La multiplication d’épisodes violents dans le centre du Mali, depuis la moitié de l’année 2015, démontre à quel point la paix reste fragile. La signature de l’accord pour la paix et l’amorce d’un processus de réconciliation ont certes marqué une avancée pour le gouvernement, mais la stabilité demeure précaire dans les régions Centre et Nord, comme en témoignent la naissance récente de l’alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peulh et la restauration de la justice (ANSIPRJ). L’extrémisme violent gagnant du terrain chez les communautés nomades du centre du Mali, il s’agit de trouver quelques explications empiriques à ce phénomène, avec une analyse discursive à l’appui. Comment l’insécurité s’est-elle transportée du nord au centre du pays ? Pourquoi la région de Mopti est-elle considérée comme l’une des plus insécurisée de nos jours ? Quels sont les acteurs qui animent les violences dans le centre du Mali ? Quelles sont les causes profondes de ces violences ? Comment agir pour prévenir l’insécurité et le radicalisme des jeunes des pasteurs nomades ?

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L’occupation du centre du Mali par les mouvements rebelles et djihadistes en 2012

La rébellion de 2012 est la cinquième du genre dans le septentrion malien. La particularité de cette dernière révolte réside dans sa capacité à déstabiliser un État déjà affaibli par les allégations de corruption et perçu comme injuste et laxiste par une partie de l’opinion malienne. La chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye, a été un facteur important dans le déclenchement de cette crise au Mali. Si au départ, la rébellion visait à chasser des régions nord les forces armées et les agents de l’État en vue de proclamer « l’indépendance de l’État de l’Azawad », ses objectifs ont finalement été détournés par des djihadistes et des narcotrafiquants ayant fini par chasser le MNLA des principales villes du nord.

Entretemps, la région de Mopti est entrée dans la danse avec l’occupation entière du cercle de Douentza par les rebelles touaregs du MNLA, puis par les djihadistes du Mouvement de l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Traditionnellement, les Peuls exerçant le pastoralisme ont toujours été en tension avec les Touareg, autour des questions liées à l’exploitation des ressources pastorales et le vol de bétail, dans cette région.

Beaucoup de Peuls nomades, dans le cercle de Douentza se souviennent amèrement des razzias conduites par le nommé Marouchal, un guerrier touareg de la fraction Ibogholitane de la zone de Inadiafane, dont les fils étaient les représentants du MNLA pendant l’occupation. Craignant la restauration d’une hégémonie touarègue dans la région, les pasteurs peuls ont vite fait allégeance au MUJAO. Ces alliés du MUJAO seraient majoritairement constitués de Peuls Toleebé du Niger et Jelgoobé du Burkina Faso. Le fil identitaire a été le principal facteur mobilisateur des Peuls du Hayré et du Seeno en faveur d’une intégration dans les rangs du MUJAO en 2012.

En plus de cela, cette communauté semblait être assoiffée de justice. La justice étatique perçue par bon nombre de gens comme corrompue en laquelle les communautés nomades ne se reconnaissent pas. Le MUJAO, dès ses premières heures d’occupation du cercle de Douentza, a tenu à délivrer une « justice équitable » pour davantage gagner la confiance des pasteurs nomades peuls. L’insécurité grandissante, qui s’est traduite par les multiples vols de bétails, les braquages pendant les jours de foire et les assassinats ciblés, est le principal motif qui a poussé d’autres Peuls à rallier les rangs du MUJAO.

De la reconquête du nord à la nouvelle crise du centre

Le 11 janvier 2013, la reconquête des régions nord et centre du Mali débuta à travers l’opération Serval menée par l’armée française. Ainsi, les djihadistes furent déroutés et leur rêve de faire de Mopti la capitale de leur éphémère « État islamique » fut brisé. Après les bombardements des positions des djihadistes par les troupes de l’opération Serval, l’armée malienne procéda au « ratissage », en combattant les djihadistes, ainsi qu’aux enquêtes et arrestations des personnes ayant rejoint les rangs des djihadistes ou rebelles.

Plusieurs personnes ont été interpelées dans les campements peuls, dont les leaders de pasteurs nomades qui avaient rejoint ou envoyé leurs proches dans les camps d’entrainement du MUJAO à Gao. Des témoignages concordants affirment que des proches des chefferies traditionnelles (élites locales) auraient facilité la mise en relation entre vendeurs d’armes et pasteurs peuls souhaitant s’armer. Ces mêmes élites sont accusées par les pasteurs d’être leurs dénonciateurs auprès de l’armée malienne après la reconquête.

