L’ancien diplomate de carrière, devenu Directeur du Centre d’Etudes Francophones en Chine, Pr. Yoro Diallo revient, dans une interview qu’il nous a accordée en marge de la 8è réunion du forum des Think Tanks Chine-Afrique, sur les enjeux et défis de l’adhésion du Mali à « l’Initiative la Ceinture et la Route ». Selon lui, l’Etat malien se doit de monter des projets sérieux, porteurs et profitables à la population pour espérer tirer plus de bénéfices de ce projet de coopération internationale.

‘Indépendant: Vous venez de prendre part à la 8è réunion du Forum Chine-Afrique des Think Tanks. Que pensez-vous de la tenue de cette rencontre actuellement ?

Yoro Diallo :Cette rencontre est effectivement la 8è de ce genre. La réunion des Think Tanks Chine-Afrique a été créée en 2011 à Hangzhou et j’ai eu la chance de participer à cette première édition. Elle a, depuis, évolué.

Elle permet, non seulement aux intellectuels, académiciens, enseignants, chercheurs africains et chinois de se retrouver pour examiner la situation de coopération universitaire, scientifique et culturelle entre la Chine et l’Afrique, mais aussi de faire des projections et propositions aux grands acteurs du Focac.

L’Indépendant : Selon vous, quels doivent être les domaines prioritaires dans lesquels l’Afrique doit s’inspirer de l’exemple chinois pour accélérer son développement ?

  1. D:J’ai un ami chinois qui me disait un jour : « Professeur, est-ce que vous ne pouviez pas enseigner le patriotisme chez vous ? » Nous avons besoin de patriotisme, de civisme en Afrique. C’est par-là que nous retournerons à nous-mêmes en descendant dans notre propre histoirepour retrouver notre  » Moi « , notre identité. L’Africain a besoin de retrouver sa propre identité. Sans notre propre identité, nous devenons des êtres hybrides.

C’est en revenant à nous-mêmes que nous pouvons aller vers le développement en nous inspirant, formant, participant au mouvement technologique et structurel sur le plan international, en empruntant notre voie.

À ce sujet, un grand chercheur, Samir Amin disait que  » la différence entre l’Afrique(il a cité particulièrement le Mali et l’Egypte) et la Chine est que la Chine est rentrée dans la mondialisation avec sa propre identité« . Nous, non. C’est en cela que nous sommes interpellés pour réussir dans la mondialisation.

L’Indépendant: L’une des thématiques portait sur l’alignement de l’initiative « la Ceinture et la Route » à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Pensez-vous que cette liaison apportera aux Africains la prospérité voulue ?

 Y.D: D’abord, « la Ceinture et la Route », communément appelée  »Belt and Road Initiative » est un projet qui a été lancé en 2013 par le président chinois Xi Jinping. Lorsque vous jetez un regard rétrospectif sur les activités et engagements des dirigeants chinois – les 5 générations de dirigeants chinois, de Mao Zedong à Xi Jinping – chacun, dans sa gouvernance, a parlé de partage. La Belt and Road est un projet qui fait partie des principes de la philosophie chinoise de partage de bonheur. C’est-à-dire le Chinois, dans sa philosophie, pense que vous ne pouvez pas être heureux si votre voisin est malheureux. Votre bonheur est lié à celui de votre voisin. Vous êtes riche, faites en sorte que votre voisin le soit. Et votre richesse aura son sens. C’est ainsi que « la Ceinture et la Route » a été initiée par le président Xi Jinping en 2013.

Il s’agit notamment de construire des routes, des infrastructures dans les domaines qui puissent permettre la connexion entre les villes, pays et continents dans tous les secteurs de la communication (terrestre, arienne et navale). Mais aussi de faire en sorte que les peuples se connectent. Cela peut favoriser l’interconnexion culturelle, économique et la connexion sur le plan commercial.

