«La nouvelle situation née de la fin de l’Opération Barkhane, plaçant le Mali devant le fait accompli et l’exposant à une espèce d’abandon en plein vol, nous conduit à explorer les voies et moyens pour mieux assurer la sécurité de manière autonome ou avec d’autres partenaires.» Ces mots du Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, à la tribune de l’ONU samedi, ont dû faire dresser les cheveux de bien des diplomates, peu habitués à un discours aussi tranché et sans détour de la part de notre pays dans ce cénacle de la diplomatie mondiale.

 

Le Mali a visiblement décidé de rompre avec les propos convenus pour ménager les susceptibilités des puissants. Il était temps car l’heure est grave. Il s’agit ni plus ni moins de la survie de la forme républicaine et laïque de notre État.

La remarque du chef du gouvernement est moins un coup d’éclat que la manifestation d’une logique implacable. Si une solution s’avère inopérante, la logique commande que l’on change de fusil d’épaule. Ce débat agite l’opinion malienne depuis longtemps. Le porter à la tribune de l’ONU lui donne une plus grande dimension politique et diplomatique.

C’est peu dire que la mobilisation de la communauté internationale répond aux attentes des Maliens. La situation va de mal en pis, ainsi que l’a souligné Choguel Kokalla Maïga : «La situation continue progressivement de se détériorer, au point que des pans entiers du territoire national échappent au contrôle du gouvernement. Mes concitoyens vivent sous l’emprise des Groupes armés terroristes dans le déni de leurs droits les plus élémentaires». Devant le pourrissement de la situation, certains de nos compatriotes ont exigé carrément le retrait pur et simple de la France. Position extrême qui traduit davantage un certain désarroi face à l’extension inexorable de l’insécurité qu’une défiance primaire à l’égard de l’ancienne puissance coloniale.

Jusqu’ici, les remèdes proposés par la communauté internationale, emmenée par la France, se sont montrés inefficaces. L’équipe médicale a toujours fait peu de cas de l’avis du patient. «L’annonce unilatérale du retrait de Barkhane et sa transformation» s’inscrit dans cette logique. La décision de la France ne manque pas de susciter des inquiétudes et pousser les dirigeants à la recherche d’alternatives. L’exemple afghan, de fraîche date, n’encourage pas à rester les bras croisés. Même si le contexte n’est pas rigoureusement identique.

L’alternative russe s’impose dans les esprits du fait de son succès sous d’autres cieux. Elle se heurte à un battage médiatique qui met en avant une prétendue réputation sulfureuse du corps expéditionnaire russe. La propagande occidentale a beau jeu de présenter sous les traits d’une bande de mercenaires sans foi ni loi l’intervention russe, dont l’efficacité séduit de plus en plus. Les «exactions des mercenaires russes» en Centrafrique sont montés en épingle. Mais peu de mots sur les accusations d’abus sexuels contre des soldats français dans ce pays d’Afrique centrale.

La «menace russe» ne se limite plus à l’Europe. Elle tente de prendre pied dans le pré carré africain de notre ancienne puissance coloniale. N’est-ce pas suffisant pour lui coller une réputation sulfureuse et mobiliser tous les alliés ? Il est déplorable que le tintamarre de la campagne médiatique fait passer au second plan la nécessaire convergence entre Maliens et partenaires étrangers pour juguler cette menace terroriste qui se fait de plus en plus pressante.

Il appartient aussi aux Maliens de faire une introspection pour se débarrasser de nos turpitudes et imposer le respect aux partenaires étrangers. Quoi de plus déplorable que de constater que la crise n’a eu que peu d’effet de rédemption sur nos mauvais comportements. Comment se faire respecter alors que les bruits de casseroles continuaient d’accompagner nos contrats d’armement ? Heureusement, on assiste à l’abandon des mauvaises pratiques dans le recrutement et l’entrainement de la troupe, ainsi que dans les avancements dans les grades. Le nouveau programme permettant l’identification biométrique des effectifs achève de convaincre qu’un nouvel esprit est en train de faire son chemin dans l’Armée.

Ce n’est pas encore le cas dans d’autres corporations. Le personnel étatique chargé de «respecter et faire respecter la loi» se soustrait à la rigueur de la force publique. Et ceux qui sont chargés d’éduquer et de soigner la population ? Bien qu’étant agents des services publics, beaucoup d’entre eux préfèrent monnayer leurs compétences dans des structures privées. Le salaire du public étant garanti même s’ils ne s’acquittent pas de leurs tâches. Les syndicats de ces catégories sont des champions dans les grèves mais pas des parangons de la qualité du service rendu.

Ces dérives ont libre cours à cause de la faiblesse de l’autorité. Mais comment exercer l’autorité si certains hommes politiques considèrent leur accession au pouvoir comme la récompense de longues années d’efforts, d’abnégation et de privations ? Installés dans le fauteuil, ils ne se privent de rien. Du coup, leur discours sur le respect des deniers publics tombent dans des oreilles de sourds.

Nos cris d’orfraie contre les partenaires étrangers ne serviront pas à grand-chose tant que la rédemption n’accompagne pas nos actions de tous les jours.

B. TOURÉ

Source : L’ESSOR