent de la voix pour dénoncer les faux pas de la diplomatie française qui ont fortement contribué au chaos malien actuel. Il est de plus en plus évident aujourd’hui que si l’objectif de l’État français était de se servir du contexte de déstabilisation pour assurer une domination militaire, politique et économique, cette stratégie, déjà douteuse au départ, a provoqué un engrenage dangereux.
Le chaos engendré est tel aujourd’hui que le pouvoir français est de plus en plus dans l’incapacité de le juguler. Ce qui explique sans doute ses appels récurrents pour l’implication d’autres pays dans cette aventure militaire.
Car force est de constater qu’aucune des causes de la déstabilisation du Mali n’a été traitée. Les conflits internes, la violence, l’obscurantisme, les trafics et le banditisme se développent à mesure que grandissent la pauvreté et le désespoir d’une jeunesse frappée par le chômage et le manque de perspectives. Si, en 2013, la violence djihadiste était confinée dans la partie nord du Mali, elle embrase aujourd’hui tout le pays et touche aussi largement les pays voisins. En 2015 les accords d’Alger n’ont en rien réglé les difficultés car ils ont été conçus à l’extérieur et imposés au Mali. Ces accords prévoient une régionalisation à outrance au risque de la partition du pays. Cela s’inscrit dans une vieille tradition « évolutionniste » du pouvoir français. Dès les années 1950 il façonne ainsi des oppositions entre les populations nomades et sédentaires du Soudan français en vue de contrer les velléités progressistes qui se faisaient jour à l’époque. Par ailleurs l’intervention au Mali est l’enchaînement logique d’une autre intervention militaire menée, elle, par le pouvoir Sarkozy. Je veux parler de l’intervention de l’OTAN en Libye qui a non seulement déstructuré ce pays mais a eu aussi des répercussions terribles dans tout le continent de par les forces néfastes qu’elle a libérées, dont la circulation d’une très grande quantité d’armes.

Comme en Afghanistan vis-à-vis des troupes américaines apparaît au Mali de plus en plus fortement dans les populations un rejet des troupes françaises provoqué par un constat d’échec par rapport aux objectifs affichés et à leurs ambiguïtés constatées sur le terrain par rapport à certains groupes armés. Ce contexte imprègne également sans doute la sombre affaire de l’assassinat de deux journalistes de RFI à Kidal le 2 novembre 2013 dont l’un des assassins se revendiquant d’AQMI aurait été recruté par les services de renseignements français peu de temps avant.
Même quand il réalise des projets dans le cadre de l’aide au développement, le pouvoir français les mène pour appuyer sa politique militaire comme l’avait reconnu sans vergogne l’actuelle ministre de la Défense auditionnée il y a quelques mois par le Sénat. Elle déclarait en effet ce jour que « Pour se prémunir autant que possible contre le risque de rejet de la présence militaire étrangère, il faut aussi mener des projets de développement » et encore « nous souhaitons articuler de manière plus efficace l’action de Barkhane et les actions de l’Agence française de développement ».

Cette manière de procéder marque le déclin de la puissance française, laquelle pour exister se croit obligée de jouer la carte militaire comme l’avait d’ailleurs admis Laurent Fabius ministre des affaires étrangères au moment de l’intervention française au Mali.
 Face à ce désastre, des solutions existent pourtant. Il faut tout d’abord inverser les priorités. La primauté ne peut plus aller à l’action militaire avec des objectifs non explicites et imprécis en Afrique qui ne peuvent qu’amener à une perpétuation des conflits. Beaucoup d’experts militaires expliquent que dans le cadre actuel la présence militaire française au Mali pourrait durer des décennies. Sans parler du coût pour l’État français, cela aurait pour résultat de fragiliser ce pays face aux appétits des multinationales comme cela est le cas en RDC notamment.

La priorité doit aller au contraire vers le désarmement général de tous les groupes armés et le départ des troupes étrangèresdu Mali et ailleurs. Cette démarche s’inscrirait dans la feuille de route de Lusaka 2016 adoptée par l’Union africaine qui vise d’ici fin 2020 à faire taire les armes sur le continent et contient beaucoup de propositions concrètes pour y parvenir. La primauté doit aussi aller sans doute vers une vraie mobilisation populaire des peuples concernés qui fasse échec aux visées obscurantistes des groupes armés, sans céder aux démons de la vengeance et appuyant des solutions africaines qui ne soient pas des simples paravents d’intérêts exogènes. Cette mobilisation doit appuyer les forces vives de la région, en particulier sa jeunesse, pour un nouvel élan de l’Afrique. Comme l’a rappelé le secrétaire général de l’ONU : « La paix et le développement durable sont intimement liés – l’un ne saurait être réalisé sans l’autre. » Par conséquent la priorité doit aller concomitamment au Mali comme ailleurs en Afrique vers une mobilisation des ressources internes notamment fiscales. La fraude et le dumping fiscal qui bénéficient en premier lieu aux multinationales sont criminels dans des pays pauvres et en guerre. L’aide publique au développement que nous devons apporter au Mali et aux autres pays africains notamment doit impérativement contenir ce volet pour remédier à la situation catastrophique actuelle. Outre d’être utile, cela construirait des convergences nouvelles avec des peuples qui aspirent à un meilleur développement humain. Il s’agit comme l’avait dit le secrétaire général de l’ONU en 2018 que la « communauté internationale » soutienne l’Afrique « pour s’assurer que les ressources africaines restent en Afrique pour soutenir le développement du continent. » C’est la condition même pour la mise en place de relations mutuellement avantageuses.
La France, dont les pouvoirs successifs portent une lourde responsabilité dans la situation actuelle, doit dans l’intérêt des peuples concernés, dont le sien, se mobiliser en vue d’atteindre ces objectifs sans tarder.

Par Pierre Laurent

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