Le rapport rendu public par l’ONG Public Eye (ex Convention de Genève) après une enquête de trois ans menée dans plusieurs pays africains dont le Mali est sans appel : du carburant toxique est vendu au Mali. Les dénégations dont celles du directeur général de l’Office national des produits pétroliers (Onap), le Douanier Zoumana Mory Coulibaly, n’y feront rien car c’est sur la base d’échantillons prélevés dans plusieurs stations à Bamako et analysés par un laboratoire spécialisé que Public Eye a publié ce rapport accablant dont le contenu est confirmé par des ONG du Mali partenaires de Public Eye.

station service carburant oryx energie

Huit pays africains sont concernés par les investigations menées par les enquêteurs de Public Eye : Angola, Bénin, République démocratique du Congo, Ghana, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal et Zambie. Selon le rapport publié par l’ONG Public Eye le 15 septembre dernier, tirant les conclusions de cette enquête «des négociants Vitol, Trafigura ou encore Addax & Oryx profitent de la faiblesse des standards pour vendre des carburants de mauvaise qualité et réaliser des profits au détriment de la santé de la population africaine».

Pour le cas du Mali, la multinationale Oryx est citée nommément et de façon affirmative. Il ne s’agit point d’affabulations ou d’allusions car selon le rapport d’enquête, des échantillons ont été prélevés à partir de points de vente et envoyés dans un laboratoire spécialisé pour analyse. Ce qui a révélé la forte toxicité de ces carburants qui ont «une teneur en soufre entre 200 à 1 000 fois plus élevée qu’en Europe ».

Des teneurs en soufre qui mettent en danger la santé des populations exposées aux particules fines et d’autres substances chimiques cancérigènes, comme le précisent les ONG partenaires de Public Eye au Mali, qui ont tenu une conférence de presse lundi dernier au siège du Conseil national de la société civile pour partager plus amplement le contenu de ce rapport intitulé «Dirty Diesel» avec la presse. En effet, c’est Mme Barry Aminata Touré et Oumar Samaké qui se sont adressé aux journalistes, représentant respectivement les Ong Amasbif et Amedd.

L’occasion pour eux de préciser que des prélèvements d’échantillons d’essence et de diesel ont été effectués par Public Eye au Mali dans des plusieurs stations d’essence. Pas seulement celles de Oryx Groupe, mais aussi celles de Vivo Energie (Shell), avant de les faire parvenir à un laboratoire dont l’expertise ne souffre d’aucun doute. Les conférenciers du jour précisent que «l’échantillon contenant le plus de soufre provient d’une station Oryx-Mali». Ils ne font que confirmer les termes du rapport publié par Public Eye et pointant un doigt accusateur sur l’entreprise Oryx.

En plus de la très forte teneur en soufre, ces carburants incriminés contiennent d’autres substances très nocives pour les populations et à des taux trop élevés, dépassant de loin les normes admises en Europe. C’est le cas du benzène et des aromatiques polycycliques.

Par ces pratiques illégitimes, ces sociétés contribuent à l’explosion de la pollution de l’air dans les villes africaines et nuisent à la santé de millions de personnes.

Ce qui est plus grave, c’est lorsque les négociants suisses sont désignés par le rapport « Dirty Diesel » comme étant conscients de leurs actes graves envers le continent africain puisqu’ils se permettent de fabriquer eux-mêmes ce qu’ils appellent «carburant d’Afrique». En effet, comme le dit le rapport : «Ils les fabriquent à dessein, en mélangeant divers produits pétroliers semi-finis à d’autres substances pétrochimiques afin de créer ce que l’industrie appelle la qualité africaine».

Selon le rapport de Public Eye, les maladies respiratoires représentent déjà un problème majeur dans cette région et les gaz d’échappement du diesel sont classés cancérogènes par l’Oms. Afin d’arrêter cette bombe à retardement, les gouvernements africains doivent adopter des standards plus stricts. Les négociants suisses ont quant à eux le devoir de respecter les droits humains dans tous les pays où ils opèrent, comme l’exigent les Principes directeurs de l’Onu relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, adoptés en 2011.

Raison suffisante pour pousser nos autorités à agir afin de protéger la santé des populations et non de protéger ces firmes qui se comportent en prédateurs. Le rapport sur le sale carburant vendu en Afrique cite cinq pays comme des exemples en matière de lutte contre ce trafic de carburant hors norme. Il s’agit de la Tanzanie, le Kenya, le Burundi, l’Ouganda et le Rwanda, tous de la Communauté des États d’Afrique de l’Est ont été cités par l’ONG suisse Public Eye comme des exemples à suivre. Depuis janvier 2015, en effet, ils se sont dotés d’une réglementation qui prévoit une surveillance ardue sur la contenance du soufre dans le carburant qui transite sur leurs territoires.

Au Rwanda par exemple, le Laboratoire de l’Office rwandais de normalisation (RSB) s’assure des tests qualité. Il vérifie ainsi que la teneur en soufre dans le diesel ne dépasse pas les 50 particules par million (ppm) au lieu de 500 ppm par le passé.

Au Mali, le directeur général de l’Office national des produits pétroliers s’est précipité de démentir, estimant que des contrôles réguliers sont effectués et les normes sont respectées dans notre pays.

Nous lui rappelons que l’année dernière, du supercarburant était importé et déclaré comme du gaz pour minorer les frais de douane. Les douaniers maliens n’y voyaient que dalle et il a fallu qu’ils soient alertés par leurs homologues du Burkina qui en avaient marre de ce manège car les convois venaient du Ghana et transitaient par leur pays. Où est le contrôle rigoureux dont on parle ?

Tout comme le Mali enregistrait à l’importation (au niveau des chiffres) des quantités de pétrole lampant qui pouvaient alimenter tout le continent. Parce que, tout simplement, on faisait passer du super carburant pour du pétrole lampant 10 fois moins cher en taxes douanière. Où est encore le contrôle qualité dont on parle ?

C’est tellement cocasse que l’Onap, dont le directeur général s’empresse de démentir le contenu du rapport «Dirty diesel» de Public Eye, avait épinglé lors de contrôles plusieurs stations dont le carburant était mélangé à du pétrole lampant.

Nous rappelons d’ailleurs à Soumana Mory Coulibaly ce passage de notre confrère «Canard déchainé» du 15 août 2015 (il y a plus d’un an alors) : «Après avoir sondé les stations-service de la place, le résultat est éloquent. Excepté deux stations, appartenant à des multinationales dont nous tairons les noms, plusieurs stations-services de la place ont été épinglées par l’Onap. Conséquence: votre voiture, du moins son moteur, serait menacé de mort par ce carburant frelaté. A en croire certains garagistes de la place, plusieurs voitures ont été victimes de ce carburant de mauvaise qualité».

A quel contrôle des produits pétroliers faut-il alors se fier ! L’heure n’étant plus aux louvoiements, il faut donc agir !

A.D.

 

Source: lesphynx