Je voudrais vous dire, par cette dédicace commune aux deux opuscules que j’ai l’honneur de vous envoyer, à savoir, « Clarté d’hier à aujourd’hui » reprenant des écrits datant d’octobre 1990 à septembre 1992, édité à compte d’auteur ainsi que « En guise de postface au Dialogue National Inclusif en France », que ce que je retiens fondamentalement de votre intervention salutaire du 18 Août 2020, c’est, principalement et fondamentalement », le fait que vous ayez évité au peuple malien un bain de sang qui serait devenu un océan par rapport au fleuve sanguin du 22 mars 1991 où, l’on s’en souvient, même les fous divagant dans les rues avaient reçu des balles dites perdues. L’on se souvient également du fameux cri « LE SANG EST VERSE ON A GAGNE ». L’on se souvient enfin qu’aucun des leaders de la Révolution dite « démocratique » n’avait compté parmi les martyrs. Et pour cause ! Aucun d’entre ceux du jour n’en serait pas devenu, non plus.

La notion de parachèvement et les théories complotistes qui tentent de s’y opposer n’apparaissent ainsi que simples épiphénomènes.

Le challenge qui se pose à vous est plutôt celui-ci : Comment s’y prendre pour que la satisfaction des attentes profondes du peuple malien soit désormais satisfaites, dans le contexte complexe actuel caractérisé par :

La faillite de la classe politique malienne, dans son ensemble, illustrée par, outre le nombre pléthoriques de partis dits politiques, que j’ai toujours considérés comme des proto partis ayant tous échoué leur évolution en parti cristallisant des projets de société réels, ayant muté en agences de placements de cadres, commissions d’attribution de marchés publics contre renvoi d’ascenseur et groupement d’intérêt économique ; Tous, sans exception aucune !
D’où une grande tendance au nomadisme chez leurs élus ; D’où également les alliances contre nature à chaque élection, le record ayant été battu par les législatives dernières où Les ex-présidents de l’Assemblée nationale et de la Haute Cour de Justice, tous deux de la majorité, ont été portés par des candidats de l’URD, parti du Chef de file de l’opposition. Pire : Alors que nul ne connaît véritablement le sort réservé à ce dernier, tous les députés élus de son parti ont voté pour le candidat du parti majoritaire au perchoir, devenu candidat de la manière que l’on sait.

Une société civile qui ne vaut guère mieux, l’étonnante audio de l’un d’entre eux, s’adressant à une personnalité du monde des affaires à laquelle il semble prêter l’ambition  d’être le  Patrice Talon malien, et aspirant à une « primature de pleins pouvoirs », en dit long.

J’ai eu à expliquer à un Premier ministre de pleins pouvoirs que cela signifie simplement que, durant la Transition, le Président n’a pas tous les pouvoirs d’un Président de la République démocratiquement élu, alors que le Premier ministre, lui, exerce les pouvoirs normaux d’un premier ministre, malgré le contexte de transition.

Une société civile religieuse, heureusement tolérante dans l’ensemble :

les musulmans, bien que majoritaires, acceptant les pratiquants des autres religions, et donnant l’impression d’avoir définitivement tourné la page de la lutte sanglante ayant opposé certaines confréries à d’autres durant les années 50.

Noel étant devenue ainsi une fête célébrée par tous et,

tous fortement enclins à avoir recours aux mannes de nostraditionnalistes, lorsqu’ils semblent être dépassés par certains événements

Toutefois il demeure l’alignement mécanique de la constitution sur une pâle copie de la laïcité à la française. Dans beaucoup de pays européens, en effet, il existe des partis Démocrates Chrétiens, d’ailleurs au pouvoir en Allemagne, et il arrive que le Président de la République ou le monarque prête serment sur la Bible. Serait-il irréaliste, bien que ce genre de choses nécessite du temps, d’envisager une telle évolution dans les pays à dominante musulmane, tel le cas marocain avec le PJD ? Le risque étant, sinon, l’irruption des leaders religieux populaires dans l’espace politique, pour le meilleur, si elle est contrôlée ou raisonnable ; pour le pire sinon, la nature ayant horreur du vide, c’est connu.

A cela viennent se greffer les cruels génocides intercommunautaires jusque-là inconnus dans ce pays du Sinankuya.

Je ne vous ferai pas l’injure de vous parler de la refondation totale des forces de défense et de sécurité, l’ennemi ayant totalement changé de profil, depuis les malheureuses actions américaines contre Saddam Hussein, puis sarkozyste contre Ghadaffi. Car, de toutes les façons, lorsque l’armée et la police ne correspondent plus au format que nécessite la nature du combat, elles ne peuvent qu’être vaincues. L’armée française, censée être en 1940 la première puissance militaire européenne, s’est effondrée en trois semaines, face à l’armée hitlérienne.

Le renouveau du paradigme géopolitique, créant étrangement à nouveau la situation d’agonie du multilatéralisme mise à profit, à la fin de la 1ére Guerre Mondiale, pour la signature des accords Sykes-Picot dépeçant l’empire Ottoman, les frontières devenant plus instables que jamais, malgré les résolutions prises par l’équivalent de l’ONU à l’époque, la SDN, la Société des Nations.

