Au moment où  la relecture de la loi électorale se remet au goût du jour, nous nous faisons ici le devoir de jetter notre regard critique sur l’avant- projet de loi électorale issue des travaux des experts  des partis politiques, de l’administration et  autres  organisations spécialisées  de la société civile au sein du Comité institué au ministère chargé de l’Administration territoriale.

La radioscopie opérée par notre regard critique  met à nu  des insuffisances dont  recèle l’avant-projet  de loi électorale. Outre les tares dont il hérite de la loi n° 2018-014 du 23 avril 2018 modificative de la loi n°2016-048 du 17 octobre 2016 portant loi électorale, l’avant- projet de loi électorale est ferrée de nouvelles problématiques juridiques qu’il traîne comme une sorte de boulet.

CHAPITRE I.
L’ AVANT- PROJET DE LOI REATTRIBUE A LA CENI UN POUVOIR INCONSTITUTIONNEL DE « CONTROLE » DE L’ELECTION PRESIDENTIELLE

En la matière, le projet de loi électorale semble avoir perdu la riche mémoire des réformes électorales expérimentées dans ce pays.

C’est ainsi que sous le prétexte du renforcement des pouvoirs de la CENI à défaut d’obtention de l’organe unique, il s’est  contenté de coller le terme de « contrôle » à ses deux autres missions légales de « supervision et de suivi » des élections.
Cette modification est visible en gras au niveau des articles 3, 21, 22 et 23.

De ce fait, la CENI dite renforcée, assure « le contrôle, la supervision et le suivi des opérations référendaires, de l’élection du Président de la République, des députés et des conseillers des collectivités territoriales ».

Ainsi donc, aux yeux des experts du Comité de relecture, le renforcement de la CENI consisterait tout simplement en l’adjonction du terme de ” contrôle”  à ” suivi et supervision”. Un leurre!
Mais surtout, cette proposition est totalement ignorante de l’historique de la CENI dans le droit électoral de notre pays.
Nous invitons les experts du Comité de relecture à tout  simplement se souvenir de la jurisprudence de l’Arrêt n°96-003 du 25 octobre 1996 rendue par la Cour constitutionnelle saisie  de la constitutionnalité de la loi 96-46/AN-RM portant loi électorale adoptée le 28 septembre 1996.

L’article 12  de cette loi disposait que « la Commission Electorale Indépendante a pour attributions…. e) la supervision et le contrôle des opérations de vote ».

Cette disposition sera justement retoquée par la Cour constitutionnelle. L’Arrêt n°96-003 du 25 octobre 1996 a opposé, au nom de la Constitution,  un niet catégorique au « contrôle » par la CENI du scrutin présidentiel.

Se fondant sur l’alinéa 8 de l’article 33 de la Constitution relatif au Président de la République :

– Le juge rappelle que « la Cour constitutionnelle contrôle la régularité des opérations, statue sur les réclamations, proclame les résultats du scrutin ».

– Il en déduit « qu’au regard du dernier alinéa de l’article 33 de la Constitution, la supervision et le contrôle des opérations de vote reviennent de droit à la Cour constitutionnelle en ce qui concerne l’élection du Président de la république ».

– Et « qu’ainsi la Commission Electorale Nationale Indépendante peut superviser et contrôler les opérations de vote, mais cette supervision et ce contrôle ne concernent que les élections municipales et législatives ».

En d’autres termes, le pouvoir de contrôle de la CENI est frappé d’inconstitutionnalité au regard de l’élection présidentielle. Ce qui remet en cause, au moins pour ce qui concerne la présidentielle,  les modifications reconnaissables en gras au niveau des articles 3, 2 1, 22 et 23 du projet de loi électoral.

Le législateur ne saurait ignorer les décisions de la Cour constitutionnelle en vertu de l’article 94 de la Constitution en son alinéa 1er qui dispose : ” Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales”.

