Trois ans après la fin de l’opération Serval au Mali, l’armée française sert toujours de bouclier entre les rebelles touareg, les terroristes islamistes et le régime de Bamako.

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Quand la vie ne tient qu’à un fil… il ne faut pas marcher dessus. Le jeune soldat avance à petits pas sur le sable chaud, qu’il balaie de son détecteur de métaux. Son véhicule blindé le suit, toutes antennes déployées pour brouiller les détonateurs. Car l’ennemi utilise désormais des téléphones mobiles ou des télécommandes autonomes. La menace évolue, les techniques aussi. « Cela peut prendre une heure ou toute une journée », dit le commandant Patrick, qui observe de loin ce « check génie ». Cette portion de route est un « point de passage obligé » où les démineurs ont récemment découvert un engin explosif (constitué de Chicom, des roquettes confectionnées à l’époque de la Chine communiste, reliées à un détonateur), enfoui dans le sable sous un vieux survêtement.

 Un bidon servait de repère visuel pour déclencher la charge au passage du convoi. Non loin, le 14 février, c’est une quinzaine d’obus de 60 millimètres, équipés d’un dispositif de mise à feu, qui étaient trouvés. Entreposés dans la plateforme désert-relais de l’armée française qui jouxte l’aéroport de Kidal, ils ont, depuis, gagné le surnom d’« obus de la Saint-Valentin », un « bouquet final » destiné à accueillir les troupes du 3e Régiment d’infanterie de marine (RIMa).

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Bienvenue dans le nord du Mali. Le commandant Patrick soupire avant de s’asseoir à l’ombre d’un mur en terre cuite. Il connaît bien la région. Et se souvient que, lors de sa dernière mission, en novembre 2013, ont été enlevés et assassinés deux journalistes de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Trente ans d’Afrique ne permettent de s’habituer ni aux tragédies ni à la poussière jaune du Sahara et à cette chaleur étouffante.

Elle ne l’est pas moins à Kidal, le fief des Touareg ifoghas. Refusant depuis des décennies que leur région, l’Azawad, soit rattachée au Mali, ils se rebellent contre le pouvoir de Bamako. En 2011, la crise libyenne amène des combattants touareg dans le nord du pays, où ils fondent leur mouvement de libération, le MNLA. Figure de l’insurrection, Iyad Ag Ghali signe, lui, un accord avec des islamistes d’Aqmi, fonde Ansar Dine et peut arroser la rébellion de narcodollars. Plusieurs groupes terroristes mettent la main sur l’Azawad, dont ils font le premier califat façon Daech. Les autonomistes sont débordés par leur frange radicale, les chefs du MNLA fuient. Ils salueront et soutiendront avant quiconque l’intervention française, en 2013. Alors, le conflit semble enfin pouvoir trouver une issue. Les rebelles acceptent de s’asseoir autour de la table des négociations avec les autorités de Bamako. A Alger, en juin 2015, ils signent les accords de paix, qui prévoient pour l’Azawad un statut d’autonomie et l’instauration des Forces de défense et de sécurité multiethniques.

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Depuis, rien n’a vraiment évolué. Bamako traîne des pieds et le statu quo décourage la bonne volonté des Touareg. Acclamée en 2013 comme une libératrice, l’armée française patrouille aujourd’hui à Kidal, capitale du fief touareg, dans un silence de mort. Mais c’est suffisant pour que le commandant Patrick se félicite du « calme » et que le marché soit bien approvisionné. Il entre dans une boutique pour marchander un investissement symbolique, quelques mètres d’étoffe qui serviront à confectionner les uniformes du Comité sécuritaire des mouvements de l’Azawad de Kidal (CSMAK), un groupe constitué d’anciens rebelles touareg. Armés de vieilles kalachnikovs, ses hommes assurent la sécurité et coopèrent avec les forces de Barkhane, dont les prévôts assurent leur formation. La meilleure solution en attendant le retour de l’armée nationale prévu par les accords d’Alger. Depuis deux ans, en effet, cette dernière ne met plus les pieds à Kidal. Dans son QG du CSMAK, le commandant Habib se veut pourtant optimiste : « Nous sommes prêts à accueillir une armée malienne, car nous voulons la paix ! » « La France doit nous aider, vous êtes les arbitres », nous chuchote un membre de la CSMAK.

