Auteur d’un livre intitulé “C’est possible au Mali”, Mamadou Igor Diarra, banquier adoubé par ses pairs et ancien ministre des Mines et de l’Energie puis de l’Economie et des Finances sous les présidents ATT et IBK, s’est ouvert à Africable sur ses relations avec le chef de l’Etat en exercice, ses succès et déboires. Ironisant ceux qui n’ont pas de limite d’âge politique mais qui sont incapables de transformer positivement le pays, il en appelle au renouvellement systématique de la classe politique pour sortir le Mali du guêpier. Ici et maintenant. “C’est possible au Mali”. Morceaux choisis.

M. Diarra pourquoi ce livre et pourquoi maintenant ?

Ce n’est pas évident d’écrire, ça demande du temps, beaucoup de rigueur, mais je dirais tout simplement que pour quelqu’un qui a vécu, grandi au Mali, qui a eu la chance d’étudier, de vivre dans un certain nombre de localités et surtout de travailler dans les secteurs comme les banques, d’avoir eu le privilège de gérer des postes de responsabilités et eu une carrière gouvernementale, c’était utile de partager.

Selon vous, qu’est-ce qui est possible au Mali ?

J’ai choisi ce titre après beaucoup d’hésitations, parce que d’abord on peut l’analyser au passé, au présent et au futur. Quand vous regardez mon itinéraire, on va dire que c’est atypique. Naitre dans un pays très froid à moins 40° et venir pendant son jeune âge au Mali, être intégré, vivre dans le terroir, faire l’école, avoir eu le privilège de travailler à la tête des plus grandes banques et connaitre son pays, de Diboli jusqu’à Taoudéni en passant par plusieurs localités, plusieurs catégories socioprofessionnelles, je crois que j’ai un privilège qui m’a permis par la suite d’occuper de très hautes fonctions dans le gouvernement.

Y a-t-il finalement un rêve malien à l’instar du rêve américain ?

Je pense que c’est le cas. C’est la preuve que ce n’est pas seulement aux Etats-Unis qu’on peut rêver. Donc je disais que cela a été possible au Mali. Le Mali a récemment connu beaucoup de crises, mais quoi que l’on dise, nous avons tenu et nous tenons encore bien difficilement. Cette résilience a été possible, c’est toujours possible puisque nous sommes encore dans les difficultés. Enfin je suis très optimiste à certaines conditions : nous pouvons effectivement nous en sortir et envisager un avenir beaucoup plus radieux parce que nous avons un pays qui a énormément d’atouts, un pays qui a énormément de richesses et qui a aussi une jeunesse qui vit et qui a des attentes.

Dans votre livre vous régler vos petits comptes avec la gouvernance IBK ou même le président IBK, est-ce que vous avez entendu parler de certaines de ces récriminations ?

Ce sont des classiques dans notre société. Nous sommes dans un pays où des gens aiment polémiquer, mais, en réalité, il n’en est rien. Entre le président de la République et moi, il y a des relations même affectives mais il y a eu aussi des relations professionnelles et on ne peut pas mélanger les deux.

D’abord, j’assume pleinement ma part de responsabilité dans son bilan, parce qu’il m’a confié le ministère de l’Economie et des Finances pendant un peu plus d’un an. J’ai eu à poser sous sa conduite des actes forts qui ont servi au pays que j’ai tenus à saluer dans ce livre.

Maintenant qu’on ne puisse pas dire ce qui n’a pas marché ou ce qui m’a empêché de faire telle chose ou telle autre, il faudrait bien qu’on sorte de cela au Mali. Ce n’est pas la peine de croire qu’à chaque fois qu’on dit quelque chose que cela soit dirigé contre une personne. Le président de la République est une institution qui mérite du respect et au-delà de ça, j’ai dans mon éducation un certain nombre de principes qui m’obligent à porter ce respect au président. Je le lui ai dit et mieux il a été la première personne à qui j’ai envoyé mon livre.

N’empêche, votre départ du gouvernement continue de susciter des interrogations. Est-ce une éviction ou une démission ? Des Maliens s’interrogent, alors laquelle des deux ?

 

Vous choisirez celle que vous voudrez. D’autres confrères à vous m’ont posé la même question, mais ce que les gens doivent savoir c’est qu’être dans un gouvernement n’est pas un contrat à durée indéterminée. J’ai plusieurs fois rappelé cela. Moi j’estime tout simplement qu’il m’avait confié une mission. Cette mission s’est arrêtée un jour. Les raisons qui ont provoqué cela sont nombreuses.

J’ai été ministre de l’Economie et des Finances dans un contexte très difficile. Il fallait régler urgemment des situations sur la table. Il y a eu les accords pour régler les salaires des fonctionnaires, des questions de finances chez les militaires, le retour des déplacés. Tout était urgent. Il fallait faire des choix. Il fallait non seulement assainir, mais aussi poser les jalons d’une croissance parce voyez-vous s’il n’y a pas de richesses vous n’avez tout simplement rien à partager. Donc à un moment, il a été considéré que ma mission était terminée à ce ministère et on m’a proposé un autre ministère qui, j’ai estimé, n’est pas fait pour ça. Donc vraiment, il y a aucun problème. Je suis simplement contre les politiciens professionnels, c’est-à-dire ceux qui font de la politique leur métier.

Vous affirmez que 85 % des Maliens sont déçus de Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Kéita. Est-ce que vous parlez de la nécessité du changement générationnel, de rajeunissement de la classe politique ?

Moi, je pense que c’est une exigence absolue. Je dirais même que c’est une urgence. Je ne pense pas que ça soit normal que la moyenne d’âge en Afrique du dirigeant soit plus de 65 ans alors que l’âge de départ à la retraite dans la plupart de nos pays est de 60 ans. Donc on a l’impression que la politique devient une nouvelle activité au-delà de la retraite. Alors beaucoup plus sérieusement c’est un métier très difficile qui demande beaucoup d’énergie. Donc je pense qu’il faut que les jeunes occupent beaucoup de postes de fonctions étatiques.

Les jeunes sont-ils prêts à prendre les rênes du pouvoir ?

Je vous assure qu’il y a beaucoup de talents dans notre pays, des jeunes compétents à l’intérieur comme à l’extérieur qui, quand vous échangez avec eux, vous donnent tout de suite l’envie de leur passer la balle.

 

Transcrit par Amadou Kodio

 

Source: La Lettre du Mali