Le Bureau du vérificateur général a procédé à la vérification de la gestion du Projet d’Intervention d’Urgence (PIU) Covid-19 pour s’assurer de la régularité et de la sincérité des opérations de gestion. Les travaux de vérification ont porté sur l’examen des opérations de dépenses, de mobilisation de fonds et de trésorerie effectuées au cours de la période allant de l’entrée en vigueur du Projet, le 13 mai 2020, au 31 décembre 2020, soit huit mois. Des irrégularités administratives ont été constatées et ont fait l’objet de recommandations du Vérificateur général. Quant aux irrégularités financières, d’un montant total de 1 032 162 037 Fcfa, elles ont fait l’objet de dénonciation devant le président de la Section des comptes de la Cour suprême et le Procureur du pôle économique et financier du Tribunal de Grande instance de la commune III de Bamako.

Comme le rappelle le Bureau du Vérificateur Général (BVG) dans son rapport transmis aux autorités judiciaires pour toutes suites utiles, le 11 mars 2020, l’épidémie de Covid-19 est déclarée pandémie par l’OMS qui demande des mesures de protection essentielles pour prévenir la saturation des services de soins intensifs et renforcer l’hygiène préventive. Au Mali, les premiers cas de maladie à coronavirus 2019 (Covid-19) ont été signalés le 25 mars 2020 dans un contexte marqué par l’aggravation de la crise sécuritaire.

En avril 2020, le Gouvernement a proposé un plan de prévention et de réponse à la Covid-19 estimé à 34 milliards de FCFA (57 millions d’USD) afin de répondre à l’urgence sanitaire et limiter la contagion et pour atténuer l’impact socio-économique sur les couches vulnérables et les catégories socio-professionnelles les plus touchées par les mesures de prévention.

Au 15 juin 2020, le Mali comptait 1 860 cas de Covid-19, dont 104 décès, soit un taux de mortalité d’environ 5,60% contre une moyenne mondiale de 5,51%. Suite à ce bilan sanitaire alarmant, le Gouvernement a mis en place un ensemble de mesures telles que la fermeture de toutes les frontières aux voyageurs, un couvre-feu de deux semaines, l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes et la fermeture des écoles dans tout le pays.

A la date du 21 avril 2021, sur un total de 13 246 cas de contamination recensés, on note 444 décès, soit un taux moyen de mortalité de 3,35 %, d’où une tendance à la baisse suite aux efforts consentis par le Gouvernement et ses partenaires dans la lutte contre cette pandémie de la Covid-19.

PROJET D’INTERVENTION D’URGENCE (PIU) COVID-19, C’EST QUOI EXACTEMENT ?

Pour donner à son rapport toute la pertinence requise, le BVG a effectivement pris le soin de faire la présentation assez exhaustive de ce projet. Il rappelle que le Groupe de la Banque Mondiale a créé une facilité Covid-19 pour aider les pays en développement à mettre en place une réponse d’urgence afin de réduire les impacts de la pandémie. La facilité Covid-19 de la Banque Mondiale est une réponse coordonnée au niveau mondial, mise en œuvre par les pays en développement et principalement axée sur la réponse des systèmes de santé et un soutien en cas de perturbation économique et sociale. Le Projet d’Intervention d’Urgence Covid-19 au Mali qui s’inscrit dans ce cadre, est un programme du Gouvernement de la République du Mali qui vise à renforcer sa capacité à prévenir la pandémie Covid-19, à s’y préparer et à y répondre.

Le projet comporte trois composantes : d’abord la préparation et la réponse aux situations d’urgence Covid-19, ensuite l’amélioration de l’accès aux services de soins de santé et puis la gestion de la mise en œuvre, du suivi, de l’évaluation, et la coordination.

Compte tenu de la nature de la maladie, les bénéficiaires attendus du projet sont la population en général, et notamment les personnes infectées, les populations à risque, les personnes âgées et celles souffrant de maladies chroniques, le personnel médical et d’urgence, les installations médicales et de dépistage et les organismes de santé publique engagés dans la réponse à la Covid-19.

Le Projet d’Intervention d’Urgence Covid-19 au Mali est géré par un Comité de pilotage et une Unité de mise en œuvre du projet REDISSE III ou Unité de coordination du Projet (UCP). Il est placé sous la tutelle du Ministère de la Santé et des Affaires Sociales (MSAS) et logé au sein dudit Ministère.

L’Unité de coordination du projet s’occupe des aspects fiduciaires (gestion financière et passation de marchés), du suivi et de l’évaluation, de la production et de la gestion des connaissances, de la communication, du suivi et de la mise en œuvre des mesures de Sauvegarde Sociale et Environnementale. L’Accord de financement entre le Gouvernement du Mali et la Banque mondiale a été signé le 14 avril 2020 et est entré en vigueur un mois plus tard. La date de clôture du projet est prévue pour le 30 décembre 2022. D’un coût total de 25 800 000 Usd, il est entièrement financé par l’Association Internationale de Développement (IDA) à travers : un don d’un montant de 9 500 000 DTS (équivalant à 12 900 000 Usd) et un crédit d’un montant de 11 800 000 euros équivalant à 12 900 000 Usd.