Depuis la signature de l’accord pour la Paix et la Réconciliation, excepté les conflits intercommunautaires ayant opposé différentes fractions touarègues (Imghads du GATIA aux Ifoghas voire Idaksahaq ou Daoussahak de la CMA) et quelques attaques ciblant les forces militaires onusiennes et maliennes, les régions nord du Mali connaissent une certaine accalmie. Les mouvements armés du nord, après s’être livrés pendant des mois à une guerre fratricide autour du contrôle territorial de certaines localités avec des enjeux économiques énormes, se sont donnés rendez-vous à Anefis (région de Kidal) pour enterrer la hache de guerre par un dialogue intercommunautaire.

À ce sujet, International Crisis Group, dans son dernier rapport paru à la mi-décembre 2015, s’interroge sur les chances d’aboutissement de cette « Paix d’en bas». Dans le prolongement de cette initiative, un forum a été organisé le 28 mars 2016 à Kidal par la CMA, sur financement du gouvernement malien destiné à entériner le processus déclenché à Anéfis. Il est à noter que ni le gouvernement du Mali ni la plateforme, actrice principale de la rencontre intercommunautaire d’Anefis, n’ont pris part à cette rencontre de Kidal.

Entretemps, le centre du Mali est devenu le nouveau théâtre des violences liées à la crise depuis quelques mois. Si les attaques perpétrées contre les forces armées maliennes et quelques élites locales dans la région de Mopti sont souvent attribuées au Front de libération du Macina, certains de nos interlocuteurs affirment tout le contraire.

Un pasteur nomade de la région de Mopti témoigne ainsi : « Nous ne connaissons pas le Front de libération du Macina. Nous n’en faisons pas partie. Le seul sentiment qui nous anime est celui de pouvoir nous libérer du joug de la domination de nos élites. Nous avons pendant longtemps subi toutes les formes d’exploitation par l’administration en complicité avec nos élites, les occupants (MNLA et MUJAO) nous ont délivrés de cette nouvelle forme d’esclavage et ils veulent qu’on abandonne définitivement les armes pour qu’ils fassent encore de nous leurs moutons, qu’ils nous fassent tout ce qu’ils veulent comme ils l’ont fait auparavant. Nous ne sommes pas d’accord ! La crise de 2012 nous a éveillés, nous pasteurs nomades. Après la reconquête, l’armée a commis des crimes sur des pasteurs nomades et on nous a extorqués beaucoup d’argent. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous se trouvent en brousse avec des armes en train de sensibiliser les nomades à rester engagés et vigilants. Tant que l’armée continuera à arrêter nos parents, à les maltraiter et à les transférer dans les prisons à Bamako, nous aussi nous allons poursuivre notre lutte. »

Depuis l’annonce en janvier 2015 sur les médias occidentaux de la création du Front de libération du Macina (FLM), dont le principal leader serait le prédicateur peul Hamadou Diallo, dit Hamadou Kouffa, issu du nom de son village natal Kouffa, les Peuls de la région de Mopti sont devenus une cible potentielle pour les forces armées pendant leurs opérations anti-terroristes. L’analyse que font les journalistes et les chercheurs sur le Front de libération du Macina est très différente de celle des communautés sur le terrain.

Les populations rencontrées dans la région de Mopti (Mopti, Douentza, Boni, Mondoro, Ténenkou) lors de nos enquêtes pensent que le FLM, en tant que mouvement structuré avec des combattants et des armements lourds, n’existe pas. Elles mettent la plupart des récentes violences sous le coup des règlements de compte et de la frustration.

Un cadre peul, ancien président de l’Assemblée nationale du Mali et fervent défenseur de la cause peule, soutient à propos du FLM : « Ne suivent Hamadou Kouffa que les bandits et les opportunistes. Kouffa a certes une belle voix et il prêche bien mais écouter ses prêches ne fait pas automatiquement de quelqu’un un extrémiste. Que l’armée cesse de faire l’amalgame ! Le FLM n’est qu’une pure invention des services de renseignement français ».

Selon sept jeunes pasteurs nomades, ressortissants du cercle de Douentza arrêtés à la mi-janvier par les militaires de l’Opération Seeno et transférés à Bamako sous le soupçon d’une appartenance aux groupes djihadistes : « Nous avons été arrêtés sans preuve et transférés dans une prison à Bamako. Depuis des mois, c’est le même scénario qui se poursuit dans notre zone. Les Peuls sont accusés à tort et à travers d’être des djihadistes. Tous les campements peuls se sont vidés de nos jours. Tous nos parents sont partis se réfugier au Burkina Faso par crainte de se faire arrêter par l’armée malienne. »

Les forces gouvernementales ont mené des opérations militaires contre les groupes armés islamistes qui ont fréquemment débouché sur des arrestations arbitraires, des mauvais traitements et des actes de torture. Les FAMA ont souvent été impliquées dans de graves abus, prenant pour cible des civils des communautés peule et dogon. Ces abus ont généralement cessé après que les militaires ont remis les détenus aux mains des gendarmes, soutient une analyse de Human Rights Watch.

