Réformes institutionnelles, Assises nationales de la Refondation (ANR), dialogue sociale, lutte contre la corruption et la délinquance financière, actions gouvernementales… Ce sont là, entre autres, sujets abordés, par Ibrahim Ikassa Maïga, ministre de  la Refondation de l’Etat chargé des relations avec les institutions. Membre du comité stratégique du M5, cadre de l’URD, M. Maïga est le « Monsieur Refondation » de l’actuelle équipe gouvernementale. Il est en terrain connu puis qu’il a été un observateur avisé de la scène  politique pendant de longues années. Aussi, a-t-il été un des acteurs du mouvement qui a conduit  au changement. Homme de conviction,  Ibrahim Ikassa Maïga  est dans son jardin  au département  de la Refondation. Où il a déjà initié de nombreux chantiers dont l’objectif est de remettre le Mali sur pied. Interview !

 L’AUBE : Le Gouvernement s’est engagé dans un vaste programme de réformes d’ici à la fin de la Transition. Peut-on savoir les Axes prioritaires de ce programme ?

Ibrahim Ikassa Maïga : Le plan d’actions du Gouvernement, adopté le 2 août 2021, par le Conseil National de Transition (CNT) est bâti sur des besoins phares du Peuple malien.

Ainsi, au plan sécuritaire, il y a les besoins de réformes profondes et structurelles pour aboutir à l’organisation d’élections crédibles, transparentes, sincères et acceptées de tous.

Au plan judiciaire, il y a un besoin de justice. Et là également, force est d’admettre que la Justice passe par le redressement de la Gouvernance, la lutte contre la corruption et l’impunité.

Ensuite, les besoins du Peuple malien porte sur la satisfaction de la demande sociale.

C’est ce qui caractérise le plan d’actions du Gouvernement.  Et le passage obligé pour satisfaire tous ces Axes prioritaires c’est le changement. Un changement de cap dans tous les aspects de la vie de la Nation.  Pour cela, le moyen juridique qui nous est offert, ce sont les Reformes.

Par ailleurs, les Maliens se sont toujours rendu compte de ce besoin de réforme ; d’où, la multiplication des ateliers, séminaires, fora, Etats Généraux, Assises, une Conférence d’attente nationale autour de l’Accord d’Alger pour la paix. Mais, de façon plus globale, après la crise postélectorale de 2018, la demande forte de l’Opposition était axée sur la tenue des Assises nationales. Donc, un dialogue national inclusif à l’actif de tous les Maliens pour parler des problèmes du Mali et pour pouvoir changer de cap, parce que le Système que nous avions depuis plus de trois (3) décennies a été largement éprouvé et a montré ses limites. Il va falloir changer d’approche pour mettre les Maliens autour de la table pour faire des propositions de réformes à effectuer. Ce dialogue national inclusif a eu lieu en décembre 2019, mais une bonne partie des forces politiques et sociales n’y ont pas participé parce que la volonté politique n’était pas suffisamment affirmée du côté des Autorités de l’époque. L’exigence était d’insérer le caractère obligatoire, exécutoire, des Résolutions et Conclusions que les Maliens, prise de partout, auront prisé au cours de ces échanges. Le Régime de l’époque avait refusé. Malgré cela, le DNI (ndlr : Dialogue National Inclusif) avait posé le bon diagnostic. Mais, les Résolutions et Recommandations établies n’ont jamais été prises en compte ou appliquées. C’est ce qui a cristallisé les positions, les oppositions se sont multipliées. Finalement, on a abouti à une crise postélectorale, celle d’avril 2020, Cela, simplement parce que les Recommandations fortes du DNI et de la CEDEAO (après les contestations des élections de 2018) n’ont jamais été appliquées. Nous sommes tombés, alors, dans les contestations électorales lors des élections. Cela n’était que le point d’orgue de la crise qui couvait. Comme le dit le Premier Ministre, Dr Choguel Kokalla Maïga, la crise électorale de 2020 n’était que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà plein. Au fait, les Maliens ont fait leur part de travail en pointant les dysfonctionnements et les insuffisances du système pendant les 30 dernières années en faisant des propositions concrètes. Je me souviens des Assises sur la Décentralisation, sur le Foncier, l’Education, la Justice, et. Les réformes  de la « commission de Daba Diawara » sur la Constitution et les Institutions n’ont pas eu de suite. Ensuite, des Comités d’Experts ont planché sur les Réformes de la Constitution.  Et ce fut sans suite également. Donc, il y a eu beaucoup de propositions en termes de Réformes. Il fallait juste une volonté politique ferme de prendre en charge et d’opérationnaliser ces Réformes. Alors, les Réformes se font plus que jamais sentir aujourd’hui.

 A l’heure actuelle, qu’est ce qui a été fait dans ce sens ?

