Levons tout de suite une équivoque : Pour moi, la décision des autorités maliennes de fixer la durée de la transition en cours dans leur pays à cinq ans est inacceptable et doit être rejetée. Les militaires au pouvoir dans ce pays veulent s’octroyer un mandat de cinq ans — exactement la même durée que chez nous et dans d’autres pays de la sous-région — gratos c’est-à-dire sans solliciter les suffrages de leurs compatriotes. Bien évidemment, une telle durée est inacceptable et il faut la ramener à des proportions « acceptables ». Encore faudrait-il définir ce qui est « acceptable » dans ce domaine puisque, après tout, même ici au Sénégal, pays qui ne connaît aucun trouble et à la stabilité légendaire — touchons du bois ! — les maires, présidents de conseils départementaux, conseillers municipaux et autres viennent de s’octroyer une prolongation de leurs mandats de deux ans…

 

Si, donc, les autorités de la transition malienne ont assurément tort de vouloir s’octroyer un quinquennat sans en passer par les urnes, les sanctionner serait donc somme toute logique. Ils pourraient être interdits de voyages et voir leurs avoirs bancaires saisis, en plus bien sûr de leur suspension de toutes les instances sous-régionales, régionales et internationales. Cela, au fond, ils l’auraient cherché et si de telles sanctions avaient été prises à leur encontre, nul sans doute n’y aurait trouvé à redire. Il se trouve hélas que notre glorieuse Cedeao, qui ne fait jamais rien comme les autres, et aussi l’UEMOA — Union économique et monétaire ouest-africaine créée dans les années 90 par la France pour torpiller la même Cedeao qui avait le tort d’être tractée par le Nigeria anglophone ! —  notre glorieuse CEDEAO, donc, a choisi d’étrangler…le peuple malien ! En décidant de la fermeture des frontières avec tous les pays voisins, du gel des avoirs du Mali à la BCEAO, minuscule sous-filiale du Trésor français, l’interdiction de commerce avec le même pays, sauf pour les médicaments tu parles !, la Cedeao, donc entreprend d’étouffer les Maliens. Des Maliens qui dépendent de l’extérieur pour presque tout et qui n’ont aucun accès à la mer…

Les sanctions de la Cedeao sont iniques, criminelles, disproportionnées par rapport à ce qui est officiellement reproché aux dirigeants de la transition  du Mali. A savoir le refus de se conformer au calendrier fixé par l’organisation régionale qui avait fixé le mois de février prochain comme date-butoir pour l’organisation d’élections. Comme s’il y avait urgence à ce que des élections soient organisées dans ce pays, donc, la Cedeao sort l’artillerie lourde au point de condamner à l’inanition un pauvre peuple déjà martyrisé par les agissements de kleptomanes de ses dirigeants successifs et en proie tout à la fois à une rébellion touarègue, à une occupation djihadiste sur la moitié de son territoire, à des querelles intercommunautaires. Sans compter, last but not least, des coups d’Etat militaires ! Plutôt donc que de se soucier d’aider les populations de ce pays presque failli et sans Etat digne de ce nom, voilà que la Cedeao, qui danse toujours à contretemps, vient leur assener le coup de grâce. N’est-ce pas cette même CEDEAO qui, dans les années 90, sous la direction des généraux au pouvoir au Nigeria, avait entrepris d’aller rétablir…la démocratie au Liberia par le biais de la force militaire Ecomog ! Comme j’ai pris l’habitude de le rappeler ici, à l’époque, les journalistes nigérians persiflaient en disant que leur pays exportait ce qu’il n’a pas, à savoir la démocratie, et importait ce qu’il a, c’est-à-dire de l’essence ! A cause de capacités de raffinage insuffisantes, en effet, ce géant pétrolier exportait son brut et importait des produits finis. Exactement comme nous le faisons ces années-ci avec notre arachide… Cette même Cedeao, pour un banal contentieux électoral, avait déclaré la guerre à la petite Gambie et envahi son territoire avec cette fois-ci les troupes sénégalaises en première ligne et en fer de lance. Et actuellement, pour une durée de transition trop longue à leur goût, les dirigeants de la même organisation ont tout simplement entrepris d’exterminer le peuple malien ! Il est intéressant de constater qu’ils n’ont fait qu’entériner en réalité une série de sanctions déjà adoptées par ceux d’entre eux qui sont membres de l’Uemoa, c’est-à-dire, encore une fois, ce machin de la France ! Et il n’est pas innocent, de ce point de vue, que la Bceao soit mise en avant pour faire le sale boulot.