Par ailleurs, il ressort de nombre de témoignages que les violences qui touchent le centre du Mali ont pour causes les clivages intercommunautaires et les frustrations des communautés, en majorité nomades, contre leurs propres élites au niveau local, et contre les agents de l’État. Avec le retour des représentants de l’État, en effet, les communautés nomades armées sous l’occupation djihadiste ont été contraintes par les services de sécurité (gendarmerie) à se désarmer.

Selon la plupart de nos informateurs, certains gendarmes, en complicité avec des élites locales, ont exigé le paiement de contraventions aux détenteurs d’armes. Ces sommes s’élèveraient en moyenne entre cent mille FCFA (152,45 EUR) et six cent mille (914,7 EUR). Les opérations de ratissage menées par les forces armées maliennes dans le cadre de l’Opération Seno, ciblant les Peuls suspectés d’être des djihadistes ou de collaborer avec le Front de libération du Macina, semblent cependant n’avoir aucun impact sur la sécurité et la lutte contre le terrorisme dans le centre du Mali.

Elles ont, au contraire, à en croire les témoignages recueillis auprès des victimes de ces arrestations, poussé les communautés nomades à se radicaliser davantage. Pendant l’occupation djihadiste, la plupart des leaders peuls ayant fait allégeance au MUJAO avaient avoué que leur intention n’était pas de combattre l’État. Même s’il faut souligner au passage que certains d’entre eux reprochaient aux agents de l’État d’être corrompus et partiaux lors de la gestion des conflits inter et intracommunautaires.

Par conséquent, c’est souvent en réaction aux exactions des forces armées que certains ressortissants des communautés locales se positionnent désormais en ennemis de l’État malien et s’en prennent à toute personne soupçonnée de collaborer avec les représentants de l’administration. Beaucoup d’entre eux ont également rejoint les djihadistes pour avoir accès aux armes, savoir les manier à des fins d’autoprotection.

Ainsi, le djihad est devenu un alibi pour ces communautés nomades en vue d’atteindre leurs objectifs d’autodéfense. Aussi, les assassinats du chef de village de Dogo, du commerçant dogon dans le village d’Issèye (Mondoro), du conseiller de village de Boni, du fils du chef de village de Wouro Allaye Tème (Mondoro) etc., survenus tous dans la région de Mopti, sont à considérer comme des règlements de compte à la suite de conflits anciens mal ou non gérés par la justice étatique.

Impossible de clore ce chapitre sans évoquer les affrontements intercommunautaires, entre Peuls et Bambaras, qui ont eu lieu dans la commune de Karéri (Cercle de Ténenkou) faisant une trentaine de morts dans le rang des Peuls. Selon plusieurs sources concordantes : « Deux Bambaras du village de Karéri, dont le 3e adjoint au maire, ont été tués par des djihadistes qui seraient des Peuls de la zone. En représailles, les Bambaras se sont constitués en milice d’auto-défense pour faire face aux attaques des Peuls. À cet effet, ils ont tué six Peuls le samedi 30 mai et une vingtaine le dimanche 1er mai. ».

Le gouvernement a rapidement dépêché une délégation ministérielle sur place pour réconcilier les deux communautés. À noter que le président de Tapital Pulaaku, un mouvement dédié à la promotion de la culture peule et à la défense des intérêts de la communauté peule, faisait partie de cette mission gouvernementale. Le gouvernement était une fois de plus interpelé pour restaurer la sécurité sur tout le territoire national afin de prévenir la multiplication d’affrontements intercommunautaires qui mettent en péril les avancées en matière de réconciliation et de vivre ensemble au Mali.  

La revendication politique des pasteurs peuls du Hayré et du Seeno via l’Association Dewral Pulaaku

L’Association Dewral Pulaaku a été créée pendant les premières heures de la reconquête des régions centre et nord du Mali. Elle est une initiative des pasteurs nomades du Hayré et du Seeno (région de Mopti). Selon les textes réglementaires de ladite association, elle a pour objectifs de promouvoir le pastoralisme, prévenir les conflits inter et intracommunautaires, défendre et protéger les droits des pasteurs nomades etc.