Déjà, beaucoup de choses ont été faites hors plan d’actions du Gouvernement. Vous savez quand on venait, il y avait une grève illimitée de l’UNTM qui se profilait à l’horizon. Il a fallu mettre les bouchées doubles pour éteindre ce feu à travers la satisfaction de certaines revendications dont l’harmonisation de la grille indiciaire de tous les Agents qui émargent à la Fonction Publique. Et cela n’est que justice. Nous savons que les Enseignants, à travers la synergie, sont en mouvement. Mais cela est soit juste une incompréhension soit une preuve d’impatience de leurs parts. Les Enseignants rapprochent au gouvernement de vouloir remettre en cause le fameux Article 39… En effet, le Gouvernement n’a jamais remis en cause la légalité de l’Article 39 qui accorde des avantages aux Enseignants. Ce que le Gouvernement a dit est que cela ne se répercutera pas sur les grilles salariales. Mais ça se répercutera autrement en termes d’allocation, d’indemnités et d’autres primes…  Il faudrait de la patience, il faut mettre bout à bout toutes les incohérences et incongruités, promesses mirobolantes et concessions irréalisables que le Gouvernent IBK. Je dis cela, parce que chaque fois qu’il y a eu une pression des Syndicats, ça coïncidé avec une pression politique et de la rue. Et, pour éviter la jonction des pressions politiques, sociales et syndicales, le Gouvernement d’alors a procédé les  par la politique de division en cédant aux Syndicats sans tenir compte des réalités.  Ç’a été le cas des Enseignants ou le Gouvernement, par crainte d’une jonction entre ceux-ci et le M5-rfp, a pris des engagements qu’il savait pourtant irréalisables.  C’était plus politique qu’autre chose. C’est après la chute du Régime d’IBK que les Enseignants ont eu gain de cause. Donc, avec les forces du changement que l’application de certains Accords a commencé. L’harmonisation de la grille est l’alternative crédible pour la satisfaction des doléances de tous les travailleurs.

Et pour revenir aux Réformes, qu’est-ce qu’on peut encore retenir depuis notre arrivée aux affaires ?

Il y a aussi la réduction du train de vie de l’Etat. C’est ce qui nous a permis de nous recentrer sur nous-même malgré qu’il y a eu des suspensions de la Communauté internationale. On a fermé des canaux pour nous concentrer sur l’essentiel. Les sanctions n’ont pas eu l’effet escompté de mettre une pression politique sur nous. Et, aujourd’hui, beaucoup de partenaires qui demandent à revenir parce qu’ils ont vu le sérieux avec lequel la gestion est assurée. Nous avons pu faire les examens au niveau des différents ordres de l’enseignement et préparons la prochaine rentrée scolaire en vue. Le crédit de ce Gouvernement est d’avoir pu adopter un Plan d’actions à moins de six semaines. Les autres prennent plus de temps entre deux (2) mois et deux (2) années. C’est un exploit. Il y a une montée en puissance des Forces armées et de sécurité malgré le retrait de certains partenaires. Tous les Ministres sont quotidiennement sur le terrain pour suivre les actions et l’exécution des activités. Aucune Région n’est laissée, de Kidal à Koulikoro.

En termes de vision politique, c’est calé et précis. Nous savons ce que nous voulons et nous proposons. Nous sommes à la recherche de consensus. Le Premier Ministre est allé à la rencontre de tout le monde (Syndicats, Acteurs politiques et de la Société civile, Personnalités).

Sur l’Accord d’Alger, une nouvelle approche est en cours pour plus d’inclusivité avec tous les Groupes et les Partenaires internationaux. On a arrêté avec les immixtions de la Communauté internationale. Le DDR a connu une évolution, les Bataillons reconstitués seront bientôt opérationnels dans les zones concernées de Kidal, Ménaka et Gao.

Il y a une prise en comptes des affaites de l’Etat par ce Gouvernement. Le Président Assimi Goïta et le Premier Ministre Choguel Kokalla Maïga ont une vision claire de ce qu’il faut faire pour le pays. Les deux travaillent en symbiose et coordonnent l’activité gouvernementale. Et c’est ça le plus important !

 La lutte contre la corruption et l’impunité qui est à la UNE de l’actualité. On voit qu’il y a beaucoup de structures de contrôle pour peu de résultats. Est-ce qu’il y a des reformes qui sont prévues à ce niveau également ?

