Malgré l’absence de son regroupement politique, l’ARP (Action Républicaine pour le Progrès),  du gouvernement, Tièman Hubert Coulibaly s’inscrit dans la dynamique de soutenir la transition pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel au Mali. Il l’a fait savoir à la faveur d’une interview qu’il a accordée au journal ‘’L’ALERTE’’ ce lundi 14 juin. À l’occasion, Il s’est également prononcé sur la décision de la France de mettre fin à l’opération Barkhane.

 L’ALERTE : Les reproches de la junte contre l’ancien président de la transition et son premier ministre sont –ils suffisants pour les destituer ?  N’est-ce pas un retour à la case départ ?

Tieman Hubert Coulibaly :Je ne peux pas juger si les raisons sont suffisantes ou pas. Je constate que la transition qui a commencé il y a 9 mois a connu un blocage et ce qui été constaté ces derniers jours par le changement à la tête de la transition, c’est la révélation d’un échec politique. C’est  ce qui nous a  conduits à commencer cette  deuxième séquence. Pour notre part, nous avons indiqué, dans notre communiqué, et pendant longtemps  fortement recommandé aux autorités de la transition de conduire les publics dans la concertation et dans l’inclusion. Je crois que c’est faute d’avoir fait cela que nous sommes arrivés à la situation que vivons. Il convient, dès lors, de tirer les leçons du passé et sincèrement observer ces recommandations quant à la concertation et à l’inclusion pour la suite, j’avais indiqué dans d’autres interviews que s’il n’y avait pas cette entente nationale, cette cohérence nationale, nous allions vivre de nouvelles ruptures. Et cela est arrivé. C’est exactement ce que j’avais prédit. Je regrette  parce que nous perdons du temps. Cette transition a été prévue pour 18 mois et il ne nous en reste que 8. Alors je ne veux pas évaluer ou juger la véracité ou la justesse  de tel ou tel acte sur ce point. Désormais nous allons garder le regard sur la stricte observance du délai imparti à la transition. C’est cela le plus important pour nous aujourd’hui.

Juste après la prestation de serment du président de la transition et la nomination du premier ministre, l’Action Républicaine pour le Progrès (ARP), votre plateforme politique, tout en félicitant les deux récipiendaires a réitéré son engagement à travers deux communiqués le 7 juin 2021 son engagement à accompagner le gouvernement. Mais l’ARP ne figure pas   sur la liste de Dr Choguel. Est-ce la plateforme a décliné l’offre ou elle n’a pas été sollicité ?

Nous avons rencontré le premier ministre, nous avons eu des conversations avec le premier ministre dans le cadre des consultations qu’il conduisait avec les forces politiques.  Donc, c’est ainsi que le gouvernement a été composé mais nous n’en faisons pas partie. Cependant, prenant acte de cela, nous disons qu’il faut soutenir ce gouvernement afin qu’il bénéficie de la cohésion nationale. Nous espérons que les choses se fassent dans le délai vraiment, c’est le plus important. Nous ne sommes pas là pour engager une querelle  par rapport à la non-participation au gouvernement. Je crois que les autorités qui sont en charge doivent  être en mesure de juger de qui ils ont besoin, de qui ils n’ont pas besoin.  Il faut aussi se donner le temps d’analyser les choses, de savoir les raisons profondes de tel ou tel autre choix. Dans tous les cas, nous soutiendrons le travail de ce gouvernement tant qu’il restera dans le principe que j’ai émis. Tant qu’ils seront mobilisés pour que la transition accomplisse sa mission dans le délai imparti.

Quelle lecture faite-vous de l’équipe proposée par Choguel ?

Le contexte n’est pas le même, les acteurs ne sont pas les mêmes. Donc, je ne puis me prononcer sur la qualité du  gouvernement. J’estime que les ministres qui ont été choisis doivent  désormais travailler dans le sens de ce que j’ai dit. Ce sont les citoyens maliens et tout le monde ne peut pas être dans le gouvernement. Ceux qui ont été choisis, nous leur souhaitons bonne chance et  les encourageons à travailler pour le retour de la cohésion nationale, dans le sens du retour à l’ordre constitutionnel.