A quelques kilomètres, la base française jouxte la mission de l’Onu la plus attaquée du monde. Le chef de corps du 3e RIMa, le colonel Jean-Marc Giraud, y a installé son Groupement tactique désert Korrigan. Dans la mythologie bretonne, ce nom désigne une sorte de lutin généreux mais rancunier. Une duplicité nécessaire pour occuper « la zone la plus sensible du théâtre malien ». « Il faut être paranoïaque », aime rappeler l’officier. Ses hommes ouvrent des itinéraires et mènent des opérations d’assistance pour entretenir le contact avec la population. Le colonel rencontre les autorités. Appuyé sur sa canne en bois bleu sculptée, le chef de Takelout, un village reculé en plein désert, se plaint des affrontements entre deux milices rivales. L’enjeu est souvent le contrôle des routes du trafic.

Pour les officiers, une préparation intellectuelle doit donc aller de pair avec l’entraînement physique et tactique

« Sans Barkhane, je ne verrais plus personne », se lamente le nonagénaire. « Nous sommes dans la situation de celui qui a perdu un objet et le recherche désespérément. Cet objet, c’est la paix », poursuit le vieux sage en langue tamasheq. De retour à la base, le colonel essaie d’interpréter les messages sibyllins qui lui sont délivrés. Un vrai casse-tête. Même les plus qualifiés s’y perdent, comme ce jeune chercheur qui raconte avoir, un jour, rencontré à Alger deux dirigeants d’un groupe rebelle touareg. « Ce n’est qu’après une demi-heure de discussion que je me suis rendu compte que leurs mouvements respectifs, qui portaient le même nom et ne formaient à l’origine qu’un seul groupe, se revendiquaient en réalité de camps opposés. Cela ne semblait pas troubler leur amitié, ou plutôt leur parenté, car l’un était l’oncle de l’autre ! Ce qu’ils m’ont expliqué en riant… » Et le chercheur d’ajouter que le premier, aujourd’hui allié aux rebelles touareg, les avait combattus dans les années 1990 aux côtés de Bamako, alors que le second, qui les combat aujourd’hui, les soutenait à l’époque.

Pour les officiers, une préparation intellectuelle doit donc aller de pair avec l’entraînement physique et tactique. Avant son arrivée, le colonel Giraud a planché six mois sur la situation du nord du pays et étudié le maillage des groupes armés. Le sujet est si complexe que l’état-major organise une batterie de tests pour le groupement, notant la qualité des réactions et des prises de décision. « Ils doivent être jugés aptes à travailler ensemble », explique-t-on à l’état-major. Certains des officiers recrutés se passionnent pour l’histoire du Sahara. Ils dévorent les notes de René Caillié, premier aventurier occidental à être revenu de Tombouctou en 1825. Le commandant de la force Barkhane, le général de division François-Xavier de Woillemont, lit, quant à lui, la trilogie de Maryse Condé qui retrace la chute de l’empire bambara au XVIIIe siècle. Il ne lui a pas échappé que les mêmes rivalités ont provoqué, le 11 février, une vingtaine de morts dans le centre du Mali.

Rares sont ceux à oser afficher leur soutien aux forces de maintien de la paix

A la menace djihadiste s’ajoutent des luttes ancestrales. Comme le résume Cédric Lewandowski, directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian, « cela ne fait pas cinq ans, mais des siècles qu’on se fait la guerre dans le nord du Mali ». Dans ce capharnaüm, la France s’est fixé pour seul objectif de lutter contre le terrorisme. « Pas de politique », martèle le général de Woillemont. La mission entend aussi convaincre les populations de tourner le dos aux islamistes. Malheureusement, la tendance est plutôt contraire. Les djihadistes savent menacer, mais aussi séduire par des œuvres de charité et la distribution de leurs narcodollars. Depuis le sud de l’Algérie, Iyad Ag Ghali continue ainsi de jouir d’une certaine popularité auprès des Touareg.

Activement recherché, le chef d’Ansar Dine viendrait de prendre la tête d’une nouvelle coalition de groupes terroristes avec des éléments d’Aqmi, d’Al-Mourabitoune et du Front de libération du Macina. « Les gens ont peur des terroristes et peur des représailles, explique le commandant Patrick. Certains ont été tués après nous avoir donné des informations. » Rares sont donc ceux à oser afficher leur soutien aux forces de maintien de la paix. C’est pourtant le cas de cet homme croisé à Gao, à 300 kilomètres au sud de Kidal. Il vient saluer les soldats en tendant son moignon. Amputé de l’avant-bras, sans doute pour un vol à la tire, il veut remercier ceux qui ont chassé ses bourreaux. Un intellectuel « azawadien » confie son enthousiasme : « On sait pourquoi les militaires de Barkhane sont là. Pour chasser les terroristes. Il faut qu’ils fassent leur boulot. S’ils partent aujourd’hui, les extrémistes reviennent demain ! »

Source: parismatch