Les tensions commencent à baisser au centre du Mali depuis la signature du cessez-le-feu entre les milices peulhe et dogon qui envisagent, dans les jours à venir, conjuguer leurs efforts pour combattre l’ennemi commun. C’est en tout cas ce qu’a déclaré Marcelin Guengueré dans une interview qu’il nous a accordée hier, mercredi 10 juillet 2019. Aussi, a-t-il invité les autorités à faire des leaders des groupes d’autodéfense leurs interlocuteurs pour la résolution de cette crise. 

 

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Le Pays : Vous êtes le porte-parole du mouvement d’autodéfense Danna Ambassagou.  Quelle est l’évolution de la situation sécuritaire au pays dogon ?

Marcelin Guengueré

La situation commence à nous donner espoir. Nous constatons que notre décision de cessez-le-feu est en train d’être mise en œuvre. Depuis la signature de ce document, nous avons demandé à ce que chacun de nous observe un moment de retenu, chose qui est, de nos jours, salutaire. Nous avons besoin de cela aujourd’hui. Et j’espère que la situation va beaucoup s’améliorer si chacun en fait de sa priorité.

Vous venez de parler de la signature d’un cessez-le-feu entre votre mouvement, Danna Ambassagou, et la milice peule dirigée par Sékou Bolly. Peut-on donc s’attendre à des actions communes des milices dogons et peulhes ?

C’est vers ça que nous sommes en train de converger, parce que je crois qu’il faut aller d’un niveau restreint pour élargir le cercle. Nous nous sommes entretenus avec plusieurs milices peulhes dont celle de Sékou Bolly. Chacun de son côté, Danna Ambassagou et Sékou Bolly, est en train de convaincre ses éléments pour qu’ils comprennent l’objectif du cessez-le-feu, la paix et comment se l’approprier. Je pense qu’il faut d’abord désarmer les cœurs. Pour cela, nous sommes en train de responsabiliser des gens pour que chacun sensibilise ses combattants, d’abord afin que nous puissions aller vers une force mixte. Nous avons jugé nécessaire à ce que chaque groupe s’organise en son sein, fasse passer le message de paix en son sein, fasse passer les propos de tolérance et de cohésion sociale en son sein, avant   d’aller vers l’autre groupe. Les Peulhs ont plusieurs groupes, ils vont s’entendre entre eux et faire un groupe commun qui va se retrouver avec le groupe commun des Dogons, Danna Ambassagou. Quand nous allons nous retrouver, nous allons former un groupe homogène qui va accompagner les forces armées et de sécurités maliennes. Dès que nous formons ce groupe dogon-peulh, tous ceux qui ne seront pas de ce groupe, Dogons comme Peuls, seront considérés   comme des ennemis de la paix et seront combattus. Peuls et Dogons, nous allons, désormais identifier notre ennemi commun et le combattre avec l’appui des forces armées et de sécurités maliennes.

Nous avons appris que vous avez rencontré Sékou Bolly, ici à Bamako, en début de cette semaine. Cette rencontre entre-t-elle dans le cadre de la concrétisation de la paix et du renforcement de la cohésion sociale entre vos deux communautés ?

Depuis une semaine, je rencontre Sékou Bolly. Nous avons échangé sur la situation dans notre zone et chacun est engagé pour le retour de la paix. Je suis convaincu d’une chose : quand nous nous donnons la main, on peut ramener la paix au pays dogon.

Y’a-t-il une entente entre Sékou Bolly et Youssouf Toloba ?

Youssouf Toloba, le chef d’État-major de Danna Ambassagou, est un homme paix.  Il a toujours prôné la paix, mais on lui impose la guerre qu’il n’aime jamais. Sékou Bolly est, aujourd’hui, un maillon essentiel autour de Toloba pour mettre en place véritablement une armada pour le dénouement de la crise. Je pense que la solution, c’est avec les véritables combattants, et non avec les associations des communautés. Vouloir faire le dialogue à travers ces associations est un folklore. La solution se trouve entre la main des chefs de guerre, ce sont eux les vrais acteurs. Nous sommes en train d’aller vers une plateforme qui fera face à l’ennemi commun. Nous connaissons déjà cet ennemi, mais nous allons très bientôt l’isoler pour le combattre.

