De nombreux horticulteurs font pousser des espèces souvent exotiques, pour le bonheur des amoureux des arbres. Si les pépinières poussent comme des champignons par endroits de la capitale, le secteur n’a pas encore révélé tout son potentiel

« Construire une maison sans plantes, c’est comme habiller une jeune femme sans bijoux. » Cette phrase ne sort pas d’un recueil de poèmes. C’est plutôt en ces termes que Daouda Sangaré nous décrit toute l’importance que revêt à ses yeux son métier d’horticulteur. Une blouse verte sur les épaules, cet amoureux des plantes passe beaucoup de temps dans son jardin. Un endroit idyllique, superbement décoré de fleurs multicolores, dont le parfum procure une bonne bouffée d’oxygène en ces moments où la pollution de l’air est de plus en plus importante à Bamako. L’endroit, tel un havre de paix, est venté ce matin de janvier par une brise provenant des berges du fleuve Niger. Le courant d’air fait valser les branches d’arbustes qui ornent le lieu. Sur l’écriteau de la devanture on peut lire « Inter Flora ». Le maître des lieux est vite reconnaissable à son activité et à ses échanges avec les clients. «J’exerce ce métier depuis 1974, à l’époque, j’étais gamin avec mon père », confie-t-il.
Pour Daouda Sangaré, sa profession est d’une grande importance dans le contexte actuel de changement climatique. L’avancée du désert vers la zone soudanienne de notre pays se faisant sentir par des signes avant-coureurs. Plusieurs espèces de végétaux sont proposées aux clients : plantes d’intérieur (plantes fleuries, plantes vertes), d’extérieur (arbustes d’ornement, arbres fruitiers) et des accessoires de jardinerie, notamment des pots. En fait, plus d’un millier d’espèces végétales exotiques y sont exposées. Elles proviennent des quatre coins du monde : Europe, Asie, Amérique du Sud, ou même d’autres pays du continent, comme Madagascar, ou le Congo, etc. C’est une kyrielle de variétés, des arbres fruitiers (manguiers, citronnier, cocotier, cacaoyer, caféier), des espèces décoratives le plus souvent exotiques (les rosiers, les palmiers, les sapins). La collection de Cactus est la plus impressionnante. Il possède plus d’une quarantaine de variétés de cet arbre d’origine américaine. L’horticulteur explique que plusieurs espèces d’arbres florales, telles que « le Chapeau de Napoléon », les « Belles de nuit », « les Belles de jour », ont été introduites dans notre pays à l’époque coloniale.

PASSIONNÉS DE BOTANIQUE- De nos jours, la demande en espèces étrangères est de plus en plus importante. Notre interlocuteur affirme être toujours en train de chercher de nouvelles plantes. Dans cette tâche, il est souvent aidé par des particuliers passionnés de botanique. « Je trouve souvent de nouvelles espèces chez certains clients qui ont la passion des arbres. Lors de leurs déplacements sur d’autres continents, ils nous apportent de nouvelles espèces ou même des graines qu’ils nous demandent de développer », explique Daouda Sangaré tout en nous montrant sa toute dernière trouvaille : un Aglaonéma, une espèce d’arbre floral asiatique avec de belles formes de feuillage, allongées et aux couleurs panachées. « J’ai commencé à le développer il y a six mois, d’un seul pied j’en suis à huit maintenant. Pour ne pas le vendre, je dis souvent aux clients qu’il coûte 50.000 Fcfa », plaisante-t-il avec le sourire. Plusieurs espèces de plantes arrivent chez nous à travers certains pays voisins tels que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et la Gambie. Ces pays étant fournis par les navires venant d’autres continents, principalement d’Amérique du Sud.
Les prix des plants varient entre 50, 100, ou 250 Fcfa, selon différentes catégories et leur disponibilité sur le marché. Les espèces les plus prisées sur le marché sont les rosiers, « les épines du Christ » ou encore le « Lantana camara », des arbres décoratifs très demandés. Certaines variétés, parmi les plus rares sur le marché, peuvent valoir jusqu’à 100.000 ou 150.000 Fcfa. La « palme d’or  » dans cette catégorie est remportée par le « Cycas géant » coûtant la bagatelle de 250.000 Fcfa. Cet arbre, utilisé pour la décoration, a la particularité d’être doté d’un tronc court et d’un beau feuillage brillant.
Cette prolifération des espèces végétales a entraîné la multiplication des pépinières, qui poussent comme des champignons par endroits de Bamako. Les horticulteurs et les pépiniéristes sont estimés actuellement à près de 300 producteurs dans notre capitale, selon Lassina Diarra, le président de l’Union régionale des sociétés coopératives des horticulteurs et pépiniéristes de Bamako en Commune III. Sékou Coulibaly et Salif Dembélé sont aussi membres de cette association. En 2000, ils ont fondé la pépinière « Ba Djoliba ». Les deux hommes emploient plusieurs jeunes apprentis, qui sont affairés à remplir les sachets en plastique usés de terre, pour contenir les plantes. Ici, en plus des arbres exotiques adaptés au climat de notre pays, ils proposent aussi des espèces ayant des vertus médicinales. En effet, certaines variétés, telles que les « Aloe vera », les « feuilles glacées », le « Moringa » sont très prisées pour soigner ou prévenir certaines maladies.
Cependant, les ventes de plants d’espèces fruitières représentent le gros du chiffre d’affaires des producteurs. Ce marché est particulièrement boosté pendant l’hivernage. « À cette période de l’année, certaines personnes peuvent nous acheter un millier de plants de citronniers ou de manguiers, d’un trait, pour leurs plantations », confie Sékou Coulibaly. A l’analyse des chiffres avancés, on se rend compte que ce secteur peut être extrêmement porteur pour notre pays. « Nous étions à une prévision de 80.000 plants en 2019 pour la filière mangue au compte des producteurs de Bamako », relève Lassina Diarra. Il souligne que compte tenu de ce potentiel, notre pays exporte chaque année une grande quantité de plants de mangues vers d’autres pays comme le Sénégal, le Mozambique, le Gabon, etc.