Au demeurant, l’adjonction du mot” contrôle”  aux missions de la CENI  apparaît davantage comme une proposition cosmétique sans valeur ajoutée évidente aux pouvoirs de la CENI. L’objectif de renforcement de la CENI mériterait plus de considération de la part des experts du Comité de relecture.

CHAPITRE II.  L’AVANT-PROJET DE LOI ATTRIBUE DE NOUVELLES MISSIONS PROBLEMATIQUES A LA DGE

Aux missions habituelles de la DGE énumérées à l’article 27(élaboration et gestion du fichier électoral, gestion du financement public des partis politiques, assistance à la CENI), le projet de loi électorale ajoute « la confection et la personnalisation des cartes d’électeurs ».

Cette attribution reste un petit morceau de pouvoir que l’Administration territoriale a filé entre les mains de la DGE et qui ne paraît guère apporter de plus-value significative en termes de transparence.

Le ministre continue d’avoir la mainmise sur le modèle et le libellé de la carte d’électeur qu’il fixe par décision.
Dans le fond, il garde l’essentiel des poches les plus sensibles et les plus problématiques de la gestion des cartes d’électeurs.

Les initiés de la chose électorale savent bien que les tricheries autour des cartes d’électeurs se situent moins à l’étape de leur confection et personnalisation qu’à celle de leur mise à disposition des électeurs qui demeure totalement gérée par l’Administration territoriale.

Par ailleurs, l’article 208 du projet de loi électorale alimente inutilement une controverse autour du fichier électoral en disposant ainsi qu’il suit : « En cas de réorganisation territoriale, la Délégation Générale aux Elections est autorisée à procéder à la mise à jour du fichier électoral, conformément à la nouvelle carte électorale ».

L’article 208 dénote la confusion qui trotte dans la tête du projet de loi électorale, relativement aux notions de « fichier électoral » et de « mise à jour du fichier électoral ».

Cette confusion conduit à deux types d’aberrations :

– La première consiste à séparer arbitrairement l’action de « mise à jour » du processus global de « gestion » du fichier électoral comme si la mise à jour n’en faisait pas partie intégrante. La gestion du fichier électoral y compris sa mise à jour est déjà actée à l’article 27 du projet de loi électorale.

– La seconde aberration tient à la formulation tordue de l’article 208 établissant un lien direct entre la réorganisation territoriale et la mise à jour du fichier électoral : « En cas de réorganisation territoriale, la Délégation Générale aux Elections est autorisée à procéder à la mise à jour du fichier électoral… ».

Pareille automaticité entre « réorganisation territoriale » et « autorisation de mise à jour du fichier électoral » relève tout simplement de la fiction.

Elle est impossible à établir, car la mise à jour du fichier électoral n’est rien d’autre que la suite logique, voire automatique, de l’établissement ou de la révision des listes électorales dont les opérations ne sont pas du ressort de la DGE.

Celle-ci ne peut procéder à une quelconque mise à jour de fichier électoral uniquement sur la base d’une réorganisation administrative.

Au surplus, la carte électorale ne résulte également que des mêmes opérations d’établissement ou de révision pilotées par l’Administration territoriale.

CHAPITRE III.

LAVANT- PROJET DE LOI ROMPT L’EQUILIBRE PRECAIRE D’UN SYSTEME DE PARRAINAGE CONSTITUTIONNELLEMENT SUSPECT

A l’article 148 relatif au système de parrainage de la candidature présidentielle par au moins dix (10) députés ou cinq (05) conseillers communaux dans chacune des Régions et du District de Bamako, le projet de loi électorale tenant compte du contexte politique actuel, a apporté la précision comme quoi seul le quota des conseillers communaux suffira au parrainage en l’absence de députés.

C’est ainsi qu’un dernier alinéa collé à l’article 148 dispose : « Lorsque les députés n’existent pas pour quelque cause que ce soit, leur parrainage ne s’impose pas ». Il est vrai que cette formulation n’est pas des plus heureuses.