En si peu de temps, les actions menées sont énormes. Il y a la volonté politique affirmée, à savoir d’aller jusqu’au bout dans cette lutte contre la corruption et l’impunité. Les Rapports sont là ; tout a déjà été fait. Mais, il manquait la volonté politique. Tous les Rapports qui sortent maintenant sont des dossiers qui dormaient dans les tiroirs sous l’ancien Régime. Ce régime était plus dans l’effet d’annonce en disant le Vérificateur Général, la CASCA et le Bureau du Contrôle Général d’Etat travaillent, alors qu’au bout il n’y avait pas des suites. Aujourd’hui, nous demandons qu’il y ait des suites à tous ces Rapports. Et le Garde des Sceaux a été instruit de diligenter des enquêtes.

Cet élan ne risque-t-il pas d’être estompé compromis à cause des pressions diverses ?

Pas du tout. À mon humble, les enquêtes continueront allègrement et dans le respect strict du Droit et de la Dignité de tous les enfants de ce pays. C’est-à-dire, ça ne serait pas une chasse aux sorcières. On voudrait simplement assainir notre système de gestion étatique et que ceux qui ont pillé les ressources de l’Etat rendent compte. Ce qu’il faut comprendre c’est que le travail continue, des audits continuent, peut-être que ces résultats seront connus sous le nouveau Régime. Le Ministère de la Justice a entrepris des Réformes pour pouvoir adopter l’arsenal juridique dans la lutte contre la corruption.

 Et dans les autres secteurs, où en est-on avec cet arsenal de Réformes ?

Beaucoup de Reformes sont en cours dans le domaine de l’Education concernant, par exemple, les critères de nomination des Directeurs d’Académie et de CAP. Il y a aussi la création d’une école de guerre pour permettre la formation de nos officiers qui doivent mener les Hommes sur le terrain.

 Assises nationales sur la refondation de l’Etat se préparent. Quels sont les objectifs visés par cette rencontre ? 

Comme je vous le disais tantôt, ce pays a besoin des Réformes.

Par ailleurs, nous sommes dans une crise multidimensionnelle depuis plus de 8 ans. Cette crise est arrivée parce que l’Etat s’est effondré. Cet effondrement demande à revoir tous les aspects de notre société en commençant par la Constitution, les Institutions. Est-ce que les Institutions marchent ? Même la désignation de la Cour Constitutionnelle ne répond pas aux normes par la nomination de certains de ses membres. Il faudrait aussi constitutionaliser certaines Institutions.  Avec la faillite des Instituions, nous avons fait recours aux notabilités, aux Religieux, aux femmes. Donc, il faudra donner un cadre légal à ces recours-là. Dans certains pays, comme le Ghana, les Autorités transitionnelles jouent un grand rôle.

 A propos du processus électoral, que peut-on attendre de la Transition en termes de Réformes ?

Il y a aussi la révision du système électoral avec la création d’un organe unique. Cela est souhaité par tout le monde.  En donnant à cet organe son autonomie. Il y a aussi les Réformes administratives dans les domaines de l’Administration territoriale et du fonctionnement adéquat de l’Etat. Tous les aspects doivent être revus (Sécurité, Education, Santé, Justice, Economie et Finances, etc.). Les Assises nationales en vue doivent permettre aux Maliens de savoir où ils se trouvent pour mieux pouvoir faire leur choix en termes de Réformes. Sur le caractère obligatoire, l’Etat est une continuité. L’Accord de paix est une illustration de ce fait. Si tous les Maliens sont d’accord, il faudra une application de Résolutions issues de cet Accord.

Le Gouvernement veut que ces Assises soient inclusives. Alors que des voix contradictoires s’élèvent, notamment du côté de certains partis politiques. Qu’en dites-vous ?

Ça, c’est une preuve du dynamisme de la Démocratie. Il y a un adage africain qui dit que « quand tu parles à quelqu’un et qu’il ne t’écoute pas, tais-toi et écoute-le, peut-être en l’écoutant tu sauras pourquoi il ne t’écoute pas ».  On a fait l’annonce de la volonté politique du Gouvernement d’aller vers ces assises. Avant l’organisation des élections, à regarder de près, ce ne sont que les tenants de l’ancienne majorité qui sont dans l’optique de bouder ces Assises. Ce que nous soulignons, c’est que de la tenue du dialogue national inclusif à nos jours, beaucoup de choses ont changé. Il y a eu des contestations, postélectorales qui ont conduit à des changements. Aujourd’hui, il faut refonder, bâtir le nouveau Mali. Et, là, il s’agit d’englober tous les aspects. Si on veut reformer avec tous les succès escomptés tous les domaines, tous les secteurs vitaux de la Nation et de l’Etat, il faudra tenir compte de l’expertise de tout un chacun, de tous les Acteurs des forces vives de la Nation. Faire la maquette du nouveau Mali, c’est cela le but de ces assises en conciliant tous les aspects. Les priorités des priorités vont être dégagées par la courte période de la transition.