Je crois que la priorité, c’est l’organisation rapide de l’élection présidentielle pour qu’à la tête de l’exécutif, se trouve une autorité légitime. La seconde priorité, c’est de continuer les tâches de sécurisation dans notre pays. En troisième lieu, il convient que ce gouvernement travaille à préserver les éléments qui permettent à notre économie de se maintenir. C’est-à-dire de préserver notre capacité de résilience. Cela est extrêmement important à un moment où vous voyez que beaucoup de syndicats sont dans une séquence de revendications et les problèmes sociaux sont nombreux. Il faut maintenir les conditions de résilience de notre économie  pour que nous puissions continuer à  travailler afin que les recettes fiscales soient assurées. Pour l’élection présidentielle, je crois que le calendrier électoral est tenable. Il se faut se mettre au travail. Il y a quelques mois, je disais qu’au lieu d’être là à commenter ce qui ne marche pas bien, il faut s’atteler à ce qui est urgent. A force de passer son temps à dire que le calendrier est tenable ou n’est pas tenable, on n’a rien fait. Le résultat est là. Durant 9 mois, nous n’avons rien fait de décisif. Tout ce que nous avons fait, c’est d’entretenir la polémique et la controverse. Donc, il se faut se mettre au travail. Pour préparer une élection, et nous savons le faire, Il y a les cadres nationaux qui savent le faire. Il faut exprimer une volonté politique forte. Le cadrage politique est important. Donc, je pense qu’il est  tout à fait possible de s’engager à la préparation de cette élection et pendant ce temps-là, les autres grands rendez-vous électoraux concernant les réformes peuvent faire l’objet de préparation technique pour que la période qui interviendra après l’élection présidentielle puisse être facile à ceux qui auront en charge le destin de notre pays.

    Vu limmensité de la tâche, la réconciliation, la révision de la liste électorale entre autres, Vous  avez été ministre de lAdministration territoriale, il  sera très compliqué. On ne sent tellement pas la classe politique?

Ce n’est pas la classe politique qui organise les élections, c’est le gouvernement. Vous-mêmes avez parlé de l’Administration territoriale que j’ai dirigée en un moment donné. Il y a les autres organes comme la Commission électorale indépendante, la Cour constitutionnelle pour ce qui concerne le volet contentieux électoral. Les acteurs doivent être au travail et nous devons mettre en place un organe unique indépendant et surtout permanent de gestion des élections. L’Administration territoriale nous a fait savoir que ce projet était difficile à mettre en œuvre, nous attendons un projet alternatif. A défaut de cet organe-là, qu’est-ce que nous mettons en place et dans quelles conditions ? C’est cela qu’il faut déterminer. Bien sûr la tâche est immense.  C’est parce qu’elle est immense que nous devons nous mettre au travail dès à présent sans perdre de temps. Je le répète depuis des mois et j’espère que nos autorités vont nous entendre par rapport à cela pour éviter que nous nous replongions dans les débats interminables et nocifs. L’objectif que nous recherchons est que la République reprenne ses droits le plus rapidement possible.

Votre groupement politique, ARP, travaille avec d’autres formations politiques pour la création d’une plateforme. Selon certaines indiscrétions.  Est-ce un organe de veille   pour la bonne conduite de la transition ou une plateforme politique pour les prochaines élections ?

Je suis président de mon parti, l’UDD et du regroupement qui s’appelle l’ARP. Nous parlons avec d’autres regroupements tels que la Cofop il y a  juste quelques jours. Il y a une dizaine de jours, nous avons eu deux importantes rencontres avec l’Adéma. C’était dans l’objectif d’amener le maximum d’acteurs à soutenir le principe de l’inclusivité, à cultiver l’esprit de concertation pour sortir rapidement de la transition. Vous faites référence à des rumeurs qui couraient par-ci et par-là qui disaient qu’il y avait un front en constitution contre la transition. Je vous dis tout net que c’est faux. Nous ne sommes pas dans cet exercice-là. Nous ne sommes pas un front, nous ne voulons pas participer à un front contre la transition. Au contraire, le front que nous allons constituer devra aider la transition. Les autorités de la transition doivent se mettre en disposition pour recevoir et mériter cette aide:  C’est cela notre point de vue. Les plateformes électorales vont venir après. Il faut que les partis politiques préparent les élections qu’elles soient présidentielle, législatives, locales et référendaire. En ce moment-là, ceux qui ont des orientations se croisent et des ambitions compatibles se retrouveront.  L’ARP poursuit ses rencontres. J’ai parlé avec Housseini Amion Guindo de la plateforme ‘’Djiguiya Kura’’. Nous avons prévu de nous rencontrer bientôt. Je parle avec Moussa Mara régulièrement au téléphone. Certainement nous nous rencontrerons de façon formelle. Peut-être pourrions-nous à un moment donné dégager une plateforme électorale. Je m’en réjouirais.

