Dans cette interview, le président de la Coalition citoyenne de la société civile pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale (CCSC/PURN), Ahmed Mohamed Ag Hamani, s’exprime sur les difficultés liées à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. L’ancien Premier ministre aborde également la situation sécuritaire dans le pays ainsi que le processus du Dialogue national inclusif.

L’Essor : Quatre ans après sa signature, la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation rencontre toujours des difficultés. En tant qu’observateur et acteur important de la société civile, quelle analyse faites-vous de la situation ?
Ahmed Mohamed Ag Hamani : C’est exact, il y a des difficultés certes qui sont identifiables mais elles ne sont pas insurmontables. Depuis la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, la Coalition de la société civile pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale s’est donnée pour mission d’assurer le suivi de sa mise en œuvre, de manière continue.
C’est ainsi qu’elle a noté les questions liées à la naissance et à celles relatives à la mise en œuvre dudit Accord. Dans la phase des négociations, on peut retenir l’exclusion de certains groupes armés qualifiés de terroristes (djihadistes et narcotrafiquants) au profit du MNLA lequel pourtant a été le premier à décréter la partition du pays le 6 avril 2012 par la mise en place d’un gouvernement dit de l’Azawad éphémère. Il faut relever aussi le fait de transformer des négociations entre Maliens en négociations internationales, conférant ainsi à cet Accord un caractère international, ce qui rend plus complexe sa mise en œuvre. On peut également retenir la forte focalisation de l’Accord sur les régions du Nord, alors qu’il concerne tout le Mali. Par ailleurs, l’Accord ne fait référence dans aucune de ses dispositions à la Constitution du Mali qui a pourtant conféré la légitimé à tous ceux qui ont pris part aux négociations. En outre, la forte pression exercée au cours des négociations n’a laissé aucune place au dialogue direct entre Maliens (gouvernement, groupes armés et société civile).
Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord, certains problèmes sont à l’origine des blocages constatés : le manque de confiance manifeste entre les mouvements signataires et entre eux et le gouvernement est certainement à l’origine du non-respect des dispositions comme la démobilisation, le désarmement prévu pourtant 60 jours après la signature de l’Accord. Par ailleurs, l’Accord n’a pas été soumis à l’Assemblée nationale pour son appropriation par le peuple, car il s’agit bel et bien d’un accord international. En plus, l’insécurité grandissante occasionne des pertes en vies humaines et en matériels pour un pays déjà fragile et ce malgré la présence des forces nationales, étrangères et des mouvements armés. La perte de la souveraineté de l’état sur plus de 2/3 du territoire national, laissés ainsi à la merci des terroristes et des bandits de toutes sortes a conduit les populations à l’exode.
Malgré cette situation, on peut noter que des efforts louables ont été entrepris dans le processus de mise en œuvre de l’Accord. On peut citer, entre autres, la mise en place de structures de mise en œuvre et de suivi de l’Accord ; la Commission vérité, justice et réconciliation ; l’organisation de la Conférence d’entente nationale ; l’adoption des textes législatifs et règlementaires relatifs au code des collectivités, à la régionalisation, au code électoral, au DDR, à la refondation des Forces armées et de sécurité du Mali, à la Réforme du secteur de la sécurité et les textes relatifs à l’intégration des combattants.
Par souci de recherche de la consolidation de l’unité politique et la cohésion sociale en vue d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord, le gouvernement et ses partenaires ont consenti la mise en place des Autorités intérimaires, des Collèges transitoires, du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC) et de la création de nouvelles régions, sans que ces dispositions soient explicitement prévues dans l’Accord.

