Depuis 2015 l’insécurité au Centre du pays va crescendo avec son lot de victimes. Et 2019 a été une année particulièrement meurtrière pour les populations civiles avec des massacres en masse dans certaines localités. Dans cette spirale de violence l’on retient l’attaque perpétrée à Ogossagou, le samedi 23 mars 2019. Bilan : près de 200 victimes dont des femmes et des enfants. Dans cette localité de la région de Mopti, l’horreur à tout simplement atteint son paroxysme. Que s’est-il réellement passé à Ogossagou ? Les réactions après ce drame ? Les présumés auteurs de ce drame ? Retour sur l’horreur.

En effet, la localité de Ogassagou-peulh, commune de Dialassagou (région de Mopti) a été  le théâtre, le samedi 23 mars 2019,  de graves atrocités qui ont fait de nombreuses victimes. Bilan, plus de 160 morts, de nombreux  blessés et de nombreuses pertes matérielles : cases brulés,  greniers  détruits, enclos de bétails détruits…

Face  au drame  de Ogossagou et surtout aux graves menaces d’une guerre civile qui pouvait avoir de graves conséquences incalculables sur notre pays, des voix étaient élevées  pour condamner la passivité des autorités en place.

 

Les précisions de Me Hassan Barry

Pour Me Hassan Barry, ce drame qui rappelle étrangement celui de Koulogo survenu le 1er Janvier 2019 était du reste prévisible. Mais le manque de vision et d’anticipation de l’Etat, en dépit des alertes et des appels détresses, ont rendu possible ces massacres d’une amplitude dépassant tout entendement, sur le village peul de Ogossagou.

« Déjà la veille, les habitants de Bankass s’interrogeaient sur les mouvements anormalement élevés de chasseurs de Dan-Na Ambassagou et portaient l’information aux autorités locales, régionales et même nationales, par le canal du Président de l’association Tabital Pulaaku. Aucune de ces autorités n’a réagi pour anticiper et arrêter le mouvement, alors même, qu’un camp militaire est situé à moins de 12km de Ogossagou », affirme-t-il.

Les assaillants tous ressortissants des cercles de Bankass et Koro, ajoute-t-il, et principalement du village de Ogossagou-Dogon et des différents villages environnants, étaient dirigés et orientés par des personnes connues de Ogossagou-Peul. « Les survivants qui les ont reconnus ont dressé une liste de 72 personnes ayant pris part au massacre… Elle a été remise à qui de droit pour les besoins de l’enquête. Il n’y avait aucun mercenaire parmi les assaillants. Ils sont tous des cercles de Bankass et Koro et ont bénéficié de l’appui et de l’accompagnement d’éléments de Dan-Na Ambassagou venus de Douentza et de Bandiagara », indique Me Barry.

Qu’est ce qui s’est passé ? Il ressort du témoignage des survivants que les assaillants sont arrivés entre 5h et 5h30. Les habitants ont été brutalement réveillés par des coups de feu nourris provenant du côté de la base où étaient pré-cantonnés des jeunes peuls du village, dans le cadre du DDR.

« Surpris par l’attaque, les habitants dont la plupart dormaient encore, ont essayé de se mettre à l’abri dans les habitations censées être plus sûres notamment chez le chef de village et chez le marabout Bara Sékou Issa. Très vite ceux qui avaient choisi de sortir du village se sont retrouvés face au mur des assaillants qui avaient pris soin d’encercler le village avant d’envoyer les tueurs à l’intérieur des habitationsEt commença l’hécatombe », indique Me Barry. Il poursuit : « Des hommes et des femmes sans défense, tombaient sous leurs balles assassines. D’autres villageois rebroussant chemin, parce que ne pouvant plus avancer, se sont abrités dans des maisons où la mort leur donnait rendez-vous. Au péril de leur vie, certains ont pu comprendre les ordres qu’ils se distribuaient en langue dogon, indiquant les maisons dont il faut prioritairement détruire, en prononçant les noms des chefs de famille ».

Un survivant en pleurs témoigne « c’est inimaginable de voir mon ami pointer du doigt la maison de mon père et dire : sa femme n’est pas enceinte mais sa sœur arrivée hier matin porte une grossesse très avancée. Éventrer la avant de la tuer… ».

Toujours selon les survivants, après avoir tué le chef du village et  jeté son corps dans un puits, les assaillants se sont dirigés en grand nombre vers la famille du Marabout Bara Sékou Issa DIALLO qui, dans les minutes qui ont suivi, a accueilli une bonne partie des villageois venus se mêlés aux nombreux talibés du saint homme. Un nombre important d’entre eux s’est retrouvé dans une grande pièce qu’ils ont bouclée, croyant échapper à la mort. Un assaillant avec une voix sûre et sereine demandera aux autres assaillants, de le laisser percer un trou au mur afin de griller ces rats. Il envoya une roquette qui a ouvert une énorme brèche dans le mur. Ensuite les assaillants ont apporté de la paille pour remplir la maison avant de l’enflammer… Puis, retentirent des rafales de fusils automatiques pour s’assurer davantage, qu’il ne pourrait y avoir aucun survivant. La scène a été observée par l’unique fils du marabout caché non loin et dont le destin, a fait échapper à une mort certaine ce jour-là.