Dewral, malgré qu’elle soit officiellement une association à but apolitique, pourrait être considérée comme une organisation défendant les intérêts politiques, sociaux et économiques des Peuls du Hayré et du Seeno. Elle est essentiellement constituée de Peuls dont des Seedoobé (pasteurs nomades), des Weheebe (élites locales) et des Diawambé. Dès sa création, elle a été dénoncée par certaines élites politiques (Weheebe) comme une organisation djihadiste cherchant à se légaliser puisque son président lui-même avait rejoint le MUJAO en 2012. À la question de savoir pourquoi il avait rejoint le MUJAO, le président de Dewral Pulaaku et non moins chef de village de Boulekessi (situé à la frontière Burkinabé) soutient :

« Au moment de l’occupation de la zone par le MNLA, les Touaregs nous ont fait souffrir. Ils nous ont interdit l’accès à des pâturages dans la brousse, de cultiver nos champs et ont tué un de mes cousins en violant également sa femme. J’avais été menacé de mort et il a fallu que je fuie de chez moi pour aller me réfugier au Burkina Faso puis à San (région de Ségou). C’est ce qui m’a motivé à identifier des bras valides dans ma zone pour les amener à s’entrainer dans les camps du MUJAO à Gao. Moi-même j’étais avec eux à Gao. C’est avec le déclenchement de Serval que nous avons été dispersés et on a même perdu un jeune lors des bombardements de l’opération française. Je tiens à préciser que nous n’avons pas pris les armes pour attaquer l’État malien mais pour nous défendre contre nos ennemis. C’était dans le but de l’autoprotection. … C’est pourquoi avec la reconquête, nous avons créé Dewral Pulaaku pour défendre et protéger les intérêts des pasteurs nomades. Notre association est loin d’être une organisation terroriste. »

La création de Dewral est stratégique et semble avoir été mûrement réfléchie. Les nomades qui ont rejoint ou soutenu moralement le MUJAO se sentaient menacés par le retour de la « normalité ». Des menaces qui allaient de la discrimination aux arrestations, ce malgré les plaidoyers des cadres peuls et de la section Droits de l’homme de la MINUSMA pour innocenter les personnes ayant possédé des armes pendant la crise.

La stratégie de Dewral a consisté à unifier les nomades pour éviter qu’ils soient confrontés individuellement aux défis qui les attendaient. Entre temps, les tensions entre élites et pasteurs dans les communes de Boni (Haïré) et de Mondoro (Seeno) ne fléchissent pas. D’une part, les élites accusent les pasteurs d’être les auteurs des attaques et des assassinats ciblés dans la région.

D’autre part, les pasteurs accusent les élites d’être leurs dénonciateurs auprès de l’armée. Les multiples arrestations des pasteurs nomades par l’armée malienne ont frustré beaucoup d’entre eux. Ces arrestations, tortures et parfois assassinats commis par l’armée sont perçus comme des abus par les pasteurs peuls et nourrissent désormais un ressentiment envers toute personne proche de l’État.

Les opposants politiques locaux dans la commune du Haïré ont saisi l’opportunité que leur offrait cette association, à travers sa forte capacité de mobilisation de pasteurs nomades qui constituent un électorat important, en se faisant élire dans le bureau de ladite association pour pouvoir bénéficier de l’électorat des nomades pendant les élections locales prochaines.

La première assemblée ayant abouti à la création de Dewral s’est tenue à Simbi dans la commune du Haïré (région de Mopti) en juin 2014 et a regroupé des Peuls venant de neuf communes du cercle de Douentza. L’existence de Dewral est très menacée par des enjeux de leadership. Un conflit latent qui ne dit pas son nom menace la survie de l’association. Deux camps se disputent le contrôle de Dewral : le camp de Amirou Boulekessi (président de l’association et chef de village de Boulekessi) et celui de Amirou Grimari (trésorier de l’association et chef de village de Grimari). Le second reproche au premier de s’engager dans des négociations pour l’intégration des membres de l’organisation dans le DDR. Alors qu’à l’origine elle n’est pas un mouvement armé.  

Enjeux de l’escalade de la violence dans la région de Mopti

Les personnes rencontrées pendant nos dernières visites, entre janvier et mars 2016 dans la région de Mopti, sont très pessimistes sur l’amélioration des conditions sécuritaires dans la zone. La menace est présente des deux côtés : les communautés sont menacées par les forces armées à la recherche des djihadistes et par ces derniers, qui mènent des représailles contre les populations après chaque visite des FAMA dans leur zone.

