Le Haut représentant du chef de l’Etat pour le centre du Mali, Pr. Dioncounda Traoré, a annoncé le 23 janvier 2020 lors d’une conférence de presse que des émissaires ont été envoyés à Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa avec qui il souhaite prendre langue pour pacifier cette région en proie à des attaques terroristes et à des conflits communautaires. Mais, quatre jours plus tard, l’armée malienne a essuyé l’un de ses revers les plus sanglants avec l’attaque du camp de gendarmerie qui a fait au moins 20 morts et plusieurs blessés le dimanche 26 janvier 2020. Une attaque revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ou «Jamāʿat nuṣrat al-islām wal-muslimīn (JNIM-une organisation militaire et terroriste d’idéologie salafiste jihadiste formée le 1er mars 2017 grâce à la fusion d’Ançar Dine, du réseau d’Al Qaeda au Maghreb islamique-AQMI dans le  Sahel, de la Katiba de Macina et de celle d’Al-Mourabitoune) qui met un bémol à l’enthousiasme que cette annonce pouvait susciter.

«L’attaque de Sokolo est un pied de nez au haut représentant du président de la République pour le centre», a déclaré à M. Fousseyni Camara, un influenceur de la diaspora malienne en France. Et certains cadres du pays n’hésitent pas à mettre en doute la sincérité de cette volonté de négocier avec des «jihadistes maliens». «Si le professeur (Dioncounda Traoré) voulait réellement dialoguer, il aurait désigné et présenté ses émissaires avant toute chose. On connaît très bien les genres de personnes qui peuvent être écoutés avec autorité par Iyad et Kouffa», a déclaré Fousseyni Ouattara.

«Le gouvernement n’arrive pas à avoir la capacité de nouer un dialogue positif avec l’opposition politique. Et maintenant, il veut nous faire croire qu’il peut nouer un dialogue sérieux avec des gens qui sont en rupture avec toutes les institutions de la République… Permettez-moi de douter de cette démarche qui ne vise qu’à divertir le peuple pour gagner du temps», a pour sa part dénoncé Moussa Sinko Coulibaly, ex-Général de l’Armée et président de la Ligue démocratique pour le changement.

Mais, pour certains observateurs, il n’y a pas forcément un lien entre cette volonté politique et l’attaque du dimanche 26 janvier 2020. «Je ne ferai aucun lien entre ces deux évènements. Certains pourraient y voir une sorte de signal mais je crois que ces gens (les terroristes) sont dans leur logique de faire le grand mal possible au sein de l’armée malienne», a confié Sidi Coulibaly, chroniqueur politique indépendant et expert en communication politique.

«L’attaque de Sokolo n’est pas à mettre en rapport avec la volonté manifestée par le haut représentant, en tout cas c’est comme cela que je comprends», a déclaré M. Moussa Mara, leader politique et ancien Premier ministre du Mali. Pour lui aussi, «cette attaque est la énième des terroristes et s’inscrit dans la mise en œuvre de leur stratégie».

Alors faut-il dialoguer avec Iyad et Kouffa ? «La question n’est pas s’il est nécessaire ou pas, c’est un souhait exprimé par les Maliens lors de la Conférence d’entente nationale et le dialogue national inclusif. Il faut donc l’engager», a répondu M. Mara. «Après, il faudra présenter les attentes des terroristes aux Maliens et leur demander s’ils sont d’accord ou non».

 

Négocier oui, mais mieux se préparer pour ne pas concéder l’essentiel

Un avis partagé par Sidi Coulibaly pour qui «le dialogue sous une forme ou une autre est obligatoire même si le Mali et les forces étrangères parvenaient à contraindre ces gens. Ils ont choisi, certes, une voie sans issue, à long terme, qui fait très mal à tout le monde. Donc, choisir de dialoguer contribue à circonscrire les dégâts».

Pour lui, «la réussite éventuelle d’un tel dialogue devra permettre de situer toutes les responsabilités». C’est pourquoi il faut aussi s’attendre à ce que le processus soit «court-circuité par les forces hostiles à la stabilité du Mali».

Mais pour des observateurs comme Fousseyni Ouattara, ce dialogue a peu de chance d’aboutir car, a-t-il précisé, «Iyad et Kouffa veulent l’application de la Charia sur toute l’étendue du territoire malien. Peut-on concéder cela ? Bien sûr que non».

Pour Sidi Coulibaly, «l’Etat n’a rien à céder, même pas le devoir de rendre justice aux victimes innocentes. La paix a un prix certes, mais la stabilité à long terme du pays passe obligatoirement par l’assurance d’une certaine justice. C’est pourquoi je crois qu’il ne faut pas aller à des négociations sans y être bien préparé».

«Le président Dioncounda aura à faire face à un dilemme: échouer ou accepter de restreindre la liberté de 18 millions d’habitants au profit d’une bande armée ou courir le risque de voir échouer sa tentative», a analysé Fousseyni Camara. Et pour lui, c’est l’échec qui est l’option la plus probante car, a-t-il indiqué «Iyad sait que IBK (Ibrahim Boubacar Kéita) est adepte de concessions permanentes, mais peut-être pas celle de transformer le Mali en république islamique car il n’est pas sans savoir que les maliens tiennent viscéralement à la laïcité».

 

Lutter contre la corruption pour bâtir une armée bien équipée

«La priorité du gouvernement doit être de bien former et équiper l’armée car je ne crois plus aux vertus du dialogue avec ces gens de mauvaise foi. Pour cela, faisons de la corruption un crime contre le pays. Le montant du pillage chez nous correspond à ce dont notre armée a besoin pour libérer le pays», a souhaité. M. Camara

Un avis aussi partagé par M. Ouattara pour qui «le fanatisme religieux et le jihadisme perdent du terrain car les sponsors, notamment arabes, commencent à avoir d’autres agendas. En gardant le morale, en renforçant la lutte contre la corruption, il est possible de mettre l’armée dans des conditions dignes de nos soldats et enrayer cette menace déstabilisatrice».

N’empêche que certains leaders politiques (opposition et majorité) comme Me Baber Gano, (ministre malien de l’Intégration africaine et secrétaire général du Rassemblement pour le Mali-RPM, parti présidentiel et majoritaire à l’Assemblée nationale) préfèrent «suivre cette tentative de dialogue pour voir ce à quoi cela peut aboutir».

De toutes les manières, il est temps de mettre le garrot afin de maîtriser l’hémorragie. En effet, comme le défend si pertinemment Cheick Boucadry Traoré (président de la Convergence africaine pour le renouveau-CARE), il est «plus que temps et surtout nécessaire pour le gouvernement d’agir afin d’arrêter cette hémorragie. Il est temps de prendre des mesures exceptionnelles à la hauteur des menaces auxquelles fait face notre nation». Sinon le sang n’a que trop coulé condamnant le pays à un perpétuel deuil !

Moussa Bolly

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