Ailleurs dans la cour et dans le village, les assaillants ont tiré et tué tous ceux qui n’étaient pas présents dans la chambre à feu, hommes, femmes, enfants, surtout bébés de sexe masculin, animaux domestiques, engins mitraillés et consumés dans l’incendie volontaire des assaillants.

A la fin de l’opération, les assaillants ont appelé les leurs à quitter les lieux en criant haut et fort que « tous les peuls ont été confirmés, morts »

 

Des manifestations pour condamner…

A Paris, le 30 mars 2019, des  milliers  de personnes ont manifesté contre le massacre des Peuls dans la région de Mopti. «Nous dénonçons avec la plus grande fermeté ce qui se passe au Mali, parce que ça va à l’encontre du droit humain», a indiqué un manifestant. Les manifestants ont interpellé les pays africains et la communauté internationale sur la « tragédie » au Centre du Mali : « Il se passe des choses inacceptables au Mali, la communauté internationale devrait se mobiliser davantage, les autorités européennes devraient être informées de ce qui se passe ; elles le sont peut-être, mais elles ne réagissent pas parce qu’il y a tellement d’accords commerciaux, militaires, etc. avec les pays du Sahel » Selon les manifestants, c’est honteux que la communauté internationale soit silencieuse face à ce qui se passe au Mali. « Peu importe les raisons, les autorités maliennes doivent protéger tous les citoyens, y compris les Peuls».

Outre Paris, plusieurs  autres manifestations se sont déroulées aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays pour condamner les  tueries d’Ogossagou.

A Nioro du Sahel, la population est sortie, le jeudi 28 mars 2019, dans les rues pour exprimer sa colère après près de 200 morts, en une semaine, dans plusieurs attaques au Centre. Les manifestants ont exigé le départ du Premier ministre. « Au diable, un PM incompétent, nous exigeons son départ », « Boubèye démission », « Boubèye Assassin», « IBK assassin», sont les slogans entonnés par les manifestants. L’objectif de notre marche aujourd’hui, selon un manifestant, est de dénoncer toutes ces tueries. «Nous ne voulons plus du Premier ministre, c’est l’incompétence du pouvoir qui nous a conduit ici », explique-t-il.

A Bruxelles, devant le palais de justice, des centaines de personnes ont manifesté contre le massacre des Peuls dans la région de Mopti.

 

Tenir les auteurs des atrocités responsables devant la justice

« Je suis profondément choqué par la cruauté de ces actes abominables commis à l’endroit de la population civile, en particulier les femmes et les enfants. Les auteurs de telles atrocités doivent être tenus responsables de leurs actes devant la justice », avait déclaré le Représentant Spécial du Secrétaire Général au Mali et Chef de la MINUSMA, Mahamat Saleh Annadif.

Malgré son ampleur, cet incident n’est pas isolé mais s’inscrit dans un contexte d’accentuation progressive des violences sur fond de tensions communautaires dans la région de Mopti, où des groupes d’auto-défense communautaire, possédant des armes de guerre, continuent d’agir en toute impunité.

Selon la MINUSMA, dans le seul cercle de Bankass, plus de 37 cas d’atteintes aux droits de l’homme ayant causé la mort d’au moins 115 personnes, sont attribuables à ces groupes depuis novembre 2018, y compris lors des attaques perpétrées par des groupes de chasseurs traditionnels à l’encontre de civils, dans les parties peules des villages de Koulogon, Minima Maoudé ou encore Libé, entre janvier et février 2019.

 

Il pourrait s’agir de crimes contre l’humanité

Selon la Division des droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA, l’impunité dont bénéficient les groupes d’auto-défense depuis un certain moment au centre du Mali alimente davantage le cycle des violences et d’atteintes aux droits de l’homme commises à l’égard des populations civiles.

L’attaque planifiée, organisée, et coordonnée sur la partie peule du village d’Ogossagou s’inscrivait dans un contexte de nombreuses autres attaques similaires par des groupes de chasseurs traditionnels, à l’encontre des populations peules. Ainsi, les atteintes aux droits de l’homme documentées à Ogossagou, prises dans leur contexte, pourraient être qualifiées de crimes contre l’humanité, s’il est démontré que cette attaque s’inscrivait dans le contexte d’une attaque systématique ou généralisée contre la population civile et jugés par un tribunal compétent, en vertu du droit international pénal, particulièrement l’article 7 du Statut de Rome.

« L’émotion suscitée par cette horrible tragédie n’aura de sens que si la chaine judicaire se déclenche de façon prompte et efficace pour mettre fin à l’impunité. Le rétablissement de la paix et de la cohésion sociale au Mali est à ce prix », avait conclu Mahamat Saleh Annadif.

Près d’un an après le massacre d’Ogossagou, de nombreuses zones d’ombre demeurent, notamment sur l’identité des auteurs et des commanditaires de cette affaire. Et jusqu’ici l’on attend des enquêtes promises par les autorités

Mohamed Sylla

Source: L’Aube