L’isolement du Mali par la communauté internationale prend une autre dimension. Après sa suspension par la Cedeao, l’Union africaine et la Francophonie, Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane sous sa forme actuelle.  N’est-ce pas une réponse aux manifestations anti-françaises dans certains pays du Sahel ?   Quelle lecture faite-vous de cette décision en tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale ?

La Cedeao a ses textes que nous connaissons bien. Les textes actuels ont d’ailleurs été portés lors des deux présidences d’Alpha Oumar Konaré, l’ancien président du Mali. Nous fonctionnons actuellement sur le traité révisé de 1999 et le protocole additionnel, un des instruments via lesquels la Cedeao fait face aux conflits à l’intérieur de ses Etats et de ses frontières. C’est normal que nous soyons suspendus parce qu’il y a eu deux coups d’Etat au Mali. Un premier coup d’Etat au mois d’août puis la  séquence plus récente. En réalité, ces suspension-là sont prévues par les textes. C’est la même chose au niveau de la Francophonie. C’est en vertu de la déclaration de Bamako que la Francophonie nous suspend. Cela avait été le cas déjà en 2012. Ce sont les procédures normales mais ce n’est pas bien pour notre pays d’être suspendu des instances  pendant que notre situation y est discutée. Il faut travailler rapidement pour que ces suspensions soient levées. Nous sommes absents pendant qu’on parle de nous, ce n’est pas bien. Elles seront levées dès lors que nous réunirons les conditions qui sont prévues par les textes. J’estime que c’est une situation délicate et difficile que nous vivons aujourd’hui. En tant qu’ancien ministre des Affaires étrangères, j’ai une expérience qui m’a amené en 2012-2013 à y faire face. J’avoue que ce n’était pas facile. Abdoulaye Diop va devoir affronter de grandes difficultés. Il faut qu’au niveau interne nous ayons conscience de cela et que nous-mêmes, responsables politiques nationaux, montrions un visage susceptible de faciliter la tâche à nos plénipotentiaires au niveau international.

Et la décision française concernant le retrait de Barkhane?

Alors il faut bien analyser ce qui s’est passé. Il y a eu une première annonce qui concernait la suspension des opérations militaires conjointes avec les FAMa. La deuxième est la fin de Barkhane que le président  français a fait savoir à l’opinion internationale. Est-ce que les deux sont liées ? Je ne pense pas. Il était prévu depuis longtemps que le dispositif de Barkhane évolue. D’un point de vue opérationnel, il faut attendre de savoir ce qui va changer. D’un point de vue politique je pense pouvoir dire que la fin de Barkhane n’est pas forcément liée à la situation politique. Le président français dans une interview a pris des positions par rapport à des questions politiques. C’est un chef d’Etat étranger, d’un pays ami, qui a ses positions. Je ne voudrais pas commenter ses propos. Ce qui est sûr, la coopération militaire entre les pays du G5-Sahel et leurs partenaires va continuer. Il faut simplement savoir sous quelle forme cette nouvelle phase de la coopération va se présenter. Dans quel format les ressources militaires qui vont être employées par nos partenaires vont se présenter ? Je ne pense pas que cela soit une sanction politique ou une réponse politique à la situation interne du Mali.

Quel message avez-vous à l’endroit des Maliens ?

Je pense que dans une situation de conflit, il est utile de toujours tenir compte du point de vue de celui ou de ceux qui sont en face. Notre pays est très divisé. Notre intérêt aujourd’hui réside dans l’écoute de toutes les sensibilités. Il réside surtout dans la volonté à faire participer toutes les forces à l’œuvre de redressement de notre pays. En matière de gestion des crises, il est important de cultiver la cohésion. J’appelle encore les forces politiques à plus de tolérance entre nous, à privilégier l’intérêt de notre pays, le mettre au-dessus des intérêts individuels ou de clan.

Réalisée par Nouhoum DICKO

 

Source: L’Alerte