Mais au-delà, on peut se demander si le déséquilibre créé par la suppression du quota des députés n’était pas de nature à reconsidérer d’office le quota restant des conseillers communaux. Faire jouer uniquement le quota minimum des cinq (05) conseillers communaux dans chacune des Régions et du District de Bamako à l’exclusion de celui des députés paraît en rajouter à la suspicion d’inconstitutionnalité qui plane déjà sur ce système de parrainage introduit par la loi électorale n°06-044 du 04 septembre 2006.

Au regard de la jurisprudence de l’Arrêt n°96-003 du 25 octobre 1996 en particulier, ce système de parrainage n’ayant pas transité par la censure de la Cour constitutionnelle demeure constitutionnellement suspect.

Il faut se rappeler que le tout premier système de parrainage auquel il a succédé et qui avait été introduit par l’article 159 de la loi électorale du 27 septembre 1996, avait été retoqué par la Cour constitutionnelle. Ce système de parrainage préconisait le soutien « d’au moins cinquante (50) élus locaux dans chacune des régions et dans le District de Bamako ».

Les motifs d’inconstitutionnalité soulevés par la Cour à l’encontre de ce parrainage sont adossés aux deux dispositions constitutionnelles des articles 26 et 27 alinéa 1er.

L’article 26 dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Quant à l’alinéa 1er de l’article 27, il stipule que « le suffrage est universel, égal et secret ».

Au regard de ces deux articles, la Cour constitutionnelle rejetant l’article 159 de la loi électorale du 27 septembre 1996 avait déclaré « qu’exiger la signature de 50 élus locaux dans chaque région peut revenir dans certaines conditions à limiter le nombre de candidat à la présidence de la République, ce qui serait manifestement contraire au principe de valeur constitutionnelle de la liberté des candidats qui serait soumise à l’appréciation des partis politiques ».

A l’évidence, cette jurisprudence ne paraît guère favorable à l’actuel système de parrainage qui ne doit en réalité sa survie légale qu’au fait d’avoir échappé au contrôle de la Cour constitutionnelle qui n’en a pas été saisie.

C’est ce qui ressort de la proclamation de la liste des candidats à l’élection présidentielle du 28 avril 2007 où la Cour avait déclaré :

–  que par arrêt n°96-003 du 25 octobre 1996, la Cour Constitutionnelle avait déclaré que les dispositions de la loi électorale du 27 septembre 1996 qui instituaient le système de parrainage des candidats à l’élection du président de la République étaient contraires à la Constitution en ce qu’elles rompaient le principe d’égalité des candidats ;

– que la loi électorale actuelle a introduit ce système en méconnaissance dudit arrêt qui s’impose à tous les pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales aux termes de l’article 94 de la Constitution ;

– que la nouvelle loi électorale du 04 septembre 2006 n’a pas été soumise au contrôle de constitutionnalité ; que la Cour n’a pas le pouvoir de s’autosaisir pour évoquer l’inconstitutionnalité d’une loi ».

En déclarant publiquement que l’actuel système de parrainage introduit en 2006 témoigne de la méconnaissance par le législateur de l’Arrêt n°96-003 du 25 octobre 1996 dont la force obligatoire s’impose à tous aux termes de l’article 94 de la Constitution, la Cour constitutionnelle a déjà disqualifié l’article 148 modifié du projet de loi électorale.
Au surplus, il est étonnant que malgré le slogan du Mali Kura,  les experts du Comité de relecture soient restés indifférents face au nid de corruption politique aggravée qu’est devenu ce système pourri de parrainage. C’est de notoriété publique que pour l’essentiel, il n’a plus rien de républicain, sauf qu’à servir de marché corrompu de signatures qui se négocient comme sur une bourse mafieuse , moyennant
espèces sonnantes et trébuchantes évaluées en millions de FCFA.  Ce système anti républicain de parrainage n’aurait-il pas besoin de thérapie moralisatrice ?

Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJPB)