Pour si peu qu’on s’intéresse à l’histoire de la pénétration française dans la parte septentrionale de notre pays, la personnalité de Firhoun, le chef de la confédération des Oulliminden, émerge

Son accession au pouvoir a coïncidé avec l’arrivée des troupes françaises, de sorte qu’il n’a jamais pu démontrer toutes ses qualités. Stratège, il ne gênait pas que les colonisateurs. Il n’a jamais négocié ses prétentions sur ses vassaux qu’étaient les Ifoghas et les arabes Kountas dans des rapports très conflictuels. Devenu une cible, au centre de cette conjonction d’intérêts, il est mort le 25 juin 1916, après avoir secoué vigoureusement le joug colonial. Sa capitale était à l’est, à Ménaka, dans l’Azawagh.
Ce n’est donc pas étonnant que l’Amenakal Firhoun n’ait pas eu les honneurs de la littérature coloniale. Au Mali, il est un héros, un résistant qui n’a pas fait l’objet d’une recherche universitaire systématique, pour plusieurs raisons.
En 1973, l’immense historien nigérien, le Pr André Salifou s’est intéressé à Firhoun. Il a publié les résultats de ses recherches sur l’Amenokal dans un article paru dans le journal de la société des Africanistes sous le titre « Les Français, Firhoun et les Kountas, 1902-1916 ». L’approche méthodologique de l’auteur a combiné l’exploitation des sources orales et des sources écrites, constituées par les archives coloniales. Les sources orales sont celles de la tradition telles que relatées par le targui Digga Ag Khamad Ekhya consultées au Centre de documentation de la tradition orale, à Niamey d’après un travail archivé en 1969 sous la forme d’un recueil de traditions orales.
Firhoun n’est pas un usurpateur, il est le descendant d’une lignée royale. Son père Alinsar est le cousin de l’Amenokal Madidou Ag Annaber. C’est Madidou qui a eu les premiers contacts avec les troupes coloniales françaises, sans jamais aller à un affrontement. Madidou est mort en 1898. Il a eu comme successeur Lawouei dont Firhoun était le neveu. A la différence de Madidou, Lawouei semblait tout remettre à la France, ce qui irrita ses sujets. Firhoun accède au pouvoir en 1902, à la suite d’une entente intelligemment mise en œuvre en tandem avec les forgerons touaregs et les marabouts Kel Essouk. L’auteur fait recours à la mémoire orale pour retracer l’avènement de l’Amenokal Firhoun dans un contexte où son prédécesseur avait fait l’unanimité contre lui. En plus d’être docile au français, Lawouei avait une addiction qui était devenue un véritable motif de frustration pour tous ses sujets. Il aimait les vaches rouges qui offraient la particularité d’avoir une tache blanche au front. Pour satisfaire ce caprice, il ne faisait que piller ces sujets. A ce vice, vint s’ajouter une sècheresse épouvantable pour toute la contrée. C’est là que les marabouts Kel Essouk entrent en jeu et proposent à Lawouei de rendre le « toubal », le tambour royal. Lawouei refusa d’obtempérer. Les forgerons touaregs et les marabouts Kel Essouk organisent alors sa destitution à partir de pouvoirs mystiques et religieux. Ils égorgent une vache blanche. Les forgerons confectionnent une grande écuelle qui devait servir de caisse de résonnance pour le tambour. Les marabouts confectionnent une amulette qu’ils placèrent dans le tambour qu’ils remirent à Firhoun. A l’issue de cet exercice, Lawouei se retrouva seul tandis que Firhoun, devenu attractif comme un aimant ne cessait de voir grossir les rangs de ses sympathisants. Il est devenu l’Amenokal reconnu de fait. Voilà pour l’histoire. Elle vaut comme source d’information et confirme que le pouvoir a toujours un secret en Afrique.
Cette montée de Firhoun intervient dans un contexte où l’alliance des Kountas et des Oulliminden battait de l’aile avec en arrière-fond les Français qui attisaient le feu. Au départ, Firhoun se montra attentif et ne fit rien qui puisse effaroucher les colonisateurs, même s’il tenait à tous les coups à faire remarquer sa souveraineté, contrairement à son prédécesseur. C’est bien ce qu’il fait savoir tacitement au colonel Gouraud, parti du Niger et qui voulait le rencontrer à un rendez-vous fixé à Gao en 1902. Firhoun manqua à l’appel sciemment.

