Près d’un tiers des habitants de ce pays d’Afrique centrale vit sous le seuil de pauvreté, malgré ses immenses ressources en pétrole et en diamants.

« Nous étions tous au courant » : les Angolais n’éprouvent aucune surprise après la publication d’une enquête internationale accusant la fille de l’ex-président Jose Eduardo dos Santos d’avoir « siphonné les caisses du pays ». Beaucoup souhaitent que ces investigations débouchent sur une lutte contre la corruption « dans tous les secteurs » du pays.

La justice angolaise a promis d’utiliser « tous les moyens possibles » pour ramener en Angola Isabel dos Santos, surnommée « la Princesse », qui vit essentiellement entre Londres et Dubaï, pour y être jugée, après les révélations des « Luanda Leaks » par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ).

« Cette enquête est bien tardive. Nous savions tous que la fortune d’Isabel dos Santos était bâtie sur l’influence de son père et le détournement des fonds publics », témoigne Geraldo Dala, un professeur de philosophie. « Comment une femme de 30 ans aurait pu devenir la plus riche fortune d’Afrique autrement ? »

Isabel dos Santos, 46 ans, qui fut proclamée comme la première milliardaire d’Afrique par le magazine américain Forbes en 2013, dénonce une « chasse aux sorcières », destinée à les discréditer, elle et son père. Pendant les trente-huit ans de son règne (1979-12017), M. dos Santos avait mis l’économie de l’Angola en coupe réglée.

Depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2017, son ancien lieutenant, Joao Lourenço a lancé une purge de grande ampleur dans l’administration et les entreprises publiques qui a visé pour l’essentiel les proches de son prédécesseur.

« Pratique généralisée »

Mais à l’écart des néons des boîtes de nuit et de l’ombre des palmiers qui ponctuent le bord de mer de Luanda, près d’un tiers des Angolais vit sous le seuil de pauvreté, en dépit des ressources pétrolières et des pierres précieuses exportées par le pays.

« Isabel et son père ont beaucoup volé, affirme Tatiana dos Santos, une marchande ambulante de 32 ans. Notre pays manque en permanence d’électricité, des milliers d’enfants ne vont pas à l’école. Si nous sommes encore pauvres aujourd’hui, c’est à cause d’Isabel dos Santos. »

La justice angolaise soupçonne Isabel dos Santos d’avoir détourné, avec son époux d’origine congolaise Sindika Dokolo, plus d’un milliard de dollars des entreprises publiques Sonangol (pétrole) et Endiama (diamant) pour nourrir leurs affaires privées.

« Isabel dos Santos doit revenir, être arrêtée et rendre l’argent que son père a volé », s’exclame Djamila Maria Bibiana, 47 ans, qui vend des vêtements d’occasion. Elle estime que le scandale en cours est digne d’un « roman ».

L’opposition, elle, sans nier l’ampleur des détournements, estime que l’affaire tombe à pic pour le gouvernement. « Comme il ne peut pas résoudre nos difficultés, comme le chômage, il nous invente une diversion », dénonce David Mendes, membre du principal parti d’opposition, l’Unita. Pour le militant des droits humains Jeremias Dito Dali, il est « étrange » que les « Luanda Leaks » ne concernent pas d’autres figures de premier plan de la politique angolaise, soupçonnées de corruption.

Refusant toute accusation de persécution politique, le journaliste d’investigation Carlos Rosado, qui a participé à l’enquête de l’ICIJ, explique qu’il ne s’agit que d’un début : « Il fallait bien qu’on commence quelque part. Maintenant, c’est aux autorités judiciaires d’étendre le champ de leurs enquêtes à d’autres secteursOn ne peut pas s’arrêter là, à la famille dos Santos. La corruption est en Angola une pratique généralisée ».

Le Monde