Défaite au Moyen-Orient, l’hydre Daech est en plein essor en Afrique de l’ouest.

L’Etat islamique se déploie actuellement dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina, Niger) et coopére avec Al-Qaïda.

Malgré la perte de son ancrage territorial au Moyen-Orient, Daech continue de poser une menace sérieuse à la sécurité internationale, notamment à travers ses filiales en Asie et en Afrique. C’est le principal constat du rapport de l’ONU sur la menace posée par l’organisation terroriste présentée au Conseil de sécurité, dans la nuit de mardi à mercredi à New York. En Afrique de l’ouest où se battent les forces françaises, l’inquiétude est palpable.

Daech exploite à merveille les vides et failles sécuritaires. Chassée de pans entiers de territoire en Irak et au Levant, l’organisation terroriste dispose toujours d’une richesse résiduelle estimée à 300 millions de dollars pour mener des attaques ciblées dans la zone syro-irakienne où de 24 000 à 30 000 combattants de l’organisation terroriste auraient survécu. Mais l’hydre terroriste gagne surtout du terrain en Afrique où ses franchises sont réparties entre la Corne de l’Afrique, l’Afrique du nord et de l’ouest. Des combattants défaits au Moyen-Orient ont rejoint l’Algérie, le Soudan et la Libye.

Depuis l’offensive lancée le 4 avril par les forces du maréchal Haftar en direction de Tripoli, le groupe a intensifié ses actions dans le Sud libyen tout en restant actif dans les zones côtières, malgré la perte de Syrte. Ses ressources proviennent d’investissements dans les sociétés de transferts d’argent, du racket, du trafic d’antiquités et de taxes prélevées sur la traite.

Mais c’est l’Afrique de l’ouest, là où les 4 500 soldats de la force française Barkhane opèrent, qui inquiète le plus. Le recrutement de combattants y est en progression. « Les frontières sont poreuses et les autorités nationales ne sont pas préparées à combattre cette menace », explique le rapport onusien. Selon ses experts, l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (ISWAP), une branche dissidente de Boko Haram présent au nord du Nigeria et dans les pays riverains du lac Tchad, y compte 4 000 jihadistes. Elément nouveau : des attaques réalisées par l’Etat islamique dans le Grand Sahara, autre filiale de Daech originellement implantée au Mali, sont dorénavant revendiquées par l’ISWAP. Ce fut notamment le cas de celle menée à Ménaka, en avril, contre des miliciens supplétifs des autorités maliennes. « Il y a des liens entre les deux filiales, confie un haut gradé français. Mais nous ne savons pas encore si l’EIGS a un lien de subordination à l’ISWAP. »

L’EIGS est dirigé par Adnane Abou Walid al Sahraoui. Né à Laâyoune au Sahara occidental en 1973, il est le petit-fils d’un chef sahraoui. Issu d’une famille aisée, le jeune al Sahraoui sera déplacé avec sa famille dans un camp de réfugiés du Polisario en Algérie. Il y rejoint alors le mouvement de libération avant d’intégrer le Mouvement pour l’Unité et le jihad en Afrique de l’ouest (Mujao, alors franchise d’Al-Qaïda) en 2012 qui fusionne, un an plus tard, avec Al Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar. Prêtant allégeance à Daech en 2015, il fonde l’EIGS, composé d’anciens du Mujao.

Réfugiés. « L’EIGS se distingue par l’étendue géographique de son activité, qui s’étale sur quelque 800 km le long de la frontière entre le Mali et l’ouest du Niger ainsi que sur environ 600 km le long de la frontière entre le Burkina Faso et le Niger. Près de 90 % des attaques sont produites dans un rayon de 100 km appartenant à l’une de ces frontières », souligne Pauline Le Roux dans un article récent pour le Centre d’études stratégiques pour l’Afrique. La chercheuse prévoit qu’au rythme actuel, le groupe sera responsable de plus de 570 décès en 2019, en faisant le plus dangereux de la zone. Conséquence ? Des milliers d’écoles sont fermées au Burkina et au Mali et les réfugiés se multiplient.

L’EIGS attaque régulièrement les postes frontières, les unités de police et gendarmerie pour se servir dans les armureries nationales. Elles achètent aussi des armes sur le marché.

Sur le terrain, le combat est devenu plus complexe pour les armées nationales et les forces étrangères. Les terroristes se fondent dans les populations des villages. Le couvert végétal de la zone des trois frontières leur offre aussi davantage de refuges. « Les soldats français doivent se préparer au combat rapproché, confie un ancien militaire en charge des opérations. On sait faire mais c’est plus difficile que lorsque l’on a 2000 mètres de visibilité dans le désert ». D’autres pensent que la France est en train de retomber dans une guerre d’Algérie.

Le dispositif Barkhane a vocation à rester mais la force régionale du G5 Sahel devrait subir de profonds changements. Une réflexion est en cours pour l’élargir notamment aux pays côtiers et améliorer la coordination avec et entre les forces occidentales. « La force du G5 Sahel est proportionnelle à son maillon le plus faible », confie Mohamed Bazoum, ministre nigérien de l’Intérieur. Les armées malienne et burkinabée, toutes deux en reconstruction, en sont les maillons faibles. Elles essuient des pertes importantes, parfois parce que leurs états-majors ne sollicitent pas l’appui de la France par pure fierté nationale. Elles ont affaire à un ennemi fuyant comme lors de l’opération Otapuanu de l’armée burkinabée à l’Est du pays, en mars dernier. Malgré les pertes, l’EIGS a aussi une formidable capacité de régénération et compterait de 400 à 800 combattants.

Spécificité ouest-africaine, les groupes terroristes rivaux collaborent depuis mars 2017. « Les éléments de l’EIGS sont très proches du GSIM affilié à Al-Qaïda, indique le haut gradé français. Beaucoup appartiennent au mêmes tribus et ont combattu ensemble au sein du Mujao. C’est une coopération quasi familiale. » Les dirigeants du GSIM et de EIGS se seraient même rencontrés en décembre 2017 à Kidal. « Avant, le Mali était considéré comme victime collatérale de la guerre en Libye puis est devenu une base pour l’essor du terrorisme au Burkina et au Niger. Maintenant, ce pays est un point de rencontre entre Al-Qaïda et l’Etat islamique qui se développent au nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Bénin et du Togo », conclut le haut gradé français.

L’opinion.fr