Après deux jours de manifestations, de barricades et de violences à Bamako, ce week-end d’insurrection s’est achevé avec les obsèques de plusieurs personnes tuées samedi soir devant la mosquée de l’imam Mahmoud Dicko, le chef spirituel du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des Forces patriotiques (M5-RPF) qui demande depuis plusieurs semaines le départ du Président de la République.

L’appel à la désobéissance civile a dégénéré en affrontements sanglants avec les forces de l’ordre, dont le bilan s’élève à 17 morts au moins. Et l’on a de plus en plus de mal à croire dans les promesses de dialogue du Président Ibrahim Boubacar Keita.

Difficile d’imaginer, dans cette escalade, une issue pacifique de sortie de crise. Quoi qu’il en dise, le Président malien semble avoir fait le choix de la répression pour s’accrocher coûte que coûte au pouvoir. Et le M5-RPF vient de réitérer son appel à la mobilisation, mais victime de la brutalité crue du régime, il pleure désormais ses morts, ses blessés et ses leaders emprisonnés.

Le week-end avait commencé, comme prévu, par la mobilisation après la grande prière du vendredi faisant suite au mot d’ordre de désobéissance civile lancé par le MM5-RPF : ponts bloqués, envahissement par la foule de l’Office de Radio et Télévision du Mali (ORTM) et de l’Assemblée nationale. Mais à l’Assemblée, la désobéissance a tourné à l’émeute et les manifestants ont brisé les fenêtres, saccagé le bâtiment et pillé ce qui pouvait l’être.

Jusque dans la soirée, des flammes illuminaient certains quartiers de la capitale, tandis que circulaient des images de courses poursuites sur fond de tirs d’armes à feu.

4 morts et 50 blessés dès le vendredi

Vendredi soir, le M5-RPF a félicité le peuple malien « pour sa mobilisation exceptionnelle » et l’a exhorté « à maintenir cette mobilisation jusqu’à l’atteinte de l’objectif qui est la démission de monsieur Ibrahim Boubacar Keita et de son régime ». Pourtant, on déplorait déjà des dizaines de blessés et plusieurs morts, 4 selon le Premier ministre Boubou Cissé, qui s’est exprimé en marge d’une visite le lendemain à l’hôpital Gabriel Touré.

Dans l’après-midi de samedi, de nouveaux affrontements avec les forces de l’ordre ont éclaté, notamment devant le domicile de la présidente de la Cour Constitutionnelle, madame Manassa Danioko, qui cristallise la colère pour avoir invalidé une trentaine de résultats des élections législatives contestées du printemps dernier. (Quatre membres de la juridiction suprême ont d’ailleurs démissionné le 19 juin dernier suite à cette décision). L’image du corps inerte d’un jeune homme, devant le domicile de la magistrate, a circulé samedi soir.

La journée du samedi a aussi été marquée par un cran supplémentaire dans la répression. Le bureau du M5-RPF, réuni au siège du chef de file de l’opposition, a été forcé par la police et plusieurs responsables de la coalition ont été arrêtés. Choguel .K. Maiga, Mountaga Tall, Oumarou Diarra et Adama Ben Diarra ont rejoint, aux arrêts, Clément Dembélé et Isssa Kaou N’Djim, le coordinateur du M5-RPF, interpellés la veille. Moutaga Tall a été libéré tard samedi en raison de son statut d’avocat.

Le siège violent de la mosquée de l’imam Dicko

Le même soir, la force antiterroriste s’en est prise à la mosquée de l’imam Dicko, qui portait encore dimanche la trace d’impacts de balles. Neuf sympathisants du leader religieux auraient péri dans ces affrontements, mais les agents semblent avoir finalement renoncé à l’arrêter.

Tout le week-end, ont circulé des images de blessés par balles, de mains arrachées, de visages ensanglantés, d’impacts de balles sur des bâtiments et des véhicules. Quelqu’un a également volé des images de policiers du Groupement Mobile de Sécurité en train de casser les vitres de voitures en stationnement.