Le crime d’avoir introduit l’ours russe dans la bergerie sahélienne !

Car, quand nous écrivions que cette prolongation de transition n’est qu’un prétexte, c’est là justement où nous voulions en venir : le véritable motif de cette punition exemplaire infligée aux Maliens — et non pas seulement à leurs dirigeants — c’est bien l’outrecuidance qu’ils ont eue de faire appel aux militaires russes pour défendre leur territoire. Là, on ne joue plus ! De la même façon que le général De gaulle avait décidé en septembre 1958 d’infliger un châtiment retentissant et dissuasif à la Guinée du président Sékou Touré coupable d’avoir réclamé l’indépendance immédiate au lieu d’adhérer à la communauté qu’on lui proposait, de la même manière le président Emmanuel Macron veut corriger les putschistes maliens pour avoir osé introduire le loup — plutôt l’ours ! — russe dans la bergerie sahélienne. Après un conditionnement de l’opinion qui a duré des mois à travers un matraquage des médias de l’Audiovisuel extérieur de France (dépendant du Quai d’Orsay), à savoir principalement RFI et France 24 qui n’ont eu de cesse de crier à longueur d’éditions à la présence des « mercenaires russes du groupe Wagner » au Mali, la France a jugé qu’il est temps d’agir. Surtout que, malgré les menaces et les mises en garde, les dirigeants maliens semblaient déterminés à coopérer militairement avec le pays du président Poutine. Le Mali qui, depuis le temps du président Modibo Keïta, a une tradition de coopération, y compris et surtout militaire, avec l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), ancêtre de la Russie. Emmanuel Macron a donc actionné ses valets dans la sous-région et en a fait de même pour ses instruments comme l’Uemoa et la Bceao pour mettre à genoux le Mali. On a tout compris, nos dirigeants n’étant que les marionnettes utilisées pour déstabiliser la junte du colonel Khassimou Ghoïta. Hélas, alors que le président Macky Sall avait ferraillé au lendemain du coup d’Etat ayant renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta en août 2020 pour épargner toute sanction au peuple malien, cette fois-ci il a fait profil bas. Il ne faut surtout pas fâcher Macron ! Surtout dans l’éventualité où un troisième mandat serait désiré…

Malheureusement, le Sénégal — à part le pauvre Mali bien sûr — serait le plus grand perdant dans cette entreprise de strangulation du Mali. Une entreprise qui vise, encore une fois, à exercer une telle pression sur ce pays que ses populations vont finir par se révolter pour renverser ces ouvreurs — comme on dit au théâtre — pour Russes dans le pré carré français. Le Mali, donc, est le premier importateur de produits sénégalais sur le continent et presque le débouché naturel pour notre industrie. Il constitue notre seule porte d’accès à l’Uemoa et fait faire au Port autonome de Dakar l’essentiel de son fret et, donc, de son chiffre d’affaires. Sans compter bien sûr les liens ombilicaux qui lient les peuples malien et sénégalais — qui n’en font qu’un en réalité — depuis des temps immémoriaux. Le président Macky Sall fait fi de tout cela pour plaire à son homologue français. Lequel a joué et perdu (provisoirement ?) dans ce dossier malien. Il a misé sur des chevaux perdants — le premier président de la transition Ba Ndaw et son Premier ministre Moctar Ouane. Il a condamné un « coup d’Etat dans le coup d’Etat » qu’il avait été le seul à voir lorsque ces pions ont été éliminés et menacé de retirer ses troupes de l’opération Barkhane…avant de se raviser vite fait lorsque les Maliens ont menacé e faire appel aux Russes. Trop tard !

Dans l’impitoyable guerre entre puissances qui se joue sur le vaste échiquier mondial, les erreurs se payent cash. « En même temps » — une expression qu’adore le président français ! —, il n’y a plus guère d’amis. La France l’a appris à ses dépens dans l’affaire dite des sous-marins australiens lorsque ce marché du siècle lui a été soufflé par son meilleur allié au monde, les Etats-Unis d’Amérique. Fâcheux, dans ces conditions, de devoir perdre le Mali au profit de Vladimir Poutine après lui avoir déjà concédé la Centrafrique. Macron ne voulait pas des dirigeants africains à son Sommet Afrique-France de Montpellier leur préférant la présence de jeunes gens issus de la nébuleuse de la société civile ? Ça  tombe bien, les putschistes maliens non plus ! Mais heureusement qu’il peut encore compter sur les Macky Sall, Alassane Ouattara et autres…

Mamadou Oumar NDIAYE

« Le Témoin »  quotidien sénégalais