EXPOSÉS AU DÉGUERPISSEMENT- Malgré ce fort potentiel de productivité, les horticulteurs déplorent certaines difficultés majeures qui minent leur domaine d’activité. Notamment, la disparition de certaines espèces d’arbres, pourtant très présentes, il y a quelques années, du fait du changement climatique ou de la non qualification des jardiniers pour les entretenir. Il s’agit, entre autres, selon Daouda Sangaré, des espèces comme les « Acalyphas », les « Chapeaux de Napoléon » ou les « Queues de singe ». Aussi, le manque de valorisation et le caractère précaire et informel du métier sont aussi décriés par les horticulteurs. Et Salif Dembélé de déplorer la vision de certaines personnes qui pensent que « la vente de plants d’arbres est un métier encore peu valorisé. Souvent, elles nous prennent pour des errants ou des vagabonds ».
Toutefois, tous se réjouissent des formations, dont ils ont bénéficié de la part des services étatiques et des partenaires étrangers. « Ces formations nous ont aidés à comprendre les techniques d’aménagement des espaces verts, la conversion des plantes, la reproduction de certaines espèces suivant les saisons», argumente Daouda Sangaré. Cependant, il regrette un manque de formation sur la réglementation du marché, d’hygiène et de sécurité dans la pratique.
À entendre ces pépiniéristes, on se rend compte que la plus grosse épine dans leur pied reste la problématique d’emplacement pour les plantes. Ils sont obligés de combiner la production et la vente sur les mêmes sites. Et la plupart d’entre eux sont exposés au déguerpissement, car, occupant des espaces publics. « Les espèces d’arbres sur lesquelles nous travaillons sont tellement nombreuses que l’espace ne nous suffit pas. Notre plus grande préoccupation est de pouvoir bénéficier d’espaces aménagés pour faire notre métier », explique Sékou Coulibaly. Il avance qu’en 2010, un projet du gouvernement, prévoyant des terrains vers l’aéroport pour en faire des sites de production, n’a pu se concrétiser à cause de la crise de 2012. « Aujourd’hui, nous vivons notre activité avec la peur du lendemain, à tout moment, les autorités ou les propriétaires des terrains peuvent nous faire déguerpir », s’inquiète l’horticulteur qui garde tout de même un grain d’optimisme : « nous rêvons qu’un jour, les décideurs nous donneront à chacun un hectare pour développer nos plantes. Ainsi, nous pourrons importer d’autres espèces et élargir le potentiel en espèces végétales de notre pays ».

Mohamed TOURÉ

Source: Journal l’Essor-Mali