L’Essor : Dans son discours à la Nation à l’occasion du 22 septembre dernier, le président de la République a laissé entrevoir l’éventualité de réviser certaines dispositions de l’Accord tout en conservant son esprit. Qu’en pensez-vous?
Ahmed Mohamed Ag Hamani : De mon point de vue, le président de la République, dans son adresse à la Nation le 22 septembre 2019, n’a pas remis en cause l’Accord, mais a suggéré d’examiner les problèmes de blocage de sa mise en œuvre, afin d’y apporter des solutions dans le cadre du Dialogue national inclusif envisagé.
Par ailleurs, l’Accord lui-même, en son article 65, prévoit les conditions de sa prévisibilité. Par conséquent, sa révision ne doit pas être considérée comme une surprise encore moins une remise en cause dudit Accord.
Aussi le président de la République en disant cela ne fait que respecter les dispositions prévues dans l’Accord et exprimer son engagement irréversible pour la mise en œuvre de ce texte en l’inscrivant dans l’Accord politique de gouvernance en même temps que la révision de la Constitution avant l’élaboration et la validation des Termes de référence du Dialogue national inclusif.
Nous trouvons donc injustifié, sur cette base, la suspension de la participation de la CMA non seulement au Dialogue national inclusif mais aussi au Comité de suivi de l’Accord. Ce n’est ni constructif, ni démocratique.

L’Essor : Quelle analyse faites-vous aujourd’hui de la situation sécuritaire dans notre pays, singulièrement dans les Régions de Mopti et de Ségou ?
Ahmed Mohamed Ag Hamani : Vous parlez seulement des Régions de Mopti et de Ségou ? Comme si l’insécurité n’existe seulement que dans ces Régions. Pourquoi vous ne citez pas les autres Régions du Mali dont Taoudénit, Tombouctou, Gao, Ménaka, Kayes, Kidal, Koulikoro, car aujourd’hui les terroristes sont implantés partout au Mali. Au niveau de la Coalition, nous nous sommes prononcés depuis fort longtemps contre la distinction faite entre l’insécurité au nord, au centre et au reste du Mali.
C’est regrettable de tomber dans le piège de nos ennemis qui consiste à faire croire que l’insécurité au nord, au centre du Mali et au Burkina Faso sont des phénomènes différents. Le problème de l’insécurité dans le Sahel est global, donc il faut y trouver une solution globale.

L’Essor : Le chef de l’Etat a récemment nommé son haut représentant pour le Centre, en la personne de l’ancien président de la Transition, le Professeur Dioncounda Traoré. Que pensez-vous de cette nomination ?
Ahmed Mohamed Ag Hamani : Je pense que si le président de la République, en plus de tous les mécanismes dont il dispose, a procédé à cette nomination, c’est parce qu’elle se justifie pleinement pour lui.
Si je peux me permettre, le président de la République, certainement dans son appréciation, même si ces missions relèvent de l’administration régionale et locale, a dû tenir compte de la déliquescence desdits services. Face à la situation dramatique qui prévaut, il faut rechercher toutes les solutions qui pourraient apporter l’apaisement. Aucune initiative heureuse n’est à négliger pour sauver le Mali.
Enfin, le président de la République ayant fait son choix dans le cadre de ses prérogatives régaliennes, il ne m’appartient pas de faire des commentaires.

L’Essor : Quelles sont vos attentes par rapport au Dialogue national inclusif, dont l’organisation dans les communes, cercles, régions, ambassades et consulats vient de s’achever ?
Ahmed Mohamed Ag Hamani : La Coalition a contribué à chaque étape du processus du Dialogue national inclusif en faisant des propositions sur le format et le contenu, ainsi que sur son chronogramme y compris les parties prenantes. Il convient de souligner que la Coalition, tout en réaffirmant sa participation, insiste sur le caractère hautement politique du dialogue axé sur une stratégie commune déclinée sur trois points fondamentaux indissociables; à savoir : le recouvrement de l’intégrité territoriale ; la restauration de la sécurité sur le territoire national ; le rétablissement de l’autorité de l’état sur l’ensemble du territoire par le redéploiement effectif d’une administration dotée de moyens lui permettant d’assurer correctement ses missions régaliennes. Toutes les autres questions politiques, institutionnelles, juridiques, économiques, sociales et culturelles découleront de ce triptyque.

Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ

Source: L’Essor-Mali