Le stratège
Stratège, il accepte de signer « un acte de soumission » le 23 janvier 1903 avec en face le colonel Gouraud, commandant du territoire militaire de Zinder et le lieutenant-colonel Dagneaud basé à Tombouctou. Il accepte de payer annuellement un impôt de 150 bœufs et 50 chameaux. Si Firhoun accepte de se soumettre aux Français, il attend en retour que ceux-ci l’aident à avoir sous sa coupe tous ses anciens vassaux dont notamment les Ifoghas et les Kountas. Il n’hésite pas à le faire savoir et profite de toutes les occasions pour faire des razzias et percevoir lui aussi son impôt sur tout ce qui se trouve sur son territoire. Il va jusqu’à réclamer un dédommagement, une réparation, quand les Français ont décidé de la création de l’Adrar des Ifoghas, à partir de la Convention de Bourem !
C’était sa façon à lui de ne pas perdre la face vis-à-vis des Oulliminden qui l’ont porté au pouvoir. Il avait l’appui des Kel Essouk, les marabouts qui sont d’une grande influence spirituelle et matérielle.
Firhoun voulait rester Amenokal tandis que les Français voulaient le dépouiller de son pouvoir. Les colonisateurs travaillaient à installer une économie monétaire dans son fief avec au bout la sédentarisation des nomades, et notamment la mise en valeur du marché pastoral de Anderamboukane. C’était pour eux une façon de régler la « question Oulliminden ».
Esprit vif, Firhoun comprend résolument qu’aucune entente n’était possible entre lui et les Français. Il commence à organiser ses sujets ; il se cherche de nouveaux alliés en vue d’un soulèvement imminent. Il se mit à sillonner le Sahel, envoie des émissaires partout ; à Dori, à Gabéro chez les peulhs, avec les sédentaires qui vont lui fournir les vivres, les montures et le renseignement. Des informations de source orale, qui restent à certifier, soutiennent que Firhoun a même contacté « ses cousins dogons » dont la témérité de la cavalerie était reconnue.
En octobre 1914, Firhoun parvint à réunir un grand nombre de combattants à Tanekart, non loin de Ménaka. Mais son action a été éventée et le Capitaine Ferron le fit prisonnier. Il sera condamné à dix ans de prison, un emprisonnement qui sera fort encombrant pour les Français au vu de la popularité de Firhoun. D’ailleurs, ils s’apprêtaient à le libérer, il venait d’être gracié, quand tout s’accéléra. Hamoadi, le chef des Kountas, momentanément devenu « un ami » informa Firhoun d’un plan de déportation vers un pays lointain. La déportation des chefs était une pratique courante de l’administration coloniale. Firhoun anticipe et s’évade. Désormais, il est catégorique dans ses convictions : les Français sont des « kafir » ; ils méritent la guerre sainte, le jihad. Le 13 mars 1916, Firhoun attaque le poste militaire de Ménaka qui lui résiste. Le 8 avril 1916, il se porte sur le poste de Filingué, lui-même à la tête des troupes. Mal renseigné sur la défense de ce poste, il perdit la bataille. Désormais, c’est lui qui est la proie ; les Français et leurs supplétifs prennent l’initiative. Ils attaquent la base de Firhoun à Anderamboukane, le 9 mai 1916, au petit matin. Le carnage est total : des guerriers sont tués, mais beaucoup de femmes et d’enfants ont péri également. Firhoun parvint à s’échapper. Il sera tué le 25 juin 1916, à 150 kilomètres de Ménaka, par des guerriers de Moussa Ag Amastan du Hoggar. En fait, la réalité est beaucoup plus complexe, mais tout se résume en ce que sa mort mettait fin à toute une série de turbulences. A preuve, la littérature coloniale est peu prolixe sur les conditions de cette mort, tout comme les acteurs ayant participé à cette mort.
Des historiens se pencheront sûrement sur la portée de son action politique, à cette époque où la notion même de l’Etat, en proie à toutes les approximations, est un défi pour les fils d’un si vieux pays comme le nôtre.

Source: Autre presse