Le cas libyen en est une éclatante illustration : L’ONU a reconnu le gouvernement actuel du pays. Mais des pays de l’OTAN et de l’ONU soutiennent, ouvertement pour certains, de façon hypocrite pour d’autres, le Marechal Haftar contrôlant la quasi-totalité des bassins pétroliers, sous prétexte de connivence du gouvernement avec les islamistes terroristes. Si tel est le cas, pourquoi sa reconnaissance par l’ONU ? Seule conclusion valable : l’ONU est devenue ce « machin » dont parlait De Gaulle. Au multilatéralisme moribond se substitue, de plus en plus, de multiples bilatéralismes concrets et gagnant-gagnant, la devise de tous les pays étant devenue celle du Général : « La France n’a pas d’amis mais des intérêts ». C’est ce qu’a compris le Président Kagamé, et qui lui vaut d’être le seul pays subsaharien dont le ciel soit ouvert à toute l’Europe, en ces temps de Covid-19.
En effet la géopolitique actuelle se caractérise ainsi :

Les vaincus de la deuxième guerre mondiale sont devenus les puissances économiques du jour ;

Tous les anciennes puissances coloniales sont aujourd’hui en voie d’étranglement, et celles qui en avaient profité pour installer chez eux l’Etat Providence, telle la France, sont aujourd’hui obligées de fermer leurs infrastructures sociales de base, notamment dans les campagnes, ce qui explique le phénomène Gilets jaunes.

Le fulgurant développement de la Chine, devenue Première puissance mondiale, même en matière de technologie, vient bouleverser la donne, tout comme celui du continent asiatique qui, contrairement au nôtre, au su tirer profit des contradictions nées entre les camps opposés durant la guerre froide. Sans compter le redressement spectaculaire russe, sous l’égide de Poutine

Une destruction écologique, fruit d’une industrialisation basée sur la recherche du profit maximal dans tous les domaines, même en matière de santé

Et pour tout corser, le Covid-19 vient étaler au grand jour l’extrême fragilité de beaucoup de pseudo grandes  puissances.

Réussir un tel challenge n’est pas tâche aisée :

Il faudra d’abord tirer les leçons de notre propre histoire. Nous avons connu des transitions dirigées par des militaires (Moussa Traoré, Amadou Aya Sanogo – quoi que de courte durée- Amadou Toumani Touré)

Une transition dirigée par un civil : Dioncounda Traoré

Quels en ont été les points forts ? Les points faibles ?

Tirer également celles d’Afrique, des transitions dirigées par des militaires, des civils (en général du Clergé catholique dans les pays à dominante chrétienne).

Le cas du Ghana est riche d’enseignement. Ayant renversé le 4 juin 1979 le régime de Fred Akuffo (sa première tentative du 15 mai ayant échoué et lui ayant valu trois semaines de prison) par un coup d’Etat populaire, comme ils le sont souvent (celui contre Modibo Keita est de ceux-là, incontestablement, aussi étonnant que cela puisse être), il cède le pouvoir, le 24 septembre 1979, à un gouvernement civil dirigé par le Président Limann. Mais il dut, le 31 décembre 1981faire un deuxième coup, tant était grande la corruption ; Et cette fois ci, il finit même par démissionner de l’armée, se faire élire et bâtir le Ghana que l’on connait de nos jours.

Ne pas oublier, non plus, que le père de la constitution française, dont nous avons fait un simple copier-coller lors de la Conférence Nationale de 91, avec d’ailleurs plein de coquilles, fut un militaire, le Général De Gaule, après un coup d’Etat du reste, Constitution que son principal opposant qualifia dans un livre célèbre de « Coup d’Etat Permanent », mais dont lui-même s’est bien accommodée, 14 ans durant, une fois élu Président.

Soit dits en passant :

Une grande pasionaria de la Révolution « démocratique » malienne de 91, pour qui j’éprouve beaucoup d’admiration car grande intellectuelle,  et qui, citant en cela Feu Me Demba DIALLO, vient d’écrire dans un article que ladite constitution est la meilleure du monde. Toutefois, ce n’est un secret pour personne que son époux de mari a eu l’intention de tenter de la réviser, comme tous les présidents depuis. A contrario, pour une autre pasionaria, encore dans la lutte celle-là, et pour laquelle également  j’ai une haute estime, la Troisième République a plutôt démocratisé la corruption.

Il s’agit donc, pour vous, de ne vous laisser impressionner par personne, d’être le plus inclusif possible, et surtout de bien réaliser que quoique peuvent en penser les Juppé, Parly, Le Drian et d’autres, l’application immédiate et intégrale de l’Accord d’Alger serait favoriser la partition du Mali, comme l’ont été les accords de Sykes-Picot redessinant le Moyen Orient et ce, dans l’intérêt d’une certaine moyenne puissance, pour laquelle cela devient une question de vie ou de mort. Pour quoi le DNI a bien vu la nécessité d’intégrer, dans ses recommandations, l’impérieuse nécessité d’une relecture dudit accord.

Restent les fameuses questions des transitions générationnelles et du genre. Il ne faut surtout pas en faire une question de principe sine qua non, comme dans une espèce de fétichisme. Seules doivent primer la compétence, le patriotisme et la bonne moralité :

Trump a un mois de plus que moi  qui en ai déjà 74, et son challenger, Joe Biden, quatre ans de plus. L’Inde a connu deux Présidentes et la France zéro.

En conclusion : Toutes les démocraties sont en construction de nos jours, certaines nations n’ont même pas eu besoin d’une constitution écrite gérant leur Etat. L’essentiel réside dans la participation populaire effective à son élaboration et à son adoption, ainsi que dans sa mise en œuvre concrète.

Toumani Djimé DIALLO

Bamako 30 Août 2020

Les ouvrages « Clarté d’hier à aujourd’hui » et  « En guise de postface au Dialogue National Inclusif en France » sont consultables sur mon blog