L’objectif de la visite à Alger du ministre français des Affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian, est d’établir les bases d’une coopération sécuritaire entre la France et l’Algérie, notamment sur les théâtres d’opération malien et libyen.

 

La nouvelle visite à Alger de Jean Yves Le Drian, qui ne montre pas le même intérêt pour Rabat ou Tunis, est la troisième en moins d’un an. La sollicitude du ministre français envers le régime militaire algérien est un secret de polichinelle. Lors de la libération récente de plusieurs centaines de djihadistes au Mali contre quatre otages, largement orchestrée par les amis de l’Algérie à Bamako mais très ma vécue à Paris, pas un instant le rôle d’Alger dans cette négociation n’a été dénoncé, ni même évoqué, par Jean Yves Le Drian et Emmanuel Macron. Les autorités libanaises n’ont pas le droit à une pareille retenue quand elles sont clouées au pilori par le Président français.

Plus encore, la diplomatie française, prompte à dénoncer les atteintes aux droits humains en Turquie et en Russie, marque une prudence constante dans la mise en cause du régime militaire algérien plus répressif que jamais. Tout aussi remarquable est aussi la prudence des communiqués du Qua d’Orsay, appelant sobrement l’attachement de la France à la liberté d’information, face à la condamnation à deux ans de prison du journaliste indépendant, Khaled Drareni, jugé de façon scandaleuse pour « incitation à un attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national ».

« Le président Abdelmadjid] Tebboune a affiché ses ambitions de réformes des institutions pour renforcer la gouvernance, l’équilibre des pouvoirs et les libertés (…) Il appartient aux Algériens et à eux seuls de traduire les aspirations qui se sont exprimées avec civisme et dignité en une vision politique avec des institutions aptes à la concrétiser », a déclaré dès son arrivée Le Drian, qui apporte ainsi un soutien sans ambiguité au référendum organisé début novembre par les autorités algériennes et plus généralement à leur feuille de route politique.

Un agenda secret

Autant de sollicitude chez un ministre des Affaires Etrangères aussi calculateur et froid qu’est Jean Yves Le Drian ne peut que masquer un discret agenda diplomatique et militaire.

Il s’agit pour un Le Drian ministre successif de la Défense puis des Affaires Etrangères et à ce titre responsable du fiasco français dans le Sahel, de faire oublier ses formidables erreurs d’évaluation sur les moyens de rétablir la paix et la démocratie au Mali et en Centrafrique. Il faut à tout prix, soulignent volontiers les amis du ministre, trouver une porte de sortie honorable après avoir déployé des milliers de militaires en Afrique et avec des résultats catastrophiques.

A peine parvenu au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron devait annoncer qu’il allait diminuer le fardeau budgétaire des « opérations extérieures », avant d’en rabattre devant le redoutable lobbying de l’armée. « Depuis, souligne un ministre algérien bien introduit en France, on rève dans certains cercles à Paris de déléguer le pilotage sécuritaire à des militaires locaux, et notamment aux Algériens, qui possèdent la deuxième armée du continent africain ». Dans ce sens, des formations de gradés algériens en Drance pourraient être proposées et des entrainements militaires organisés en commun.

Plus que jamais, l’Algérie, puissance régionale incontestable, est un partenaire obligé. Depuis longtemps en effet, le Sahel représente un terrain d’influence privilégié pour les services algériens qui ont fait et défait les pouvoirs en place au Mali, au Niger ou en Mauritanie. Jean Yves Le Drian le sait plus que tout autre. Lors de l’opération Serval en 2013 et avec l’aide de François Hollande, alors Président, il obtenait du président Bouteflika un feu vert pour intervenir au Mali ainsi que le droit pour les avions français de survoler le territoire algérien.

Alger en quête d’une légitimité

Or cela tombe bien, le pouvoir algérien, de plus en plus fragile face aux mobilisations populaires du Hirak, cherche une légitimité internationale pour compenser son absence de vision. Coté jardin et face à son opinion publique, le président Tebboune ne rate pas une occasion de reprendre les vieilles antiennes du FLN contre le « Hibz França » (le « Parti de la France » ), une expression polémique pour désigner les partisans de l’ancienne puissance coloniale qui nuiraient aux intérèts de la nation algérienne. Coté cour pourtant, le gouvernement Tebboune donne des gages à la France dont il a besoin pour se refaire une santé sur le plan international.

Deux dossiers, libyen et malien, ont été mis en avant durant la visite de Jean Yves Le Drian. En Libye, où la France tente de reprendre la main, les deux pays réclament, sans aucune chance de succès, des élections comme solution à la guerre civile larvée. Les Français avaient tenté la même démarche voici deux ans. Au delà, l’entente franco-algérienne sur ce dossier libyen pourrait se perdre dans les sables, compte tenu des liens que l’Algérie souhaite conserver avec la Russie et la Turquie,.

En revanche sur le Mali, les Français et les Algériens pourraient rapidement tomber d’accord sur un partage des rôles, les premiers retirant leurs troupes avec les honneurs et les seconds renouant avec l’influence qui fut la leur avant l’opération militaire « Serval » en 2013 . Du gagnant gagnant

« Supplétifs » des puissances occidentales

Les militaires algériens préparent le terrain. La seule nouveauté significative dans la nouvelle Constitution qui sera « soumise » à référendum le 1er novembre prochain est de permettre désormais à l’armée nationale populaire (ANP) d’intervenir en dehors du territoire national dans « les missions de paix ».

Une opinion algérienne qui se vit comme nationaliste s’interroge sur la légitimité de telles interventions. Le Parti des travailleurs (PT) de Louïsa Hanoune, qui reflète le sentiment général évoque une « dérive sans précédent. »   « Mais qu’est-ce qui motiverait une telle aventure, celle de transformer notre armée nationale en une armée supplétive des armées des grandes puissances, alors que le président Tebboune  lui-même avait écarté cette option de manière catégorique quelques jours auparavant ? », s’interroge le mouvement politique.

« Une armée supplétive », avez vous dit. Dans une Algérie marquée par le colonialisme français où des « supplétifs algériens » prêtaient main forte à l’armée d’occupation, les sensibilités sont à vif

L’heure est-elle venue pour les deux pays de dessiner les contours d’une recomposition sécuritaire en Afrique? Les dirigeants français et algériens veulent y croire.

Source : mondafrique