Voilà plus de trois mois que des groupes djihadistes ont mené une offensive vers Sévaré et Mopti. La France et le Mali, soutenus par des bataillons d’Afrique de l’Ouest, ont immédiatement riposté. Je me suis rendu sur place pour dresser un premier bilan de cette guerre en matière de respect des droits humains et j’ai pu constater que, dans ce domaine, la situation est loin d’être stabilisée.

 

Depuis la contre-offensive vers le nord, un no man’s land s’est créé en matière d’Etat de droit et de protection des civils, entre le sud du Mali, où sont déployées les forces ouest-africaines, et le nord-est du pays où les armées françaises et tchadiennes ont pourchassé les groupes djihadistes. Dans les régions reconquises, l’armée malienne occupe d’immenses espaces dont elle avait perdu le contrôle début 2012.

 

Les forces de police et de gendarmerie sont, elles, encore peu présentes, sauf dans les villes de Tombouctou, Gao ou Douentza. La justice est absente : le procureur de la République le plus au nord du pays ne se trouve qu’à Mopti. Dans toutes les petites villes, villages et campements, notamment le long du fleuveNiger, les forces censées garantir l’Etat de droit sont absentes et des éléments indisciplinés et violents de l’armée malienne se sont déjà livrés à de graves exactions.

 

Un premier bilan est déjà très préoccupant : une vingtaine d’exécutions extrajudiciaires et à peu près le même nombre de disparus (pour ne parler que de celles qui sont confirmées), une trentaine d’arrestations arbitraires, plusieurs cas avérés d’actes de torture et de mauvais traitements par des militaires sur des prisonniers.

 

Des esprits « réalistes » diront sans doute que les proportions de ces exactions restent limitées. Et, de fait, nous n’avons pas conclu à des violations systématiques ou planifiées par la hiérarchie. Sans doute le travail d’organisations comme la nôtre a-t-il contribué à faire connaître très rapidement la gravité des exactions commises.

 

Des messages clairs des autorités maliennes et de leurs partenaires internationaux, dont la France, ont probablement permis d’éviter des dérapages plus importants.

 

Pour la première fois dans l’histoire du pays, six militaires, dont un capitaine, sont visés par une enquête à la suite de la disparition de cinq civils à Tombouctou. Ils ont été rappelés à Bamako. Ils devraient ainsi être les premiers à passer devant le tribunal militaire du Mali, qui existe sur le papier mais n’a jamais siégé !

 

Pour encourager ces progrès, la gendarmerie doit être fortement appuyée sans quoi elle ne pourra tenir tête à des éléments de l’armée mieux équipés et habitués à sévir en toute impunité. Toutes les exactions commises par des membres de l’armée malienne doivent rapidement faire l’objet d’enquêtes.

 

Les défis à relever en matière de droits humains sont considérables. Qu’il s’agisse de la formation de l’armée malienne au droit de la guerre (une dimension présente dans le programme de formation que l’Union européenne a commencé àdispenser à quatre bataillons de l’armée de terre), ou de la lutte contre la corruption (qui a pesé lourd dans l’origine de la crise et prive le pays des ressources nécessaires au respect des droits sociaux), ou encore de la mise en place d’un processus « vérité, justice et réconciliation », le Mali a du chemin à fairepour que le cycle rébellion-répression-impunité soit enfin brisé.

 

Une Commission dialogue et réconciliation a récemment été créée par décret mais son mandat est trop large et son mode de désignation « par le haut » risque de la priver du soutien dont elle aurait besoin. Le Mali ne devrait pas faire l’économie d’une vraie Commission vérité et réconciliation, formée de personnes respectées, issues des différents secteurs de la société et qui s’inspirerait des exemples les plus aboutis, comme la Sierra Leone. Cette commission devra faire des recommandations à la société malienne pour que celle-ci s’attaque aux causes de la crise actuelle.

 

Le Mali dispose de ressources humaines et d’une histoire exceptionnelles. En 1991, des centaines de jeunes étudiants ont payé de leur vie leur désir de liberté et de démocratie après une trop longue dictature militaire. Ces dernières années, cette démocratie a été gangrenée par les trafics et la corruption, précipitant l’effondrement de l’armée, la perte de contrôle du nord du pays et une crisepolitique majeure.

 

Des rebelles touareg du MNLA puis des groupes djihadistes, AQMI, Mujao et Ansar Dine, ont profité de ce contexte pour tenter d’imposer leur agenda, certains de leurs membres se rendant coupables de crimes qui pourraient relever de la Cour pénale internationale.

 

Mais la possible victoire militaire à court terme sur les groupes djihadistes ne doit pas faire oublier que la crise malienne est bien plus profonde. Le respect des droits de chaque Malienne et de chaque Malien devrait être l’objectif central de la mise en place d’un véritable Etat de droit que ce peuple mérite amplement. La mission de « stabilisation » des Nations unies qui prendra la suite de l’intervention actuelle devra placer cet objectif en tête de ses priorités.

 

LE MONDE | 22.04.2013 à 08h45