Le Delta central du Niger (Bourgou) s’affirme depuis 2014 comme le nouveau théâtre des violences commises par les mouvements djihadistes. Cette région a été choisie par les djihadistes comme lieu de refuge pendant la période de crue du fleuve Niger à cause de son accès difficile. Son accès pendant l’hivernage est conditionné à l’emprunt des moyens de locomotion fluviaux. La plupart des écoles sont fermées dans les cercles deTénenkou et de Youwarou.

Les services administratifs ne fonctionnent pratiquement plus dans la plupart des localités touchées par la menace djihadiste. La menace est actuellement beaucoup plus récurrente dans les cercles de Ténenkou et de Youwarou (Delta intérieur du Niger) et dans celui de Douentza (communes du Haïré et de Mondoro) faisant frontière avec le Burkina Faso. Les traditionnels conflits autour des bourgoutières constituent un enjeu pendant les périodes d’exploitation des bourgous (pâturages).

Les disputes entre villages voisins sur la propriété des bourgous ont toujours été fréquentes entre novembre et mars de chaque année. Les djihadistes ont interdit la taxation des bourgous et soutiennent que le pâturage n’appartient qu’à Dieu. Les dioros (détenteurs de droits sur les bourgous) payent le service des agents de sécurité (gendarmerie) pour sécuriser les bourgous et exigent le paiement de taxes d’exploitation. À la fin de janvier 2015, trois gendarmes ont trouvé la mort à Dialloubé (à une soixantaine de kilomètre de Mopti). Selon nos informateurs, ils auraient été tués par des djihadistes peuls en cavale dans le delta.

Les Peuls et la sortie de crise au Mali

La question peule s’est, de nos jours, invitée dans le processus de sortie de crise au Mali. Il est difficile d’envisager une paix durable au Mali sans résoudre le problème d’insécurité au centre du Mali dont les animateurs sont majoritairement issus de la communauté peule. La solution militaire a pourtant montré ses limites. Des centaines de personnes arrêtées, par les FAMA dans la communauté peule, et suspectées d’être des djihadistes ont presque tous été relâchées par la justice par manque de preuves tangibles.

Certains pensent que la solution serait de réparer l’erreur commise par l’accord en démobilisant les jeunes Peuls armés, qu’ils soient djihadistes ou non, et en les intégrant dans le processus de DDR. Des responsables peuls, au niveau national, sont engagés dans ce processus en partenariat avec la MINUSMA et des leaders communautaires dans la région de Mopti. D’ores et déjà, les leaders Peuls dans la zone inondée ont pu convaincre 186 jeunes armés prêts à déposer les armes et à être cantonnés. Dans le Hayré et Seeno, soixante-dix jeunes armés sont prêts à rallier le processus de DDR. Le but est d’avoir au moins quatre cent jeunes armés peuls et les cantonner sur un site qui sera identifié de commun accord avec les partenaires.

D’autres estiment que tant que les conditions de vie précaires des pasteurs nomades peuls ne sont pas améliorées, le centre du Mali connaîtra toujours cette instabilité. À noter que la région de Mopti demeure l’une des dernières au Mali en termes d’accès aux services sociaux de base. Pour une sortie de crise dans le centre du Mali, la réconciliation entre élites et pasteurs peuls, entre Peuls et leurs voisins sédentaires (dogons, bambara), entre Peuls et Touaregs est nécessaire. Ces dialogues intra et intercommunautaires doivent se faire sous l’impulsion des leaders communautaires.

S’il y a une épine dans le pied de l’État malien dans le cadre global de la sortie de la crise, c’est bien la question de la stabilité du centre du Mali. La compartimentalisation de la résolution de la crise malienne a montré ses limites. Il n’y a pas un conflit du nord et un conflit du centre. Le conflit malien doit être géré dans son entièreté. L’Accord pour la paix et la réconciliation est certes un acquis mais il lui est reproché, par certaines communautés, de favoriser les régions nord au détriment du Centre, qui a vécu la crise au même titre que celles du nord.

Les violences intra et intercommunautaires qui sévissent dans la région de Mopti sont officiellement attribuées au Front de libération du Macina (FLM) mais nos investigations sur le terrain nous révèlent que la plupart d’entre elles sont des actes isolés de banditisme et de règlements de comptes. Sans nous prononcer sur la question de l’existence du FLM dans la région de Mopti, force est de constater que ceux qui agissent, au nom ou pas du « djihad », ont souvent une conviction : celle de rendre justice. Les attentes sont très grandes en matière de justice. Le Mali nouveau devait réformer le secteur de la justice en facilitant un accès équitable à la justice à tous les maliens.

Par Boukary SANGARE

Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP)

Source: infoSept