Le projet dispose d’un personnel composé de : un coordinateur de projet, un spécialiste de la gestion financière, un comptable, un spécialiste des achats, un spécialiste du suivi et de l’évaluation, un spécialiste des communications, un spécialiste de l’environnement et un spécialiste de la protection sociale. Par ailleurs, le système comptable Syscohada utilisé dans les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest est celui adopté pour le Projet. Le logiciel de comptabilité utilisé est un logiciel adapté à la gestion des projets. Il a été personnalisé pour prendre en charge la tenue des comptes du projet.

La Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM) a été désignée par le ministre chargé de la Santé pour la réception de tous les intrants acquis dans le cadre de la Covid-19. La DPM est l’organisme responsable de l’octroi de l’autorisation de mise sur le marché des médicaments. Elle effectue la surveillance et le contrôle des médicaments sur le marché en collaboration avec le Laboratoire National de la Santé (LNS). Elle intervient également en matière de contrôle des importations et des exportations des médicaments.

CONSTATS ET RECOMMANDATIONS

Les constatations et recommandations issues de la présente vérification sont relatives aux irrégularités administratives et financières. L’exécution des opérations de gestion du PIU Covid-19, au titre de la période allant du 14 mai 2020 au 31 décembre 2020, présente des faiblesses en ce qui concerne les exigences de régularité et de sincérité des dépenses. Sa gestion repose, principalement, sur la passation de marché et la gestion de la trésorerie.

La vérification des huit premiers mois de la gestion du projet révèle des irrégularités liées au non-respect des procédures, à la non-justification des avances, à la non-production des états financiers semestriels et au payement des dépenses du projet sur les fonds REDISSE III pour plus de 5 milliards de Fcfa. Par ailleurs, sur les paiements effectués sur les fonds REDISSE III par l’UCP, le montant de 215 801 935 Fcfa n’a pas encore été justifié par les structures bénéficiaires. La première irrégularité financière, portant sur le payement intégral de marchés dont une partie des livrables n’a pas été réceptionnée, concerne deux marchés dont le montant total est de 2,295 milliards de Fcfa. La mauvaise application des dispositions d’enregistrement des contrats de marchés a privé l’Etat de 196,816 millions de Fcfa dont 37 741 877 Fcfa imputables aux services des impôts. Aussi, sur la gestion du compte bancaire tenu par l’UCP, des dépenses indues ont été relevées à hauteur de 7 189 500 Fcfa en plus des dépenses non justifiées de 21 937 930 Fcfa.

Le paradoxe est que l’UCP n’a pas ouvert de compte d’intérêt avec un fonds de 3,8 milliards de Fcfa alors que cela est encouragé par la banque à travers ses fiches-produits et même exigé par le manuel d’exécution du projet. Cet état de fait a empêché le PIU Covid-19 d’avoir un revenu financier semestriel de 73 018 159 Fcfa.

D’autre part, un nombre important d’intrants Covid-19 d’une valeur de 98,19 millions de Fcfa, sortis des magasins de la DPM, ne sont pas arrivés sur les sites de destination. La faiblesse du suivi dans l’acheminement des intrants Covid-19 à partir de la DPM expose le projet au risque de détournement, ce qui peut affecter l’efficacité de ses activités.

Enfin, certains intrants réceptionnés, d’un montant de 250 millions de Fcfa, n’ont pas de trace à la DPM.

La mise en œuvre des recommandations de cette vérification permettra au Projet d’améliorer ses ressources financières de plus de 100 millions de Fcfa par an, de moraliser davantage ses dépenses et de faire gagner à l’Etat des centaines de millions de recettes fiscales sur les marchés.

IRREGULARITES ADMINISTRATIVES

Elles relèvent des dysfonctionnements du contrôle interne et se résument en ces points : l’Unité de Coordination du Projet n’a pas établi les états financiers Semestriels, a demandé le payement irrégulier des marchés Covid-19 sur les fonds d’un autre projet et a établi des contrats de marché irréguliers avec des fournisseurs.

S’y ajoutent que le représentant de la DFM du Ministère chargé de la Santé ne participe pas aux travaux de la commission de négociation des prix. La commission de réception du Projet a accepté des livraisons non conformes, l’Unité de Coordination du Projet n’a pas assuré un suivi régulier du fonctionnement de la caméra thermique de l’aéroport de Kayes Dag-Dag. Par ailleurs, le Comptable du Projet a effectué une mauvaise imputation Comptable.