Vos éléments sont massivement sortis pour accueillir le Premier ministre et sa délégation. Lui avez-vous fait savoir vos préoccupations pour la paix au pays dogon ?

Nous avons demandé, au niveau de Danna Ambassagou, de sortir massivement pour accueillir le Premier ministre. Nous sommes d’abord, nous-mêmes, la population du pays dogon, nous sommes culturellement des chasseurs et cette culture voudrait que les chasseurs soient au-devant pour accueillir les autorités. Avec cet accueil, les Chasseurs ont montré au Premier ministre et à sa délégation qu’ils sont chez eux, qu’ils ne se sont pas cachés dans les buissons. Nos éléments ont montré qu’ils sont des hommes favorables à la paix et au dialogue. C’est ce signe que nous avons voulu donner. Nous ne sommes pas cachés, nous sommes chez nous et nous ne ripostons qu’en cas d’attaque. Nous sommes véritablement des artisans de la paix, nous ne voulons que la paix et nous implorons l’implication de toutes les bonnes volontés pour que cette paix soit une réalité. Mais il faut que les gens avec qui nous dialoguons soient sincères dans leurs propos, dans leurs engagements, car il n’y a jamais de paix sans sincérité. Il faut que tout le monde sache que la paix ne se décrète pas, mais elle se mérite. Elle se mérite par le dialogue. Une paix durable ne s’acquiert pas par la force. Il nous faut, aujourd’hui, désarmer les cœurs avant de désarmer les mains, car les mains ne sont qu’au service du cœur. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut d’abord convaincre les chefs de guerre qui ont les mains sur la gâchette afin qu’ils rendent, eux-mêmes, les armes et dire, main dans la main, qu’ils se sont trompés. C’est la bonne manière d’enterrer cette crise.

Maintenant que vous avez signé le cessez-le-feu, qu’allez-vous, milices dogons et peulhes, faire pour renforcer la cohésion sociale détériorée entre vos deux communautés ?

Aujourd’hui, les chefs des combattants ont compris qu’il faut se donner la main pour combattre l’ennemi commun, au lieu de faire des guerres qui nous retardent. Il faudrait que les innocentes populations qui sont dans les hameaux comprennent que leur salut est dans la convergence des groupes dogon et peulh.

Quel appel avez-vous à lancer au gouvernement du Mali pour la sécurisation des populations et leurs biens ?

Je reconnais que le gouvernement a de grands soucis pour que la paix revienne, mais son approche n’était pas bonne. Nous avons décidé de l’aider et nous l’invitons à nous faire confiance, à nous accompagner dans cette démarche que nous sommes en train d’entreprendre. Nous l’invitons à prendre des initiatives en collaboration avec nous pour qu’ensemble, nous puissions combattre l’ennemi commun. Le gouvernement, lui-même, ne peut pas. C’est nous qui avons, à un moment donné, assuré son rôle en sécurisant des personnes et leurs biens. Aujourd’hui, nous sommes prêts, Peulh et Dogon en faisant un même bloc avec les Famas, à traquer et à bouter hors du Mali tous les ennemis de la paix. Par conséquent, il faut que le gouvernement soit à notre écoute, qu’il soit disponible à nous accompagner dans notre démarche pour la paix.

Le Premier ministre a-t-il compris votre message ?

Je me suis, lors de cette visite, rendu compte que le Premier ministre est un homme de dialogue, un homme de paix. Il a une très bonne écoute. C’est quelqu’un qui a le souci de réunir ces deux peuples, dogon et peulh, car lui-même, il se sent Dogon. C’est un homme disponible, ouvert, et nous allons véritablement l’aider dans son combat pour la sécurité. Je suis très sûr qu’ensemble, nous allons relever les défis de la paix et de la cohésion sociale.

Réalisée par Boureima Guindo

Le Pays