Stratégie. Les forces antiterroristes au Sahel doivent faire avec, une Amérique qui rapatrie des soldats, mais envoie, en nombre égal, des conseillers sur le terrain.

Il y a un mois, les Américains annonçaient leur souhait de réduire le nombre de leurs soldats en Afrique. Cette réalité devient un peu plus concrète avec l’annonce faite ce mercredi 12 février par le Pentagone du rapatriement d’une unité de combat qui sera remplacée par des instructeurs chargés de former leurs collègues africains.

De quoi s’agit-il ? Le ministre de la Défense Mark Esper a « ordonné le déploiement de la 1re Security Force Assistance Brigade (SFAB) de l’armée de terre sur le continent pour conduire des missions de formation, conseil et assistance dans des pays phares d’Afrique », a indiqué une porte-parole du Pentagone, Alyssa Farah, dans un communiqué. Leur arrivée, destinée à « mieux concurrencer la Chine et la Russie » en Afrique, permettra à l’armée américaine de rapatrier les unités de combat de la 101e Division aéroportée vers sa base de Fort Campbell, dans le Kentucky (sud), a-t-elle précisé. Selon un responsable du Pentagone ayant requis l’anonymat, et cité par l’agence Xinhua, cet échange, qui est prévu dans quelques semaines, ne signifie pas qu’il y aura moins de militaires américains sur le terrain, les unités rapatriées représentant à peu près les mêmes effectifs que les 800 « instructeurs » qui les remplaceront.

S’en va, s’en va pas ?

« Montrer les muscles face à la Chine dans le Pacifique, parler de guerre commerciale contre le géant chinois est plus porteur électoralement chez les ouvriers américains. Le citoyen moyen américain ne sait pas où se trouve le Sahel », analyse Jeffey Hawkins, ancien ambassadeur des États-Unis en Centrafrique sur TV5 Monde. Mais en même temps, les Américains ne veulent pas laisser le champ libre en Afrique à Moscou et Pékin, qui cherche à accroître leur influence sur le continent, a souligné mercredi le patron des forces terrestres américaines en Afrique, le général Roger Cloutier. « Le message que je transmets à mes partenaires (africains), c’est que nous ne partons pas », a indiqué le général Cloutier au cours d’une téléconférence au Pentagone. « Nous sommes encore impliqués. » Selon un récent rapport du bureau de l’inspecteur général du Pentagone, un organisme indépendant dont c’est le premier rapport public sur les opérations militaires américaines sur le continent africain, « la menace terroriste en Afrique persiste, et en certains endroits, s’accroît ». Le commandement militaire américain pour l’Afrique (Africom) a modifié sa stratégie face aux groupes extrémistes sur le continent, se fixant désormais l’objectif de les « contenir » et non plus de les « affaiblir », note l’inspecteur général Glenn Fine, dans ce rapport.

Quelque 6 000 militaires américains sont actuellement déployés en Afrique, précise le rapport, dont 800 en Afrique de l’Ouest où ils soutiennent notamment les efforts antidjihadistes de la France au Sahel, et 500 éléments des forces spéciales en Somalie où ils combattent les djihadistes shebabs, affilés à Al-Qaïda. La plus grosse base américaine est celle de Camp Lemonnier, à Djibouti (3 000 militaires américains).

Une situation complexe à gérer pour la France et ses alliés

Ces annonces tombent plutôt mal pour les dirigeants du G5 Sahel qui comptent, avec la France, sur ce soutien dans leur lutte contre les djihadistes. La ministre française de la Défense Florence Parly s’est même rendue à Washington lundi 27 janvier pour convaincre les Américains de rester. Dans le même temps, pour montrer son fort engagement, Paris a annoncé qu’il augmenterait sa présence de troupes au Sahel à plus de 5 000. Parallèlement, il a commencé à armer ses drones. Pourtant, les Américains ne sont pas du tout indifférents. Bien au contraire. Cette semaine, le sous-secrétaire d’État américain aux affaires politiques, David Hale, était en visite dans le Sahel, notamment en Mauritanie, où il a exprimé les « inquiétudes » de son pays quant à la situation sécuritaire et à l’instabilité dans la région. « Je me suis rendu à Dakar, Bamako et Ouagadougou pour exprimer notre inquiétude face à l’instabilité croissante au Sahel et pour réaffirmer l’engagement de l’Amérique envers nos partenaires dans cette région vitale », a souligné le responsable américain qui s’exprimait à l’issue d’une rencontre avec le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh Ghazouani.

Un axe Washington-Nouakchott fort

Par ailleurs, le responsable américain a affirmé que la coopération entre les deux pays en matière de sécurité et de défense était un pilier de leurs relations. « Ce partenariat sera pleinement exposé lors de l’exercice militaire Flintlock la semaine prochaine », a-t-il relevé. Selon lui, des exercices comme Flintlock renforcent la capacité des États-Unis à opérer avec ses alliés du Sahel et à améliorer leur résilience face à la menace croissante de l’extrémisme. « La région du Sahel est confrontée à des défis importants pour sa sécurité, sa stabilité, sa démocratie et son développement économique. Ces problèmes nécessitent des solutions africaines. Nous comptons sur la Mauritanie pour jouer un rôle moteur dans l’élaboration de ces solutions », a-t-il conclu. Les dernières manœuvres antiterroristes Flintlock ont été menées au Burkina Faso l’an dernier.

Le Point Afrique