En plus de vouloir dissoudre l’Assemblée nationale et de dynamiter la Cour constitutionnelle, les «Forces patriotiques» veulent maintenant dépouiller le président de la République de toutes ses prérogatives constitutionnelles. En échange, elles renoncent à exiger sa démission. Et elles appellent ça une porte de sortie honorable pour l’infortuné Ibrahim Boubacar Kéita. Autant démission- ner que d’accepter cette présidence honorifique comme suprême humiliation. Mais, ce que le M5-RFP doit comprendre, en voulant humilier IBK, c’est le Mali qu’il continue de donner en spectacle au monde entier. Mais ça, ses leaders n’en ont cure pourvu qu’ils aient de la place au pouvoir.

Appelé au dialogue par des acteurs so- ciopolitiques ma- liens et la communauté internationale, le mouve- ment du 5 juin-Rassemble- ment des forces patriotiques (M5-RFP) a produit un document de propositions de sortie de crise en huit (8) points. Ledit document a été pré- senté à l’imam Mahmoud Dicko le mardi 30 juin 2020 et à la presse le lendemain (Cf. à l’article : Les parti- sans et les opposants à IBK plus que jamais divi- sés).

Si pour une fois la démis- sion du président Ibrahim Boubacar Kéita n’est pas une fixation, certaines des exigences des leaders po- litiques du M5-RFP sont inacceptables pour un pré- sident élu démocratique- ment. On peut comprendre qu’ils exigent la dissolution de l’Assemblée nationale, celle de la Cour constitu- tionnelle. Mais, la nomina- tion d’un Premier ministre avec plein pouvoir qui, en réalité, sera le vrai chef de l’Etat jusqu’en 2023 est une exigence de trop.

Au moins les masques commencent à tomber et on commence à se faire une idée sur les vraies mo- tivations de ces politiciens qui gravitent autour de l’Imam Dicko au nom du changement de la gouver- nance. Mais, comme le dit A’Salfo de Magic System, «qui masque ses fautes se voit, en fin de compte, dé- masquer par sa conscience». Ils ont beau cacher leur jeu, on sent qu’ils (à quelques excep- tions près) sont en quête de revanche voire de ven- geance sur IBK et non d’une gouvernance ver- tueuse.

Le Mali n’est ni l’Espagne ni l’Allemagne pour que l’on parle d’un «Président honorifique». «C’est cette appellation de Président honorifique que je n’arrive pas à accepter. Autrement, le Mali est devenu un club de foot ou quoi ? Je crois qu’ilyaauseindeceMou- vement du 5 Juin des gens qui veulent en découdre avec IBK et l’humilier», a analysé un observateur étranger qui a longtemps vécu dans notre pays.

Et de nous rappeler qu’IBK n’est ni Bouteflika ni Bour- guiba ou Ben Ali ! Le contexte sociopolitique est en effet totalement diffé- rent. N’oublions pas ou ne faisons pas semblant d’ou- blier que le Mali est sous tutelle de la communauté internationale supposée l’empêcher de se déchirer entre le Nord et le Sud. Donc l’enjeu de cette crise va au-delà de la seule bonne gouvernance in- terne. Les événements de janvier et mars 2012 ont contribué aujourd’hui à faire du Sahel un sanc- tuaire du terrorisme. La stabilité de cette région est liée à celle de notre pays. IBK n’est pas un despote qui ambitionne de mourir au pouvoir.

Et si en Algérie et en Tuni- sie voire au Burkina Faso il s’agissait de destituer un despote dont la seule am- bition était de mourir au pouvoir, au Mali IBK est un président démocratique- ment élu pour un second et dernier mandat. Certes si on le laisse faire, il risque de conduire le pays vers une transmission «dynas- tique» du pouvoir au lieu d’une alternance démocra- tique. D’où la nécessité de le mettre sous pression pour un changement radi- cal de sa gouvernance du pays.

Mais de là à vouloir le dé- pouiller de tous ses pou- voirs, de l’empêcher totalement d’exercer un mandat légalement acquis, ilyaunpasquechaque démocrate convaincu doit se garder de franchir. Le Mali n’a pas besoin d’un gouvernement d’union na- tionale, mais d’une équipe de compétences et de ca- dres intègres dont le seul agenda et la seule ambi- tion est d’aider notre pays à sortir de l’impasse, de cette lourde et contrai- gnante tutelle de la «com- munauté internationale». Un gouvernement d’union nationale n’est pas une ga- rantie de bonne gouver- nance. Et cela d’autant plus que, sous nos cieux, il ne s’agit ni plus ni moins qe que d’un partage de gâ- teau afin de contenter tout le monde au mépris des préoccupations du peuple. La bouche qui mange ne parle pas, dit l’adage. Mieux, on ne crache pas dans la soupe alors qu’on est à table.
L’un des problèmes de ce pays, c’est qu’on ne tire ja- mais d’enseignements des expériences passées.

Ainsi, nous sommes tous devenus amnésiques pour oublier que notre pays est aujourd’hui au bord du pré- cipice à cause (en partie) de la «gestion consen- suelle du pouvoir» prônée par Amadou Toumani Touré pendant dix ans et dont il a été finalement l’une des victimes. Pendant près d’une décen- nie, partisans et adver- saires avaient la bouche si pleine que chacun faisait semblant de ne pas voir qu’on fonçait droit dans le mur. Et au finish, on se re- trouve avec une nouvelle rébellion et un coup d’Etat stupide qui a précipité le septentrion dans les bras des réseaux criminels. Au- jourd’hui, on veut remettre ça sous forme de gouver- nement d’union nationale. Si l’on veut réellement aller de l’avant et sortir de la guéguerre politique, le futur Premier ministre ne devrait venir ni du M5-RFP ni de la Majorité présidentielle. Comme le décrivait un web activiste, le nouveau chef du gouvernement doit être un cadre «équidistant et re- connu pour son patrio- tisme, sa droiture et qui a les coudées franches» pour composer son équipe avec des cadres compé- tents et moralement irré- prochables qui s’engagent sur l’honneur de redresser le pays pour les trois an- nées à venir. Au Mali nous n’avons pas encore com- pris, toutes couches confondues, que c’est l’existence de notre pays que nous jouons. Chacun ne pensant qu’à son bon- heur et à sa promotion per- sonnelle. Si le pays n’est pas sauvé, la réussite ne restera qu’un mirage.

Hamady Tamba
SOURCE: LE MATIN N°466 du mercredi 08 juillet 2020