Dimanche, dans la cour de la mosquée de l’imam Dicko, dans le quartier Badalabougou, on pouvait voir des hommes manipuler plusieurs corps posés sur des nattes pour préparer leur inhumation. A 14h00, la fathia a été prononcée, à cette même mosquée, et un grand cortège bruyant s’est ensuite élancé, derrière les corbillards transportant les corps des  « martyrs », jusqu’au cimetière, aux cris de « Dieu est grand ! ».

Dans son discours prononcé samedi, le Président IBK  semble avoir lui aussi enterré toute perspective de compromis. Promettant des sanctions judiciaires appropriées contre « des actes d’une extrême gravité », il a juré qu’il continuerait à « privilégier le dialogue avec toutes les forces vives de la nation pour la mise en place d’une équipe gouvernementale consensuelle composée de cadres républicains et patriotes et non de casseurs et de démolisseurs du pays. » Le consensus promis – et tant attendu – se fera donc sans le M5-RPF.

Une solution acrobatique pour satisfaire la CEDEAO

Quant à la crise post-électorale suscitée par les invalidations prononcées par la Cour Constitutionnelle, le Président IBK a choisi une solution inédite : il a annoncé l’abrogation du décret de nomination des membres de la Cour Constitutionnelle pour « la préservation de la  vie même » des quelques magistrats qui y siègent encore. Cependant, les conditions de nomination des membres de la cour suprême n’ayant pas été modifiées, on voit mal l’avancée que représente cette décision, puisqu’il y a fort à parier que la prochaine Cour sera très semblable à l’actuelle, sans parler des acrobaties juridiques qu’impliquerait l’annulation par la nouvelle Cour des invalidations prononcées par la précédente.

« Autant que possible, des mesures d’apaisement judiciaire seront examinées mais tout le monde conviendra que cette fois-ci, toutes les limites du tolérable auront été atteintes et dépassées », a ajouté le Président, dans un sommet d’ambiguïté.

A qui s’adressait donc IBK dans ce discours de samedi ? Peut-être à la communauté internationale, notamment la CEDEAO dont il a décidé « d’aller vers la mise en œuvre des recommandations issues de la mission.» Ces engagements présidentiels satisferont-ils les partenaires inquiets du Mali ? Peut-être. « Ils poussent IBK à s’accrocher mais ils devraient faire preuve de plus d’exigence », a dit à Mondafrique une observatrice politique européenne. « Car pour le moment, IBK n’a rien mis en œuvre de tout ce qu’il a promis. Il n’a fait que parler.»

L’imam Dicko, seul leader du M5 encore libre, plus que jamais au centre du jeu

Quant à l’imam Dicko, qui inspire tant de crainte à la communauté internationale engagée militairement, financièrement et diplomatiquement aux côtés des autorités maliennes, il s’est exprimé dimanche sur les réseaux sociaux, appelant ses partisans à s’abstenir à répondre aux provocations, réitérant le mot d’ordre de mobilisation et espérant la prochaine libération de ses camarades.

Dans son communiqué du 19 juin, la mission de  bons offices de la CEDEAO avait invité le gouvernement malien à reconsidérer les résultats de toutes les circonscriptions ayant fait l’objet de révision par l’arrêt de la Cour Constitutionnelle. Elle avait suggéré l’organisation de nouvelles élections partielles dans les meilleurs délais. Ces propositions, cependant, ne coïncident pas avec les exigences du M5-RPF, qui réclame le départ d’IBK et une transition chargée d’organiser de nouvelles élections.

Malgré la nuit,des rassemblements sporadiques ont continué d’être observés à Bamako autour de barricades et de pneus brûlés. En fin de journée, un local du parti présidentiel au quartier 300 logements a été saccagé et une station service Total incendiée.

Source: mondafrique