Ensuite, le nouveau Pouvoir qui sera démocratiquement élu prendra en charge la suite des Réformes à mettre en œuvre S’il y a boycott. Notre Mali est à terre, il faudra le remettre sur pied de façon méthodique et claire.

 En cas où il y a des boycotts de ces Assises par ces partis qui contestent, que comptez-vous faire pour éviter un fiasco ?

Je ne pense pas qu’il y aura un fiasco. Nous avons discuté avec l’ensemble des forces politiques et des Représentants de la société civile. Tous nous ont dit qu’est-ce que vous attendez ? Où sont les termes de référence des Assises nationales de la refondation et de l’organe unique de gestion des élections ?  On ne veut rien imposer aux forces politiques et sociales. Il ne faudrait pas dire que c’est le Gouvernement qui va imposer ses solutions toutes faites. Il faut que l’on puisse élaborer le modus operandi ensemble : Le contenu et le sens. La frange importante de la classe politique et sociale est d’accord. Ceux qui ne semblent pas être d’accord pour le moment le sont pour des raisons subjectives, pour des calculs politiciens. Au fond, tous ces contestataires sont de l’ancienne majorité présidentielle.

Pour l’organe unique électoral, sa mise en place prendra la même procédure que la procédure ancienne ; mais, en revanche, le nouvel organe envisagé offre plus de crédibilité et de confiance.

 Certains partis politiques vous reprochent de vouloir prolonger la transition en voulant mettre en place cet organe unique ?

Je leur dis que l’une des principales revendications du M5-rfp adressée à Bah N’Daw, le 6 mai 2021, et qui ont été reconduites à la Junte militaire après les évènements du 24 mai, était le respect du délai transitoire de 18 mois. Cependant, comme on dit souvent, dans certaines situations c’est le terrain qui commande. Ce qui compte le plus c’est de redresser le Mali, le délai ne compte que lorsqu’on fait quelque chose de judicieux et de substantiel pour le Mali. On tient toujours au délai, on s’active pour faire l’essentiel avant les délais prévus respectivement par rapport aux élections générales. Pour qu’au bout l’on puisse dire que l’on n’a pas perdu du temps pour rien puisque l’on a déjà perdu 9 voire 10 mois. De ce fait, le temps qui reste doit être très précieux et utilisé judicieusement. C’est pour cela que l’on doit se mette ensemble au travail pour créer un cadre consensuel à l’issue des discussions objectives afin d’amener tout le monde autour de la table. Certes, en la matière, l’unanimité n’est pas toujours possible ; mais, une large partie de la population est prête à y participer. Pour le moment, il n’y a que quelques déclarations hostiles.

 A votre avis, le calendrier de la transition est-il tenable ?

A priori, oui. Mais toutefois, il faudra aller à l’essentiel. C’est le langage que l’on a tenu à la Communauté internationale, notamment à la CEDEAO (ndlr : Communauté Economique des Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), au corps diplomatique que le Premier Ministre a rencontré, le vendredi dernier. C’était pour leur dire d’accompagner le processus en cours puisque nous ne sommes que sur l’essentiel. Tout le monde est conscient de l’état de délitement de notre système étatique. Alors, il va falloir nous aider à le redresser au lieu de nous pousser à aller à de perpétuels, à ne pas tomber dans les mêmes pièges. Si tout le monde nous aide avec la volonté commune, c’est sûr que nous atteindrons le but, l’objectif visé.

Êtes-vous optimiste quant à la réussite de cette transition ?

Vous savez, j’y suis très optimiste.  Je suis optimiste parce que ce qui nous a manqué dans ce pays, c’était le sens du Leadership vertueux. Le Peuple malien sait ce qu’il veut ; le Peuple malien a besoin d’un Leadership vertueux, conscient ayant une vision claire. Et, aujourd’hui, ce Leadership existe avec le Colonel Assimi Goïta, Choguel Maïga, l’ensemble du Gouvernement et les forces politiques et sociales du changement. Je suis optimiste en voyant tout ce monde de Hautes personnalités, d’honnêtes Citoyens et de Maliens patriotes convaincus qui travaillent d’arrache-pied pour sortir ce pays de cette crise qui n’a que trop duré. Surtout les différents Ministres qui travaillent sur les différents chantiers. Toute l’équipe gouvernementale est sur le pont pour répondre à l’attendre du Peuple malien face à ces défis majeurs auxquels nous sommes tous confrontés. D’ailleurs, c’est l’agenda des Maliens qui compte et cet agenda sera défini par les Maliens eux-mêmes. Ce sont des Maliens qui prendront en mains les Réformes constitutionnelles et institutionnelles. C’est une question de souveraineté.  Nous y tenons beaucoup et nous croyons aussi et surtout aux capacités de sursaut national de notre Peuple.

Propos recueillis par  C H Sylla

Source: L’Aube