Sur les marchés de Sikasso et beaucoup d’autres de Bamako, on voit des montagnes
d’invendus du tubercule. Faute de moyens de conservation, le gros de la production pourrit

« Madamou, wosso gnoumabèyè » « kilo yé doromè worowila », traduit  en français, cela veut dire «Madame, il y a de la bonne patate, le kilo coûte 35 Fcfa». Les vendeurs du marché de Sikasso hèlent ainsi les clients. Grossistes et revendeurs discutent les prix autour de gros tas à même le sol et des sacs empilés dans des camions. à côté, des dames proposent de petits tas à des prix variant entre 25 Fcfa et 500 Fcfa.
Actuellement, c’est la saison de la patate douce sur les marchés. Depuis le début du mois de novembre, les marchés sont inondés par ce tubercule. Les bonnes femmes l’achètent par sacs de 50 kg pour la revente. Au grand marché de Sikasso, on en trouve presque à tous les coins. Cultivé dans presque toutes les régions, plus particulièrement dans la Région de Sikasso, ce tubercule tend vers son déclin à cause du manque de moyens de conservation et de transformation. Or, son succès depuis quelques années ne se dément pas au Mali en général et dans la Région de Sikasso en particulier. La production de ce tubercule a permis la création de nombreux emplois pour les jeunes et constitue une source de revenus pour de nombreuses exploitations familiales. Cultivée en hivernage, la patate douce peut couvrir plus de 25% des superficies cultivables. Sa culture exige peu d’investissement monétaire et reste une activité génératrice de revenus pour les femmes rurales. Producteurs, commerçants et revendeurs déplorent des pertes et souhaitent la mise en place d’une unité de transformation par l’état.

Ne dit-on pas qu’aucun État ne saurait se développer sans agriculture ? Il faut peut-être ajouter à cela qu’aucune agriculture ne saurait prospérer si les fruits qu’elle procure ne sont pas transformés et consommés. La Région de Sikasso est très riche en production de tubercules, fruits et légumes, notamment la patate douce. La production par cette région est si importante que se pose le problème d’écoulement. Autrefois, destinée à l’autoconsommation des producteurs, la production de la patate douce ne semble plus être rentable à cause des difficultés qui s’amplifient dans le circuit de commercialisation.
Les producteurs, du fait de la mévente, sont de plus en plus obligés de se débarrasser de leurs produits sur le marché en les cédant à des prix dérisoires. Les acteurs évoquent une désorganisation, le manque de moyens de conservation et de transformation de ce tubercule à des produits attrayants. L’absence presque complète de transformation contrarie fortement le développement de la production de la patate douce. Les excédents de production, les difficultés d’écoulement sur les marchés locaux et les pertes élevées dues au manque de moyens de stockage, exposent les producteurs à une activité peu rémunératrice, d’où, la nécessité de réfléchir davantage aux possibilités de transformation.

GROSSES PERTES- Hamidou Ouattara est grossiste et propriétaire de deux camions de plusieurs tonnes de patate qu’il a transportées d’un village non loin de Sikasso. Notre interlocuteur évoque le problème de l’écoulement de la patate douce. Toute chose qui lui fait perdre ses bénéfices. En effet, sur les 2 tonnes à sa disposition, il arrive à épuiser seulement 1 tonne par semaine. Le reste de sa marchandise pourrit dans les camions sans trouver preneurs et finit par être donné aux animaux.
Abondant dans le même sens, Amadou Diarra, revendeur de patate douce au marché de Sikasso, affirme qu’il est difficile d’écouler 10 sacs par jour. Pour lui, la seule solution est qu’il puisse exporter vers d’autres pays, or, explique-t-il, certains pays comme le Burkina Faso exporte vers notre pays ses patates douces qui viennent s’ajouter à nos méventes. Dans ce marché, on retrouve beaucoup de commerçants burkinabè venus écouler leurs produits. Cette situation ne facilite pas l’écoulement de la production locale surtout qu’il n’y a pas d’autres moyens que la consommation familiale.

Abdoulaye Traoré, grossiste à Sikasso, fait partie des commerçants qui pensent que la culture et la vente de la patate n’est plus rentable, ni pour les producteurs, ni pour les commerçants. Selon lui, chaque année en cette période, le marché est submergé de ce tubercule et les pertes liées à la mévente sont inestimables. « Nous, les commerçants, déplorons des pertes liées à la vente de la patate douce, car, nous n’avons pas les moyens de conservation, ni de transformation. Après une semaine, les patates douces ne sont plus conservables», déplore-t-il. «Pour minimiser les pertes, nous sommes obligés de céder le sac de 100 kg à moins de 3.000 Fcfa et celui de 50 kg à moins de 1500 Fcfa et j’avoue que nous faisons moins de bénéfices », dit Abdoulaye Traoré. Il regrette le fait que le tubercule ne peut être conservé longtemps après la récolte, les méventes aidant, les grossistes sont contraints de céder la cargaison à vil prix, le sac de 50 kg à 500 Fcfa à des éleveurs pour en faire de l’aliment bétail.

L’abondance de ce tubercule a fait chuter le prix au grand bonheur des consommateurs, mais au détriment des producteurs. Dans ce marché, le prix du kilogramme varie en cette période selon les commerçants, entre 30 et 50 Fcfa. Ce prix, aux dires d’Abdoulaye Traoré, pourra même connaître une baisse dans les jours à venir, car l’offre est supérieure à la demande. Notre interlocuteur propose la régulation de l’offre en créant des moyens de conservation. Pour lui, il faut une usine de transformation de la patate et de structuration de la filière pour sécuriser les débouchés des producteurs, encourager l’autonomie des femmes transformatrices et contribuer à la sécurité alimentaire.
« De nombreux paysans produisent de la patate douce, mais les pertes post-récoltes sont inestimables du fait des problèmes liés à l’écoulement, à la conservation et au manque de moyens de transformation », déclare Djibril Traoré, commerçant grossiste à Sikasso. Il a ajouté que si rien n’est fait par les autorités, la production de la patate douce tend vers son déclin. Il souhaite que le gouvernement vienne en aide en mettant les moyens de conservation et de transformation à la disposition des acteurs vu l’engouement de la population pour ce tubercule, dont on ne doute point du rôle qu’il joue en cette période, car il vient combler les besoins alimentaires. Beaucoup de producteurs et de commerçants évoquent une perte énorme si les mesures ne sont prises pour la conservation et la transformation.

Anne-Marie KEÏTA

Source: Journal l’Essor-Mali