Nous pensons que lorsqu’en Afrique-le besoin est là parce qu’il y a pas de développement sans infrastructures- nous avons des infrastructures qui intègrent le programme de l’Agenda 2063 de l’Union Africaine, le croisement et la réalisation de cet Agenda et  » la Ceinture et la Route  » seront pour le bonheur des peuples africains et chinois voire de tout le monde entier. C’est ce que la Chine a appelé la communauté de destin pour l’humanité.

L’Indépendant: Le Mali a adhéré, le 25 juillet dernier, à cette initiative. Que pensez-vous de cette adhésion de notre pays qui rejoint ainsi une quarantaine d’autres pays africains ?

 

Y.D: Cette adhésion est un défi parce qu’il ne s’agit pas simplement de signer un mémorandum mais de proposer des projets sérieux qui peuvent profiter aux populations. Actuellement, c’est ce que les Chinois demandent. J’étais diplomate en 2015 lorsqu’on préparait le Sommet de Johannesburg, un responsable chinois nous a dit:  » la Chine va proposer 60 milliards de dollars pour le développement de l’Afrique. Ce n’est pas un cadeau. Pour y accéder, il faut faire des propositions concrètes, sérieuses et bénéfiques pour la population « .

Je pense que c’est à ce niveau où réside le défi du Mali. Il faut que le Mali, d’abord, connaisse la Chine parce qu’être un ami historique ne suffit pas. Notre pays est un ami historique de la Chine et a été constant dans ses relations. Mais qu’est-ce que le Mali a concrètement proposé à la Chine qui puisse être profitable à la population malienne que la Chine peut faire ? Les Chinois, eux-mêmes, se demandent : est-ce que le Mali profite de cette amitié ?

Je pense que cette adhésion est une occasion pour les responsables maliens de se poser la question : que devons-nous faire pour profiter de ce grand projet? C’est en cela que tous les services de l’Etat sont interpellés. Il ne s’agit pas d’avoir un projet de gauche à droite mais il faut que l’Etat construise des projets porteurs… des routes viables économiquement, commercialement et utiles à la population.

L’Indépendant: Qu’est-ce qu’elle peut changer ?

Elle peut apporter des changements en ce sens que la Chine a proposé à beaucoup de pays de se mettre ensemble pour faire des propositions concrètes en matière d’infrastructures qui puissent les servir. Nous avons, par exemple, le projet de chemin de fer Bamako-Dakar (obsolète aujourd’hui), celui de Conakry-Bamako, des projets de routes (trans-sahariennes) et autoroutes. Regardez ce que la Chine a réalisé en Afrique de l’Est : le chemin de fer Mombassa -Naïrobi, les rails du standard international. Le Mali, qui est un pays continental, par rapport à la Guinée, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, peut réaliser des infrastructures qui seront utiles pour la population non seulement malienne mais de toute l’Afrique de l’Ouest.

Ces infrastructures vont favoriser tous les domaines, économiques, commerciaux et culturels de la vie. C’est le brassage des hommes, des peuples. Les activités commerciales et économiques s’intensifieront. Lesquelles auront une influence sur l’agriculture, l’élevage et la pêche. Le Mali est un pays de ces grandes activités.

Dans le domaine agricole, il s’agit de mettre en place des grands projets….. Le Mali a des potentialités que nous pouvons explorer, exploiter avec la population et même en commun avec certains pays dans le cadre de l’initiative  » la Ceinture et la Route« . Je pense que si nous arrivons à bien travailler sur les projets, nous pouvons y gagner beaucoup.

L’Indépendnt: Quelle posture l’Etat doit-il adopter pour mieux bénéficier de ce projet ?

Y.D:L’Etat doit être entreprenant. En clair, avoir des cadres bien formés qui puissent bien monter les projets et les conduire à bon port. Il ne s’agit pas simplement de parler, se réunir, écrire des beaux rapports mais d’être concret, précis et pragmatique. C’est en cela que nous serons utiles à nous-mêmes et à notre population.

Réalisée par Moussa Sayon CAMARA, 

Correspondant en Chine

Source: l’Indépendant