SIDY BA, PRESIDENT DE LA COALITION NATIONALE POUR LA SAUVEGARDE DU FLEUVE NIGER

« La situation environnementale du Mali est alarmante »

Sidy Ba, le président de la coalition Nationale pour la sauvegarde du fleuve Niger nous fait le point de la situation environnementale du Mali et propose des solutions pour une meilleure gestion de notre cadre de vie. 

 

Les Echos : présentez-vous à nos lecteurs ?

S.B : Je m’appelle Sidy Ba. Je suis enseignant chercheur à l’Ecole Nationale d’Ingénieur de Bamako au département de géologie et des mines et je suis aussi le président de la coalition Nationale pour la sauvegarde du fleuve Niger.

Les Echos : Parlez-nous un peu de votre coalition ?

Sidy Ba : La coalition nationale pour la sauvegarde du fleuve Niger, comme son nom l’indique, est un regroupement d’associations, d’ONGs et de personnes ressources qui œuvrent ensemble afin de mener des actions de sauvegarde du fleuve. La coalition a vu le jour en 2019 sous l’impulsion de l’ancien ministre Adama Samassékou. Parce qu’on voit que le fleuve se dégrade, parce qu’il y a un accaparement des berges à Bamako, parce qu’il y a la pollution qui grandit, nous avons pris la résolution d’agir. Il s’agit donc pour nous de mener des actions citoyennes en collaboration avec les structures de l’Etat.

Les Echos : A la lumière de vos constats, quel est l’état des lieux de la situation environnementale du Mali ?

SB : La situation environnementale du Mali est alarmante à bien des égards. C’est par exemple le cas pour le milieu aquatique, c’est-à-dire tout ce qui concerne les eaux souterraines et les eaux de surface. Pour les eaux souterraines, le Mali étant un pays sahélien, il y a une baisse continue à ce niveau. Quand vous prenez les cours d’eau aussi, il y a une diminution des débits. Il y a des facteurs naturels dus au changement climatique, qui font que, de plus en plus, il y a des déficits en eau dans le pays.

Quand vous prenez les terres aussi, vous voyez que, de plus en plus, les terres sont dégradées. Il y a la déforestation due à l’utilisation abusive du bois. Il y a aussi les effets du changement climatique. Donc, les températures s’élèvent et la pluviométrie n’est pas bien répartie. D’autres zones sont même en déficit depuis plusieurs années. Cela aussi contribue à dégrader les sols. C’est pour cela qu’on parle de plus en plus de désertification ; ça, c’est au niveau des végétations et des sols. Sur le plan de la végétation, il y a aussi l’exploitation des forêts. De plus en plus, on voit d’ailleurs qu’il y a certains pays qui viennent exploiter nos forêts, en complicité avec les acteurs nationaux. Donc, on perd beaucoup de couvert végétal par an au niveau du pays. Il y a des facteurs naturels dus au changement climatique mais aussi des facteurs dus aux activités anthropiques ; par exemple, quand vous prenez même la zone du Mandé, vous voyez que l’exploitation artisanale de l’or a fait beaucoup de dégâts, tant sur le sol, les végétations et le fleuve.

Les Echos : Jusqu’à quel degré situez-vous la pollution des eaux ?

SB : Dans une étude que nous avons menée à Bamako, on a recensé 84 collecteurs d’eaux qui envoient les eaux usées dans le fleuve. Et tous ces collecteurs envoient toutes sortes de déchets parce qu’en réalité, tous ces collecteurs, au départ, ont été aménagés pour favoriser le ruissellement des eaux afin d’éviter les inondations dans la ville. Mais ces collecteurs, par la force des choses, sont devenus des égouts d’eaux usées. C’est-à-dire que les populations évacuent directement les eaux usées qui viennent de leurs ménages sur les collecteurs. Il y a même souvent des activités industrielles comme celles des teintureries etc. Tout ce cocktail est chargé vers le fleuve, et la conséquence, c’est que le fleuve Niger est de plus en plus pollué au niveau de Bamako. Et c’est le même scénario à Mopti, Gao, Ségou… vous allez voir comment les berges du fleuve sont transformées en dépotoir d’ordures. Cette pollution fait qu’il y a de plus en plus une diminution des espèces vivantes, notamment les poissons dans les eaux. En plus de cela, quand vous prenez Bamako, c’est l’eau du fleuve qui est traité pour être utilisé dans les ménages. Il faudrait vraiment qu’il y ait un changement de comportements, notamment dans la gestion des déchets et à plusieurs niveaux. Au niveau des citoyens, il faut que les gens utilisent moins le plastique parce qu’on sait que le plus grand problème du fleuve, aujourd’hui, ce sont les matières plastiques. Mais, en plus de cela, il faut voir au niveau municipal pour que le problème de gestion des déchets solides soit bien organisé. L’Etat doit à son tour appuyer les collectivités. Et les citoyens doivent aussi, en synergie avec les collectivités, adopter des comportements pour que nous ayons un cadre de vie assaini qui va permettre une meilleure gestion de l’environnement pour tous.

Les Echos : Pour une meilleure gestion de l’environnement, quelles solutions préconisez-vous ?

SB : D’abord, il faut sensibiliser la population parce que les gens ne s’en rendent pas compte. Quand vous détruisez votre environnement, cela veut dire que vous êtes en train de détruire votre habitat. Et quand vous détruisez votre habitat, ce sont toutes les ressources qui vous permettent de soutenir votre existence qui sont mises en cause. Donc, cela veut dire qu’il faut sensibiliser afin que les gens changent de comportement. Il faut sensibiliser afin que chaque citoyen prenne soin de nos forêts, de nos eaux et de nos sols. Il faut aller vers des pratiques forestières, agricoles et aquatiques qui préservent beaucoup l’environnement.

Les Echos : Vous, en tant que coalition nationale pour la sauvegarde du fleuve Niger, quelles actions avez-vous menées en ce sens ?

SB : Nous avons mené des actions de salubrité. Une fois, on est parti au niveau de la jonction entre Woyo Wayanko et le fleuve Niger, on a assaini là-bas tout une journée. On a aussi informé l’Agence du Bassin du Fleuve Niger (ABFN), avec qui nous sommes en étroite collaboration. On leur indique les dépôts d’ordures dans le nid du fleuve, et les agents de l’ABFN s’occupent de l’évacuation. En plus de cela, on a élaboré un plaidoyer pour que la législation soit appliquée. Par exemple, quand vous prenez les matières plastiques, il y a une loi qui interdit la production des sachets plastiques non-biodégradable, mais la loi n’est pas appliquée. Dans notre plaidoyer, nous allons mettre l’accent sur l’application de cette loi afin qu’il y ait une véritable police environnementale qui sillonne la ville pour voir là où les citoyens développent le plus les comportements néfastes à l’environnement.

Interview réalisée par

Maffenin Diarra

Source: Les Échos- Mali