Le BVG a constaté aussi que l’Unité de coordination du Projet a demandé le paiement d’un marché non entièrement exécuté. En outre, l’équipe de vérification a constaté que deux (2) contrats de marchés sont établis en anglais contrairement aux dispositions du Code des Marchés Publics. Il s’agit du contrat n°00011/C/2020/DGMP-DSP du 18 juin 2020 relatif à l’acquisition de 50 ventilateurs (respirateurs) et de 20 moniteurs, passé avec le fournisseur Général Electrique Medical Systems SCS et du contrat n°0044/C/2020/Dgmp-Dsp du 17 juillet 2020 relatif à la fourniture de produits de santé et services pour l’acquisition de 78 moniteurs et 78 défibrillateurs, passé avec le fournisseur Philips Medical Systems Nederland B.V.

L’établissement de contrats de marché dans une langue autre que le français, langue officielle du Mali, peut être source de problème d’interprétation en cas de litige lié à l’exécution du marché.

Il a été aussi constaté par le BVG que l’Unité de coordination du projet a conclu un marché avec le Bureau des Nations Unies pour les Services d’Appui aux Projets (Unops) le 25 juin 2020 qui a été payé le 1er juillet 2020 par la Banque Mondiale pour un montant de 3 497.259 USD (2 045 441 871 Fcfa) non encore totalement exécuté malgré la prorogation du délai initial.En effet, dans l’exécution du marché n°12/C/2020/Dgmp-Dsp du 25 juin 2020 pour la livraison de produits médicaux, il ressort que certains produits n’ont toujours pas été livrés à la date du 31 mars 2021 alors que le délai initial de livraison avait été fixé au 31 août 2020. Après la restitution des travaux de vérification par l’équipe à l’entité vérifiée, le 3 mai 2021, l’UCP a envoyé un deuxième avenant daté du 04 mars 2021 (établi lors de la mission) qui permet de modifier la liste et le nombre des équipements et d’étendre la durée au 30 juin 2021 alors que le marché a été passé par entente directe depuis un an pour une situation d’urgence.

RECOMMANDATIONS

RELATIVES AUX IRREGULARITES ADMINISTRATIVES

Le Coordinateur du PIU Covid-19 doit : veiller à la production régulière des états financiers semestriels ; s’assurer que les demandes de paiement des marchés Covid-19 sont faites exclusivement sur le fonds du Projet ; établir les contrats de marché en langue française uniquement ; s’assurer que le représentant de la DFM du Ministère chargé de la Santé participe aux travaux de la Commission de négociation des prix lorsque requis ; exiger du fournisseur de rendre fonctionnelle la caméra thermique de l’aéroport de Kayes ; s’assurer de l’exécution complète des marchés avant d’introduire toute demande de paiement.

La Commission de réception du Projet doit : procéder uniquement à des réceptions conformes aux spécifications techniques du marché. Le Spécialiste en Gestion Financière doit : produire les états financiers semestriels évoqués dans le Manuel d’exécution du Projet ; ne pas demander de paiement des marchés avant leur réalisation complète. Le comptable du Projet Covid-19 doit : régulariser les écritures du compte 471100 et éviter toute mauvaise imputation comptable. Le ministre chargé de la Santé doit : veiller à la présence des agents sanitaires, chargés de la surveillance des caméras thermiques, aux aéroports lors des jours de vols. Le directeur des Finances et du Matériel du Ministère chargé de la Santé doit : veiller à la participation de son représentant aux travaux de la commission de négociation des prix pour les marchés passés par entente directe.

IRREGULARITES FINANCIERES : 1 032 162 037 FCFA

Le montant total des irrégularités financières, ci-dessous, s’élève à 1 032 162 037 Fcfa.  Il s’agit de faits transmis et dénoncés par le Vérificateur général au président de la Section des comptes de la Cour suprême et au procureur de la République près le tribunal de grande instance de la commune III du district de Bamako, chargé du pôle économique et financier. Il s’agit : du payement intégral d’un marché non totalement exécuté pour un montant de 250 000 000 Fcfa ; payement de dépenses indues pour un montant de 7 189 500 Fcfa ; minoration des droits d’enregistrement des marchés et de la redevance de régulation pour un montant total de 36 094 612 Fcfa ; non-paiement des droits d’enregistrement et de la redevance de régulation sur des marchés pour un montant total de 159 074 461 Fcfa ; non-justification des avances pour un montant de 21 937 930 Fcfa ; non-mobilisation de la garantie bancaire d’un fournisseur défaillant pour un montant de 170 855 440 Fcfa ; non-ouverture d’un compte d’intérêt pour les fonds du Projet pour un montant de 73 018 159 Fcfa ; des avances non justifiées par les bénéficiaires pour un montant de 215 801 935 Fcfa ; des intrants non réceptionnés dans les régions de Kayes, Kita et Koulikoro pour un montant de 98 190 000 Fcfa.

Amadou Bamba NIANG

Source: Aujourd’hui-Mali